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Critiques de Laurent LD Bonnet (15)
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Le dernier Ulysse

Un livre reçu dans le cadre d’une opération masse critique. Donc merci à Babelio et aux éditions Les Défricheurs.



J’avais cliqué sur ce livre car depuis toujours je suis fan de ce vers « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ». Petit aparté, imaginez ma surprise en découvrant le reste du poème de Joachim du Bellay et de m’apercevoir que Du Bellay y exprime sa nostalgie de la Touraine alors qu’il est à Rome. Tous les gouts sont dans la nature mais moi qui adore les voyages, cela m’a laissée perplexe. Fin de l’aparté. Enfin si l’on veut car une fois les 450 pages lues, je suis perplexe face à cet ouvrage. Ai-je aimé ou pas… Je ne saurai être aussi catégorique.



En essayant de faire le bilan de cette lecture, une semaine après l’avoir finie, je me souviens d’un auteur qui a une belle maitrise des mots et de la langue Française. Il y a parfois de belles phrases. Par contre la structure de ce roman est parfois trop touffue voire sans grand intérêt. Pourquoi diable vouloir y mettre un soupçon de science-fiction ? Cela rend le livre brouillon et n’apporte rien à la narration.



Les affres du narrateur sur sa virilité perdue du fait d’un cancer de la prostate sont d’un ennui.... Le pauvre chou, il ne bande plus et passe des dizaines de page à se lamenter que plus personne ne va l’aimer. Et pourtant des femmes le choisissent et quand cela lui arrive, et bien il abandonne les femmes qui le désirent (malgré ou à cause de (qui sait)).



La partie sur les méthodes de l’édition n’est pas inintéressante mais pas non plus passionnante.



J’ai préféré et de loin le dialogue entre le capitaine du bateau « fantôme » et le narrateur. Les questions de bonne conscience, de l’action versus l’inaction, des choix et de leurs impacts etc sont bien traitées et donnent de la profondeur à ce roman.



Un roman très inégal en ce qui me concerne.



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Dix secondes

Héliodore d'Émèse, l'abbé Prévost et Goethe le savaient, Balzac, Mme de Lafayette et Marivaux le savaient, Stendhal, Austen, Zweig… Et Flaubert aussi : " dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux." Comme un pari libératoire sur un destin agrippé par les serres du quotidien, le regard échangé est la moelle du genre romanesque : quelques secondes de regards entrecroisés contre une vie entière qui rêve de basculer.

Laurent LD Bonnet relève lui aussi ce défi littéraire avec son roman 10 SECONDES : dix secondes seulement, au moins dix secondes pour triompher de la frontière et tutoyer le trio sentimental foudroyant de Jean Rousset : I'effet, I'échange, le franchissement.



Dans ce roman, Laurent LD Bonnet aborde le chavirage amoureux volontaire avec la passion qu'on lui connaît : si tu veux l'horizon, éloigne-toi des accalmies de tes rives et accepte le jeu du large pour y être sculpté. Ce n'est ni l'architecte naval, ni le charpentier de marine, ni le navigateur qui façonnent l'âme d'un navire : c'est la traversée. Antoine, son héros, est ce navire.

Tel un poétique Ludovic Janvier ("Toi qui cherches des yeux les yeux des femmes…"), Antoine, protagoniste à la fois romantique et provoquant, est un chercheur de regards féminins depuis l'adolescence : le jeune Antoine rêve de dix secondes, au moins dix secondes de regards échangés et soutenus avec une inconnue pour enfin aborder le sublime. Quête amoureuse effrénée, arithmétique, passant du jeu à la dérive : impudence romantique puis impudeur passionnée, les années passent sans qu'aucun regard ne relève le défi sentimental d'Antoine, seulement un ou presque, un regard en manteau rouge, cette croisade amoureuse inaboutie restant suspendue aux entrailles de son âme.



Son existence fait semblant d'avancer : mariage, enfant, divorce, alors qu'elle n'est qu'un ressac de marée ; les vagues toujours reviennent, là où sur du sable Antoine aura bâti. C'est à 45 ans qu'il fait soudain chavirer sa vie, renouant avec sa quête insensée d'adolescent : Antoine franchit l'obstacle des quais du métro comme on se lance à la recherche d'une nouvelle route des Indes. Car face à lui, enfin, vent debout, la regardée regardeuse est là, deux yeux comme on crie ces deux mots : terre, terre ! Et voici son Amérique, Léa : dix secondes d'Amérique.

Se regarder, se parler, s'ouvrir puis échapper, disparaître, chercher, aimer, renoncer : son Amérique devient une mythique Iracéma, puis une quête d'Eldorado intérieur aux énigmatiques accents guématriques.

D'une théorie du regard qu'il met à l'épreuve du feu jusqu'à l'immolation, Antoine bifurque vers l'obsession initiatique, tenu autant par ses renoncements que par ses espérances et ses convictions. Sa quête d'une Léa disparue prend des airs de théâtre grec, où acteurs et spectateurs, tous regardeurs et regardés, seraient eux-mêmes la tragédie. Où sont la vérité, l'absolu et la liberté dans l'amour et ses apparences : dans l'instant instinctif du regard, dans des dérives sentimentales qui se prétendent sans entraves ? Ou dans la littérature d'un carnet à la couverture noire, écrit puis relu par Antoine, où nous-mêmes, complices de la lecture du héros, devenons regardeurs de protagonistes eux-mêmes regardeurs et regardés ? Entre humour et douce amertume, Laurent LD Bonnet cambriole à pas feutrés une allégorie de caverne platonicienne sentimentale, quasi cabalistique, ne dévoilant qu'à l'ultime page qui est l'illusionniste projetant les ombres sur les parois et qui est l'illusionné.



Laurent LD Bonnet est un écrivain voyou : pister ce rusé renard littéraire mène vers des territoires inattendus. Dans ce livre, sa belle écriture de conteur, telle une subtile miniature persane, recèle une histoire au parfum de ghazal qui interrogerait enfin : si aimer n'est pas rencontrer, alors aimer est-ce reconnaître ? Tel un Hafez dans son divan, cette quête du regard fait naître et grandir l'amour, justifiant le poète : l'absolu de l'être aimé est dans l'absence que promet déjà son apparition.

Esthétique de profusion autant qu'ouverture au monde pour accueillir le vide et ses questions, 10 SECONDES est semblable aux dômes d'Esfahan : un espace intermédiaire entre réalité et imaginaire, avec ses allées de jardin ésotérique, architecturé en univers des possibles.

Enfin, lire Laurent LD Bonnet c'est accepter cette belle déferlante : dans notre Robinson intérieur recroquevillé sur ses rivages patiente un Vendredi en marche.


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Salone

SALONE est d'abord un bel objet. Trop rares sont les vrais choix de papier pour imprimer un livre, alors SALONE est un livre beau qui s'estime entre les doigts comme on reconnaît un tissu de lin marocain à sa trame et un lamé au chuintement de son soyeux.

Pour entrer dans le monde de SALONE, il nous faudra tourner la première page noir perlé pour marcher vers la lumière de cette envoûtante scène à ciel ouvert : la Sierra Leone, Salone en langue krio, et y suivre les traces d'une écriture dense et tendue comme la peau d'un tambour. "Gladys aimait les matins de l'océan à marée basse, quand il l'accueillait, elle, les deux pieds enfoncés dans le sable de la nuit, avec ce roulement feutré du ressac qui n'appartient qu'à l'aube et aux petites heures qu'elle enfante."

C'est dans l'obscurité de cette première page noir-de-gris que Laurent Bonnet a trempé la platine de sa plume, à la fois Mallat n°12 et ornementale à réservoir Léonardt : pour griffer la ronde, saigner la bâtarde, enjôler l'anglaise, ordonner la droite et enfin dessiner. "Londres, printemps 2003. Un soleil blanc se hissait au dessus du fleuve et morcelait les derniers lambeaux de brume agrippés aux arches de Batterson Bridge. Au loin, sous l'assaut de la lumière, les tours sentinelles de Chelsea Gardening frappaient le ciel, glaives orangés magnifiques qui, le soir à contre-jour, se transformaient en sinistres vigies."



SALONE est un superbe récit romanesque, quasi géologique. Strate après strate, Laurent Bonnet entrecroise les destins, l'histoire impitoyable de la Sierra Leone, les personnages que l'on devine bien réels, la fresque de leurs engagements ou de leurs fuites, le bas-relief des guerres comme des drames, des cupidités comme des déchirures, des renoncements comme des convictions, dans un tourbillon littéraire qui ne nous lâche jamais. "A proximité, deux corps, immobilisés dans des positions grossières, gisaient sur la plage. Un ballon noir et blanc, poussé par la brise, roulait en bordure du ressac."

Du paysage grandeur nature à la sanglante densité historique des remous africains coloniaux et post coloniaux, Laurent Bonnet nous trame une épopée tout en brodant les destinées particulières des hommes : roman mais aussi témoignage, conte mais aussi documentaire, sur un pays dont on parle trop peu ; les événements s'entrechoquent quand les destinées se nouent, s'emmêlent et se détissent, dans une moiteur tropicale obsédante, c'est magistralement mené.



Ode à plusieurs voix, SALONE nous martèle, presque en sourdine, une mélopée qui se refuse à la résignation et donne à entendre la volonté farouche de garder la foi, une dédicace au malgré tout, malgré eux, malgré ça, malgré nous : un hommage à l'humain et ses contradictions déchirantes, ses amours, ses amitiés, ses erreurs, ses absurdités, ses obéissances et ses trahisons, à son impuissance aussi, face aux turpitudes de ce monde.



SALONE est également un discret filigrane, dédié à l'écriture, à ses impératifs et ses lacérations, où l'auteur distille ses convictions intimes imprimées en taille-douce sur chaque page : "quand on exhume les racines et que l'on parvient à dépeindre le tronc et les branches, on a beaucoup de mal à raconter le feuillage qui brûle".

Enfin, SALONE est une écriture. Un ton de conteur et de passeur, un style aérien et pourtant tellurique, presque plutonique parce que magmatique et formé en profondeur. Précise, travaillée, rythmée, émouvante, ne nous libérant qu'à l'ultime page noir perlé, cette griffe haletante et aventurière, comme une poussiéreuse piste rouge sang, est passionnément humaniste.



Alors SALONE et ces deux mots : aventure humaine. Pas navigateur pour rien, l'animal. SALONE n'est pas un premier roman, c'est un roman premier.
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Salone

Extrait chronique audio France Inter : C'est puissant, c'est humain, c'est vraiment à lire,

Jacqueline Pétroz - France Inter - Emission Livre en Poche :


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Le dernier Ulysse

« Et je m’étais habitué au nom conçu par Vandoven, comme on peut s’habituer à porter chaque jour un même modèle de chemise, m’accommodant de son utilité. Mais à la perspective d’être ainsi lâché dans l’arène télévisuelle, je le sentais pour la première fois se greffer sur moi comme une peau, m’intimant une certitude : j’étais, j’allais être plus que jamais et resterais jusqu’à ma mort, Alexandre Mauvalant. »

Voilà comment est né le grand auteur Alexandre Mauvalant. Un auteur de nouvelles, de poèmes ; connu et reconnu, toujours sous la pression de son éditeur qui en veut toujours plus et toujours mieux ! Un éditeur qui aimerait bien de lui Le roman ! Mais voilà, Alexandre est en manque ou peut-être en panne d’inspiration. Que pourrait-il bien écrire qui satisfasse autant son éditeur que sa propre plume.

Alors qu’il reçoit de nombreux courriers de fans, il y en a un qui retient particulièrement son attention. La dame qui lui écrit lui propose de la rencontrer dans son île des Caraïbes. Des mots qui sonnent et résonnent en lui comme un challenge : « vagabondez, voyagez, venez ».

Alexandre prendra alors un tournant dans sa vie. Peut-être celui qui le changera… peu importe le temps que cela prendra, Alexandre retrouvera la destinataire de son courrier. Et ce n’est qu’en passant par les terres et les mers qu’il aboutira à son voyage. C’était sa décision. Un challenge qui ravie son éditeur, prêt à tout pour qu’il lui ponde son Roman !

Mais ce parcours difficile qu’Alexandre s’apprête à mener ne sera pas de tout repos ! Relèvera t-il ce challenge jusqu’au bout ?

Voici un livre aussi magnifique que surprenant. Et des surprises il y en aura ! Autant pour notre personnage que pour nous, lecteurs. J’aime ce genre de lecture où nous sommes plongés dans les pensées torturées de notre personnage. L’on se sent presque normal ! Mes chères lectrices et chers lecteurs, vous suivrez une aventure, certes, extraordinaire ; mais le personnage d’Alexandre est tout ce qu’il y a d’ordinaire. Et c’est un compliment ! Sa vie, ses pensées, ses choix… sont ceux que tout un chacun peut rencontrer dans sa vie. J’appelle ce genre de récit des « lectures terre à terre » parce qu’elles s’inspirent d’un personnage aux prises des tourments de la réalité. Et ça, nous le sommes tous et tous les jours !

Merci Babelio pour ce service presse que j’ai obtenu grâce aux Masses Critiques que vous proposez. Ce livre est une belle découverte !

Et à vous, mes chers lecteurs, je vous souhaite un bon voyage. Ne vous y trompez pas ! La destination n’est pas toujours le plus important mais les chemins que l’on prend, eux si ! Bonne lecture 😘
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Le dernier Ulysse

Je ne crois pas, moi, aux vertus foncièrement métamorphiques du trop supposé et admis « adieu suprême des mouchoirs ». Tout voyage n’est qu’une confirmation de soi, parce qu’il est fondé sur un préjugé, préjugé selon lequel le départ et l’aventure produiront un changement d’identité. Or, c’est une contradiction et même une aporie de vouloir qu’on puisse vraiment s’altérer en partant d’une pensée à ce point fixe et grossière : c’est comme d’estimer que l’océan est le lieu de l’onirisme et de la liberté, et s’y jeter avec au cou la grosse pierre d’une conception si étroite et si bête.

J’ai déjà longuement parlé de la manière dont un paradigme lourdement installé dans une perception et dans une intention fige la quantité de ce qu’on peut profondément apprendre et extraire d’une expérience – j’ai développé cette réflexion dans un article intitulé La Comédie de Charleroi ou La Complaisance précède l’Inexpérience. Tout ce qu’on aborde ainsi avec une présomption ou une prévention tirée de la morale populaire risque fort de ne faire que confirmer l’opinion avantageuse et favorable qu’on suppose de cette expérience – pour ne pas dire que ça la réalise toujours. On voudrait flatteusement se prouver de l’aptitude à la variation de soi, alors on empreinte la voie stéréotypée du déplacement, et, pour atteindre à cette sorte de spiritualité qu’on associe au cours léger du bateau et à la blancheur de la voile, on s’appuie sur le paradigme lourd et ancré selon lequel l’exotisme et l’évasion constituent des moyens essentiels. On veut aller intellectuellement loin, on s’arrime d’emblée à un fardeau mental. On prévoit qu’on sortira grandi, alors on s’étire et on se juge sorti de son ancienne mesure. C’est comme ces gens qui, après avoir appris que le soleil comporte de la vitamine D, sont tout de suite plus gentils quand il fait beau, et se sentent galvanisé par la lumière dès le premier photon. On obtenait sans doute autrefois le même résultat avec un bon clystère, pourtant le clystère n’avait nul effet logique sur la santé. On voyage, alors on se sent mieux et meilleur ; même, on se sent mieux et meilleur, si l’on s’examine bien, un peu avant d’avoir voyagé, dès la préparation, en fait. Le voyage est un superflu au changement qu’on espère en extraire : rien que l’espérance du changement fait le changement.

Idem pour la rencontre. Toute personne qu’on découvre avec la conviction qu’on en sera modifié n’est qu’un prétexte formé d’avance à se valoriser de ses facultés de compréhension et d’empathie. Frédéric Moreau à bord de la Ville-de-Montereau adore Mme Arnoux aussitôt qu’il la voit parce qu’il s’ennuyait. On prépare d’abord sa vertu, et l’on feint ensuite de s’apercevoir qu’on l’a trouvée par hasard. Ne va-t-on pas soudain s’ouvrir aux autres, devenir cosmopolite, entendre enfin de la pensée même après avoir cessé de s’instruire et de s’édifier pendant vingt ans ? Et comment un homme qui craint fort de quitter sa maison sans sa piqûre, et qui accuse tout le monde de ne pas la prendre, deviendrait-il tout à coup un moindre penseur de l’Altérité ? Allons ! La vérité, c’est que, pour se sentir si bon, on n’avait pas besoin de découvrir quelqu’un. On aurait pu aussi bien se servir d’un livre ou simplement de son imagination : il n’est nulle âme qu’on n’aurait pas pu concevoir en esprit. Ils n’ont pas besoin de changer, les voyageurs : ils ont besoin de se croire changés. Ceux qui vous disent perpétuellement, en voyageant, avoir fait des « découvertes » en général sont des gens étonnamment dénués d’inspiration. Il ne leur semblait tout bonnement pas que telle chose ou tel être existât, et, après l’avoir vue, ils vivront de nouveau exactement comme s’ils en doutaient encore, mais fiers d’être « allés ». On appelle ça « l’expérience », à ce qu’il paraît ; l’expérience, c’est de se déplacer beaucoup dans l’espace pour que les globes oculaires voient beaucoup de couleurs et de formes, et puis rentrer chez soi avec une très vague mémoire de cet espace, de ces couleurs et de ces formes. Un pareil homme vous est supérieur, dit-on, parce qu’il a mal compris ce qu’il a vu directement, tandis que vous êtes son obligé au prétexte que vous avez très bien compris ce que vous n’avez pas vu ou eu besoin de voir en propre. Dans leur quotidien, vos maîtres enferment carrément leur pensée, et puis ils la rouvrent, en gros, provisoirement le temps des vacances, et tout cet argent ou ce temps qu’ils ont dépensé sert à prouver qu’ils vous dominent, que vous ne savez pas, vous, parce que vous n’avez pas l’expérience. C’est ainsi qu’une infirmière de leur connaissance aura toujours plus raison que les statistiques irréfragables que vous apportez de l’hôpital : elle a vu, et donc vous êtes un misérable d’aller sur de telles brisées de « l’expérience ». Il se peut qu’ils tirent de leur témoignage l’impression forte d’une révélation, mais ce sentiment provient principalement de leur obtusion normale. Ils se font une occasion d’ouvrir les yeux, et ils se surprennent tout à coup à voir de la lumière. Ils sont éblouis, et pourquoi ? Parce que pendant une semaine ou deux ils ont ouvert les paupières. Ils ne peuvent imaginer que, toute l’année, vous gardiez, vous, les yeux décillés pour tout contempler : vous vous vantez. Et puis, « ce n’est pas l’expérience, ça ». Vous n’avez pas la mine émerveillée des gens qui vivent des expériences, n’est-ce pas ?

En réalité, il n’y a guère plus de raison d’épanouir sa mentalité en prenant le bateau ou l’avion et en explorant différents pays qu’en adhérant à un club de billes. Parce que, partout à travers le monde, les gens sont ternes et opiniâtres – cela inclut aussi bien le moine d’Asie qui perçoit tout avec les œillères de sa religion que le jouisseur-né américain qui vous montre sur un yacht combien on peut relativiser la douleur quand le moteur vrombit et hurle. Non, les gens n’ont rien à enseigner à quelqu’un qui serait déjà en mesure de se renseigner par lui-même, ce qui n’est pas encore trop difficile, je pense, à notre époque. Il n’existe plus de sujets de sagesse ; même un professeur est peu disposé à vous expliquer ce qu’il sait, parce qu’il résout et limite sa pensée à fort peu de choses, comme tout le monde. Alors, je sais bien qu’on me reprochera le fameux « relativisme culturel », doctrine selon laquelle, en se rapprochant des modes de vie plus rudes ou philosophes, on réapprend les privilèges de notre civilisation, mais c’est encore décidément un cruel manque d’imagination, tout ça. Est-ce que le Moderne ne se représente pas périodiquement ce que serait sa vie sans les écrans et toutes sortes de commodités ? et est-ce donc qu’il a généralement si peu d’ouverture et d’éveil qu’il faille une occasion de déplacement pour qu’il se figure ce qui n’est, là, point à sa portée ? – est-ce que les films ne lui donnent pas rien qu’un peu l’élan de ce qu’il faut faire pour se transporter virtuellement en dehors de sa propre mentalité ? Moi si. Tous ces voyageurs n’ont manifestement pas la moindre aptitude, dans l’existence ordinaire, à se transposer en esprit. Voudra-t-on alors me faire croire que parce qu’ils sont au Tibet ou en Uruguay et se mêlent aux indigènes, ces gens ont soudain trouvé en eux cette ressource abstractive qu’ils n’avaient pas dans le quotidien de leur pays natal ? Ce que je veux dire, c’est : est-ce qu’on trouve que ces gens, quand ils sont chez eux et en compagnie de leurs collègues, sont déjà capables de se mettre à leur place ? Alors pourquoi supposer qu’ils le feront mieux à dix mille kilomètres de chez eux et parmi des gens auprès de qui ils sont tout à fait disparates ? Non pas, ce n’est pas même seulement vraisemblable, une telle dichotomie : tout ce qu’ils explorent sur leur lieu de villégiature, c’est le tout petit cercle auquel leur permet d’accéder leur pensée. Ils vont ailleurs contempler paysages et cultures… avec les yeux d’un esprit fermé. Ce sont des étrangers en voyage.

Et la durée n’y fait rien : aujourd’hui, on ne s’approprie vraiment rien par la réflexion, on s’imprègne, voilà tout. Six ans au Brésil vous apprennent à parler argentin, et, si vous êtes influençable, vous vous laissez gagner d’une spiritualité socialiste, de mœurs et de coutumes, vous finissez par prendre plaisir à manger tel plat à telle heure – c’est vrai. Mais votre esprit au long de ce processus n’est pas plus empli ; il n’est pas plus grand. On peut exister ainsi un temps interminable même en France, et ne pas savoir de quoi est bâti un véritable esprit français – et c’est le lot commun. La curiosité même n’y suffit pas : on peut tout regarder avec un œil avide autant que vide. Oui, on sent un pays sans doute, on l’éprouve et on peut même l’assumer : vos doigts pareillement sortent plissés du dont ils ont absorbé l’eau. Mais vos doigts n’en sont pas meilleurs. Tout au mieux, dans vingt ou cent générations, ils seront palmés, c’est-à-dire mieux adaptés. C’est pourquoi on naît musulman en Afrique du Nord, mais on n’est pas plus intelligent pour autant parce qu’on sait son Coran. Le voyage ni sa durée ne fait l’esprit. Il faudrait, pour cela, un sens automatique propre à ne retenir que le Grand et le Juste.

le dernier Ulysse – qu’il faut, je crois, écrire sans la première majuscule – serait un récit de voyage et de formation là où il n’existe point – ou disons : presque jamais – de formation par le voyage. Ma théorie ainsi précédemment exposée, je trouve que l’intrigue même la vérifie. C’est la raison pourquoi je n’ai pas terminé ce livre, je n’ai pas terminé le voyage de ce livre, quitté page 239, parce que l’aventure de ce voyage ne semblait ne m’apprendre rien. Alexandre Mauvalant, personnage déjà assez médiocre et imbécile, n’évolue pas. Pas vraiment. Pour être précis, je dirais qu’il ne tire de ses pérégrinations que la facette la plus exposée de tout ce dont il était déjà disposé à croire.

Il regarde, oui. Il n’observe jamais en-dehors de ce qu’il s’apprête à trouver. La mesure d’une expérience inutile – inutile pour le véritable vertige de l’esprit – c’est ce qu’on cherche strictement : Mauvalant n’est jamais surpris, jamais. Il paraît tel le scientifique qui expérimente uniquement selon l’ordre de ce qu’il est en volonté de prouver : tout ce qu’il découvre s’inscrit dans un paradigme antécédent. C’est un peu comme si, sur une planète où ce qu’il y aurait de plus authentique à voir se situait dans le spectre lumineux des infrarouges ou des ultraviolets, un homme se rendait avec ses yeux ordinaires. Le protagoniste n’est toujours conditionné que par la conformation de ce qu’il peut voir et entendre – et entendre. C’est en quelque sorte un Occidental qui va en Afrique avec la volonté farouche d’explorer la question de savoir comment les gens vivent en utilisant des billets de banque – transposer cette idée à tous les domaines de l’esprit.

Mauvalant ne voyage pas : il s’enorgueillit de voyager, du moins il se valorise.

C’est piteux vu d’une certaine distance : il n’apprend rien. Tout ça pour rien.

C’est, dans le récit, un écrivain, déjà, qui paraît sans grande sagesse – il me fait, à vrai dire, penser à certains de mes amis d’enfance qui portaient toujours des ciels dans la parole et dans les actes une ridicule immaturité. Après une émission anodine, il reçoit la lettre brève et légèrement mièvre d’une femme qui lui propose une rencontre, et il accepte aussitôt en se fixant la contrainte – chevaleresque, chevaleresque jusqu’à la naïveté – de parcourir tout le trajet à pied jusqu’à elle, et sans s’interdire, au hasard de ses intérêts, des escales de plusieurs mois.

C’est une sorte de marathon, voilà ; c’est le même état d’esprit que le coureur. Il est vide alors il remplit. Il lui faut perdre du temps pour se croire l’illusion de s’y consacrer. On connaît beaucoup de gens qui circonscrivent toute leur expérience au sport : ce sont des « voyageurs du sport », ils prétendront avoir beaucoup appris de cette inanité. Idem, le voyageur tout court.

Mauvalant ne connaît pas cette femme, Anna : elle est un prétexte. Elle ne lui a rien écrit que de très élémentaire. Il est un peu en panne d’inspiration, voilà tout. Un commentateur avisé comprend sans peine qu’il ne fait ce voyage, en s’imposant de telles difficultés, non pour elle, dont il n’a pas la moindre idée, dont la lettre ne permet même pas d’augurer la valeur, mais pour se donner de l’allure – ça sert aussi au roman, bien sûr. Il affecte un héroïsme : c’est un homme qui aime Conrad et London, qui ont voyagé, il aime aussi Nietzsche, il suppose donc que le voyage instruit et rend fort, sans songer que la plupart des marins sont des crétins comme les autres et peut-être plus avinés. Il veut devenir meilleur. Il ne le deviendra pas encore, page 239 ; il ne l’est pas devenu ne serait-ce qu’un peu davantage. Il est parti avec cette idée que voir à l’extérieur développe et épanouit : préjugé commun, stérile, et contre-productif. Il faut plutôt voir en soi-même, voir le vrai de l’homme : sait-on que Nietzsche était souvent sinon la plupart du temps à peu près aveugle ? Certes, parfois le temps qu’on passe à ne rien faire sur des routes incite à réfléchir. Mais je ne suis pas sûr que Mauvalant ait, lui, sur ce point, progressé.

Ah ! autre chose, puérile, puérile ! moderne, contemporaine, contemporaine ! et que j’ai oubliée de dire : Mauvalant va certes voir une femme, une femme avec ses promesses bien sûr, une femme qui l’attend et qui, tout de même, après un tel périple – elle vit aux Canaries –, aurait du mal à ne pas lui exprimer à la fin sa « reconnaissance »… oui, mais Mauvalant est impuissant suite à une opération de la prostate. Pourquoi donc ce but, alors : une femme ?

Triste. Sinistre. Bien contemporain. Et contemporain, dis-je, tout justement parce que la contemporanéité est le lieu où l’enfant-citoyen est incapable de se refuser un caprice, d’abdiquer un bonheur « normal », en un mot : de se résoudre. Il lui faut par d’autres biais obtenir ce qu’il souhaite, faute de savoir s’abstenir d’un désir : il veut encore et toujours l’égalité à laquelle sa conformation même l’interdit. Lors même qu’il n’est plus accessible à certaines jouissances, il veut quand même obtenir le droit d’y prétendre. Alors, Mauvalant persiste à vouloir l’amour de la femme et à vouloir cet amour aussi de façon sexuelle. C’est ce qui fonde, chez « l’immoral » lecteur comme moi, l’impression de suivre pas à pas l’itinéraire d’un handicapé sans puissance, mais sans puissance spirituelle, d’un handicapé dont la pensée plutôt que le corps est handicapé, d’un personnage veule, adolescent-né, mais que l’auteur cependant exhausse un peu comme un exemple ou une incarnation. Je ne prétends pas qu’un tel homme ne saurait être « puissant » en esprit, je suis presque sûr d’avoir rencontré de grands hommes souffrant de dysfonctionnement érectile, et je soupçonne que Nietzsche, que j’admire comme on sait, en faisait partie –, mais je trouve qu’un handicapé qui focalise tout son esprit sur son mal au point de ne jamais cesser de chercher un palliatif à la fois pour le cacher et pour en jouir manque décidément de relativisme et de grandeur : ce handicapé produit un sentiment de misère et de perpétuel inaccompli, de stagnation principielle. C’est un homme qui s’est trompé d’objectif, qui ne conquiert rien, qui ne peut aboutir, parce que sa quête est initialement mal formulée, contradictoire et insoluble comme une équation qui contient intrinsèquement quelque erreur axiomatique. Qu’à la limite, Mauvalant voyage dans l’espoir de s’enivrer du voyage, je veux bien, mais que la destination soit une femme à assouvir, lui qui ne peut précisément pas proposer un plein assouvissement, je veux dire âme et corps, n’est-ce pas là, parmi l’immense somme des plaisirs terrestres, aller chercher bêtement celui qui lui produira la plus sûre frustration ? – qu’il dise au moins à Anna son problème, et le voilà décomplexé tout à coup, mais non ! C’est comme quand un homme contemporain, qui n’a jamais pensé encore à avoir d’enfant, apprend inopinément sa stérilité : à quoi pense-t-il ? à fonder le reste de son existence sur le manque ou le souhait d’une paternité. Mais quoi ? il y a beaucoup mieux à faire et à penser au monde, quand on est impuissant ou stérile, que les femmes ou les bébés ! Moi, par exemple, avec le sale cœur que j’ai, est-ce que je m’en sers de prétexte pour vouloir soudain accomplir de grands efforts physiques ou pour susciter les sentiments d’une femme compatissante ?

… Où la contemporanéité, c’est le refus imbécile de renoncer même à l’illégitime. Dès le commencement, ce périple évoque l’inscription d’un cul-de-jatte à un marathon pour valides ou d’un muet sans langue à un grand concours de chant. Je pardonne, moi, toutes les maladies, sauf les maladies de la volonté et du jugement – et je me résous à n’être fait ni pour le sport ni pour être aimé.

Il faut voir notamment dans ce récit la façon systématique, endémique pour ainsi dire, dont un Contemporain court aux symboles, symboles qui ne sont pas la réalité, symboles qui sont la superficialité la plus antilittéraire du réel. Mauvalant d’abord suit géographiquement le parcours physique d’auteurs qu’il aime, puis il se fie aux réputations des villes qu’il est censé aimer, puis il voit dans les êtres qu’il fréquente les exactes vertus que, depuis son départ, il a toujours aimées.

On en revient exactement à mon observation liminaire. le dernier Ulysse est le récit d’un voyage sans mouvement, d’un voyage d’inertie, d’un voyage qui est l’antipode d’une évolution. C’est le récit du voyage de quelqu’un qui n’a pas bougé, qui n’avait, du moins, nul besoin de se déplacer pour ce qu’il avait à y gagner – du moins jusqu’à la 239e page. Toutes les rencontres dépeintes par Mauvalant sont, il faut le reconnaître, plutôt ébauchées que profondes : on devine des linéaments, des silhouettes, des types, on ne perçoit pas des vies ; on trouve des conventions, à la rigueur une multiplicité de conventions superposées, mais ce sont des fantoches, même s’il s’agit de fantoches dont la banalité est en fait très plausible. Chacun de ces personnages, et c’est parfaitement logique, a la facticité du protagoniste qui les examine en vain : c’est logique qu’ils ne soient profonds, pour ainsi dire, qu’en surface, c’est-à-dire qu’ils n’intéressent quelqu’un qu’en les attributs où n’importe qui est a priori disposé à jeter le regard à cause de prismes sociaux, d’injonctions typiques selon lesquelles il faut observer la valeur d’autrui à tels critères peu personnels ni pertinents. Nul des personnages de ce roman ne devient un individu – jusqu’à présent, page 239. Ils ne sont pourtant pas non plus artificiels : ils sont flous, ils sont vagues, ils sont peu ; on ne sait pas qui ils sont ni s’ils sont. Ils ne sont pas réels : ni aussi superbes que dans les romans, ni aussi piètres qu’en la réalité. Un entre-deux peu consistant. Des successions, des jalons, sans plus, sans substance, sans définition ; des figures, prétextes à « progression » du héros. Des « symboles de », chacun. Des « types », plus ou moins gradués, échelonnés – est-ce par exemple qu’on connaît les motifs de Gloria et d’Aïda que j’ai quittées tout récemment (je devine philologiquement qu’elles sont inspirées de vraies femmes, et Aïda surtout), mais Larsvic, lui, contient l’immaturité du protagoniste dont il ne se différencie guère : ça se voit trop qu’il partage l’âme de Bonnet. Or, ce ne serait pas un si grand mal si le principe de l’intrigue n’était pas que le protagoniste doit s’enrichir de ses rencontres ; mais il est déjà ces autres, dès le début, ces autres lui ressemblent tous. On pourrait sans trop de mal, si l’on voulait, retracer la sorte de candeur de l’auteur lui-même à travers cette galerie de portraits : ils sont tous quelque part trop purs et trop bons, surtout ils sont trop indulgents, trop généreux, ils comprennent, ils ouvrent leur cœur, ils ont trop de cœur, ils ne sont pas
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Le dernier Ulysse

Bien sûr, une culture littéraire plus aboutie que celle que je possède, m’aurait permis de rentrer encore davantage dans les profondeurs de ce magnifique roman qui m’a "pris à son bord" sans aucune résistance de ma part.

Mais malgré mes lacunes qui n’ont aucunement altéré mon plaisir de lecteur, j’ai ressenti cette impression de progresser dans le livre au rythme du périple d’Alexandre Mauvalent («l’avion est injuste. Il ôte tout sens à l’espace et au temps»).

Laurent LD Bonnet a le "sens" du voyage; en tout cas une conception qui me va bien. Et notamment les rencontres avec les différents personnages au fil du parcours de Mauvalent qui rythment le texte.

Et, en plus, je me suis régalé de cette écriture riche, puissante, précise; bref, "Le dernier Ulysse " est un livre qui compte!
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Le dernier Ulysse

Le narrateur, prénommé Alexandre, auteur de poèmes et de nouvelles, a subi une opération qui l’a laissé sexuellement impuissant. Ça le taraude, on le conçoit. Une inconnue, juste pour l’avoir entendu (et compris à demi-mot) dans un débat télévisé, l’invite par lettre à venir lui rendre visite dans la petite île des Caraïbes où elle habite. Notre écrivain décide de la rejoindre, mais en prenant son temps et le chemin des écoliers, de la péninsule ibérique à l’Afrique. Au gré de quelques « escales » prolongées il entre en relation avec diverses personnes hors du commun. Parmi elles se détache notamment le capitaine d’un bateau, Larsvic, personnage fort et singulier qui à la fois fascine et révulse Alexandre.



Cette errance, ce long voyage en quelque sorte ulysséen est l’occasion d’un récit où le narrateur approfondit d’existentielles questions : le déroulement de la vie, l’ « éros », les relations humaines, l’éthique, l’état de nos sociétés, les postures intellectuelles. Ainsi que la façon dont un certain monde littéraire fonctionne (question certes un peu moins existentielle).



Le livre m’a paru dans l’ensemble bien mené, varié, généralement plaisant. Il y a de l’ambition au niveau du concept ; pas toujours au niveau du style, certains passages paraissent écrits à la va-vite. J’avoue que je n’ai pas bien saisi certains passages introspectifs et allusifs, trop peu travaillés me semble-t-il.



Le livre associe un cœur de récit et une « superstructure » (je ne sais pas trop comment l'appeler), avec une articulation qui peut sembler un peu forcée. La superstructure (le concept d’un roman constitué en 2082 à partir de données des années 2010 récupérées par des méthodes informatiques ultra-modernes et futuristes) me semble un peu superfétatoire.



Reste un cœur de récit très prenant, et de pertinentes interrogations sociétales. Toute la partie consacrée à Larsvic, ses justifications et ses secrets, est d’une force remarquable.
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Le dernier Ulysse

Lettre capitales Dan Burcea

Meilleure revue littéraire 2021

Le livre de Laurent LD Bonnet Le dernier Ulysse est le troisième volet de la tétralogie de la quête en cours d’écriture qui comprend jusqu’à présent trois volumes : Salone (Prix Senghor 2013) – Dix secondes, roman hommage au poème de Baudelaire, “À une passante”.



Ce troisième roman est écrit D’après le Reliquat Onirique d’Alexandre Mauvalant, comme le précise son sous-titre, alors que son Prélude nous avertit sur sa nouveauté, « le premier du genre », nous promettant « qu’il fera débat à toutes les époques ».



Plusieurs précisions s’imposent à ce stade afin de bien tracer les pistes de ce récit qui semble se jouer allègrement de la fiction pour mieux nous attirer vers les contrées du rêve. Signalons ainsi le premier indice qui nous est offert dès les premières lignes du récit et qui pourrait être considéré comme une ouverture incontestable vers le romanesque : « En toute une vie un auteur de fictions n’écrit que quatre mots : Il était une fois. Puis, il confie la suite aux personnages… ».



Usant d’un vrai stratagème narratif, Alexandre Mauvalant, personnage du roman et auteur connu pour avoir publié des nouvelles et des poèmes, confie le rôle d’écrivain-voyageur à un de ses personnages qu’il décrit comme « un drôle de gars, une sorte de messie récalcitrant, héros d’une Nouvelle d’anticipation qui […] avait remporté un succès d’estime ». En réalité, ce personnage à peine dissimulé, n’est qu’une marionnette entre les mains de l’auteur, son alter ego, qui lui fait prononcer comme un ventriloque avec tout autant d’habilité des mots qui reflètent les idées qu’il a dans la tête. Au détour d’un dialogue tenu lors d’une rencontre de promotion d’un de ses livres dans une librairie de Vincennes, ce personnage bizarre ose répéter la fameuse idée que l’auteur lui souffle à l’oreille ; Le chemin modifie l’homme de manière aussi certaine que l’accomplissement. Nous reconnaissons bien ici entre autre une allusion à la fameuse citation d’Antonio Machado dans Campos de Castilla (1917): « Caminante! No hay camino, se hace camino al andar » ( Marcheur, il n’y a pas de chemin, Le chemin se construit en marchant).



Ce mot d’ordre joue dans l’économie du récit de voyage le rôle du point déclencheur et celui de l’encrage dans la subjectivité du protagoniste principal Alexandre Mauvalant. Bousculé dans son quotidien, il finira par reconnaître, dans « [s]on rapport au temps, aux lieux, aux gens, aux genres, et à [s]on inspiration », qu’il ne sait pas trop bien quel forme donner à cette envie de dépassement que contient la phrase prononcée de manière quasi inconsciente lors de la soirée de promotion.



La réponse quant à la destination du voyage ne tardera pas à se faire connaître. Cet appel vers le large sera incarné par la lettre d’une mystérieuse dame au nom pittoresque, comme il se doit dans tout bon roman, Anna Ivanovna Maria Rosseló habitant à Saint Peter Parish dans la Montserrat Island dans les Antilles britanniques. L’écrivain-voyageur ne tardera pas à informer cette énigmatique complice des conditions du voyage : pas de moyens rapides de voyage, pas d’avions, donc, juste de la marche et de la navigation en bateau, en partant de France, via l’Espagne et le Portugal, le Gibraltar, l’Afrique du Nord et encore en bateau vers la destination finale.



Mauvalant appelle cette lenteur du voyage « un fatalisme serein et difficile à la fois ». En effet, c’est ainsi qu’il aura l’occasion de planter pour ainsi dire sa tente dans plusieurs lieux, de connaître des gens, de se lier d’amitié avec des personnages pittoresques, de connaître des expériences amoureuses qui mettront à l’épreuve sa virilité abîmée par la maladie, de se plonger dans ses notes de voyage comme dans une vie nouvelle et enchanteresse et de vérifier enfin à ses dépens le changement dont il avait parlé avant de se lancer dans cette aventure.



Le mot aventure doit être scruté ici avec toutes les précautions que suppose une telle expérience. Le rythme lent, la propension vers l’introspection de l’homme en quête de sens sur sa condition amoindrie par la maladie penchent plutôt vers un divan intérieur qui prend sens en même temps que la contemplation des paysages qu’il traverse avec les destins des semblables qui lui servent de miroir à sa propre personne. Un exemple de style qui en dit long sur l’œil attentif du voyageur est la description du détroit de Gibraltar sous la beauté de l’aube. Les nuages sont « de formidables cathédrales de nuées tourmentées qui emplissent le ciel, piétinant les confins d’un horizon argenté ». Le tout semble prendre l’allure d’un « mirage d’allure biblique ».



Quant à ses rencontres, deux d’entre elles vont compter dans son voyage. Ce sont celles des capitaines de deux navires aux bord desquelles il va se retrouver et qui vont l’aider à atteindre sa destination. Il ne s’agit pas seulement de directions dans le sens de la navigation, mais dans la même mesure de la recherche intérieure de sa condition d’écrivain. En réalité, Alexandre Mauvalant a un contrat avec Vandoven, son éditeur, à qui il doit envoyer régulièrement des notes de voyage en échange du financement de celui-ci.



Le premier capitaine se nomme Larsvic et son navire s’appelle Prizrack, ce qui signifie Fantôme. Personnage haut en couleurs, ce capitaine serbe s’avère être un trafiquant d’armes. Homme tourmenté par ses nombreuses contradictions, par la méfiance et par la maladie, Larsvic va jouer un rôle décisif dans la vie de Mauvalant. C’est lui qui va lui demander d’écrire sa biographie, et pousser ainsi l’écrivain à s’essayer à l’écriture du roman auquel il aspire depuis toujours, de se frotter à ce qu’il appelle « le vent du destin », expression qui, malgré sa réputation de cliché littéraire, donne substance à son projet invraisemblable.



Une révélation apparaît soudainement dans sa conscience d’artiste et d’écrivain. Il va lui donner un nom inhabituel, Le Neuf, un état de grâce, une révélation devant la beauté, « un état de conscience […], un lieu culminant du temps dont il reconnaissait l’évanescence, sans pouvoir la capturer ». Plus encore, cet état est encore plus puissant l’aidant à bouillonner l’eau du temps de sa mémoire, « emportant son homme antérieur, chargé du souvenir fantomal qui, depuis le départ, ne l’avait jamais quitté ». La vocation de l’écrivain va prendre le dessus nous laissant entrevoir un Alexandre Mauvalant de plus en plus confiant dans la réussite de cette entreprise dont il avait toujours hésité d’accepter le défi.



Diggs, le capitaine de l’Improbable, est le deuxième personnage tout aussi haut en couleurs que Larsvic. C’est lui qui va conduire Mauvalant dans cette seconde partie de voyage.



Rencontrera-t-il la mystérieuse Anna Ivanovna Maria Rosseló ? Fera-t-il face à cet ultime épisode de son périple ? Pourquoi a-t-il décidé de passer de la première personne à la troisième pour raconter la seconde partie de son histoire ?



Le lecteur aura tout le loisir de le découvrir.



Remarquons quant à nous pour conclure la finesse de l’écriture de Laurent LD Bonnet, le caractère tourmenté de ses personnages et l’appel impératif de sa démarche qui le fait dire ceci : « Je dois me raconter ! Pourquoi ? Pour ne pas m’oublier ».



On comprend ainsi la vraie nuance définitive et bouleversante du voyage d’Ulysse qui se veut être « le dernier ». Cela met en lumière, tout en respectant les codes du récit de voyage, les ressorts les plus cachés et les plus puissants du destin et du devenir d’un héros pris dans les turbulences de la vie et des besoins de donner sens à la vie d’un écrivain comme lui.



Dan Burcea



Laurent LD Bonnet, Le dernier Ulysse, Éditions Les Défricheurs, 2021, 450 pages.


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Le dernier Ulysse

L'or des Livres

Emmanuelle Caminnade

Je n'avais encore rien lu de Laurent LD Bonnet, nouvelliste et romancier doublé d'un grand navigateur et voyageur, et ce livre fut pour moi une merveilleuse découverte : celle d'une voix puissante et singulière qui vient redorer le blason du roman, trop souvent galvaudé en cette époque submergée par une «obèse actualité» asséchant l'imaginaire et une «trivialité marchande» uniformisante entravant parfois la liberté du créateur.



Troisième volume d'une tétralogie en cours sur la quête, dont les deux précédents creusaient le thème de la vengeance puis de la rencontre (1), cet ouvrage néanmoins autonome de plus de quatre cents pages se lisant avec avidité explore, lui, celui de la création. Publié par Les défricheurs, petite maison d'édition indépendante et audacieuse, il s'insère parfaitement dans la vision séduisante et stimulante de la littérature prônée par cette dernière, et dans sa collection "Les explorateurs" (2).







Le dernier Ulysse est un livre d'une grande originalité faisant cependant miroiter moult récits ayant façonné notre imaginaire. Jouant de toutes les trames temporelles réelles ou virtuelles dans un roman initiatique flirtant avec le roman d'anticipation ou de science-fiction, tout en lançant avec malice un insistant clin d'oeil à la flamboyante épopée d'Homère, l'auteur s'y interroge sur l'inspiration et les perspectives de la littérature, sur l'écrivain et les pouvoirs de l'imaginaire, mettant en scène toute la chaîne du livre et croquant avec une ironie jubilatoire l'«Olympe littéraire» parisien. Et, au travers de son héros-écrivain masculin, il s'y intéresse aussi à la nature et la valeur de l'homme et à ses chemins de vie, à sa capacité à exercer son libre-arbitre, bouleversant les clichés profondément ancrés de la virilité pour questionner plus en profondeur notre humanité.



1) Salone (Ed. Vents d'ailleurs), roman plusieurs fois primé qui a obtenu le Prix Senghor et Dix secondes (Ed. Vents d'ailleurs) rendant hommage au poème de Baudelaire À une passante . (La légitimité sera le thème du quatrième roman de ce cycle)



2)https://www.editionslesdefricheurs.art/nous-1











Tout débute dans les années 2020. Paul Vandoven, éditeur parisien influent et visionnaire, croit en son auteur Alexandre Mauvalant, nouvelliste et poète ne lui ayant pourtant jamais rapporté le moindre kopeck, car il est convaincu qu'il possède l'étoffe d'un grand romancier. Après une vidéo l'ayant confronté à une polémique sur les réseaux suivie d'une émission de télévision, ce dernier reçoit une lettre d'une certaine Anna Ivanovna vivant solitaire dans une île lointaine des Caraïbes anglaises, qui affirme avoir compris ce qu'il cherchait difficilement à exprimer et semble avoir «deviné sa musique intime».



Alexandre, ce veuf parvenu au milieu de sa vie et ayant toujours aimé la compagnie des femmes, traverse une profonde crise, se sentant prisonnier de ce que le temps lui octroie d'existence mais aussi dépossédé, dévalorisé (3). Une opération vitale (qu'il se garde bien d'ébruiter) l'a en effet privé à jamais de la fonction érectile de son phallus, et il est obsédé par la question de savoir si un homme peut encore être aimé ainsi réduit au statut d'une sorte d'eunuque.



Saisissant l'espoir d'une rencontre improbable pour tenter d'échapper à ses problèmes et de se réinventer, il propose alors à cette inconnue (dont il ne connaît ni l'âge, ni le physique, ni la voix,) de venir la visiter au rythme de la marche et du bateau. Un long et lent voyage à l'ancienne à la hauteur du mystère entourant les deux protagonistes, et fortement encouragé par son éditeur qui y voit l'occasion rêvée pour nourrir l'inspiration romanesque de son poulain. Anna accepte de l'attendre : «Vagabondez, Voyagez, Venez», lui répond-elle. Et notre héros, Zarathoustra en poche, part en quête de l'inaccessible étoile : celle qui donnera sens à son existence.



3) Ne valant pas plus en tant qu'écrivain qu'en tant qu'homme, ce que suggère malicieusement son patronyme



Ce hasardeux périple mû par le désir, par «ce désir d'ELLE au bout du monde», durera quatre ans, le menant de l'Europe à l'Afrique jusqu'aux Canaries où il traversera l'Atlantique pour rejoindre sa Pénélope. Riche de rencontres et de péripéties, il fournira la matière de son premier et unique roman intitulé Ultimus Odysseus : un roman promu à grande échelle qui obtiendra un succès planétaire faisant de lui un écrivain riche et célèbre. Jusqu'à ce qu'Alexandre disparaisse. Cette odyssée ayant modifié l'homme comme l'écrivain lui aura en effet permis de reformuler son existence en découvrant l'essentiel. De se libérer en étant «en phase avec son temps intérieur».



Mais ce n'est pas seulement le récit d'aventures foisonnant de son héros que nous offre l'auteur mais une seconde version posthume de ce dernier livrant aussi «l'autre réalité de son chemin». Un demi siècle après (en 2082), le manuscrit du Dernier Ulysse vient en effet dévoiler la partie immergée de l'iceberg. S'appuyant sur une nouvelle technique permettant d'exploiter ce «substrat créatif» inné dont on n'utilise qu'une part infime de son vivant, ce roman «transcodé», adapté par toute une équipe éditoriale d'après «le reliquat onirique d'Alexandre Mauvalant» pour s'adresser aux lecteurs de «toutes les trames temporelles», est ainsi le premier du genre. Un roman préfacé par Virginia Vandoven (la petite-fille de Paul) qui contribue à éclairer le mystère de l'homme, indissociable de celui de l'écrivain.







Ulysse et la nymphe Calypso ( Angelica Kauffmann)



Laurent LD Bonnet fait preuve d'une imagination intarissable et les nombreux personnages auxquels il donne chair et surtout intimité sont les véritables moteurs de son récit, car c'est bien la rencontre de l'autre au cours de son cheminement qui transforme le héros. Comme chez Homère, les femmes de cette odyssée sont des révélatrices (4), des passeuses qui, d'une étape à l'autre, font progresser ce héros en perte d'identité vers la sérénité (5). Elles sont les épreuves qui forgent l'identité et le destin de cet Ulysse mortel qui devra accepter le vieillissement et donc la mort (mais dans un monde livré au hasard et non aux caprices des Dieux).



La narration maintient toujours notre curiosité en éveil, évitant toute lassitude. Si elle ne perd jamais de vue le cap qui donne l'élan, elle n'avance pas en ligne directe, les sentiers bifurquant au hasard des rencontres. Et une alternance de longues pauses et d'accélérations, traduisant notamment la tension entre ces désirs antagonistes de rester ou de partir, de cheminer ou d'arriver, impulse au voyage une grande dynamique. Tandis que de nombreux flashes-back imbriquent mille et une histoires et que l'auteur apporte beaucoup de vie à ses scènes, tant grâce à la force évocatrice de ses descriptions qu'à d'alertes dialogues et à un humour bien aiguisé.



4) S'il y a de très beaux personnages masculins, ils ont surtout un rôle de mentor, de clairvoyants conseillers ou de confidents. Hormis Andreï Larsvic, "homme-miroir" du héros, sorte de double inversé qui vient l'éclairer sur lui-même



5) Il apprendra ainsi à user de sa dépossession au lieu de la combattre





Encadré d'un prélude et d'un final, le roman est construit comme une symphonie en quatre mouvements aux tempi différents et aux temporalités et points de vue narratifs variés.



Narré d'emblée au passé simple sur le mode du conte par un Ulysse-narrateur, le premier et lent mouvement (Europe), relativement linéaire, initie cette épopée moderne rénovant le mythe antique qui, de Paris à une île suédoise de la Baltique, conduit le héros au Portugal où la rencontre impromptue de la séduisante Agnès lui rappelle son handicap. Et ce n'est qu'après s'être posé de longs mois dans le paisible bourg de Seixal sur l'estuaire du Tage que la bien nommée Beatriz lui offrira un temps, dans sa candeur, l'espérance du paradis.



Tout s'accélère dans le deuxième mouvement (Afrique) qui, agité et saccadé, effectue un saut de vingt et un mois nous propulsant directement dans un vivant présent à l'étape suivante : Matakong où le héros, retenu pendant un an dans la compagnie des douces magiciennes Gloria et Aïda, reprend ses notes pour écrire une sorte de journal racontant mois par mois les multiples péripéties vécues depuis son départ de Seixal. Il raconte ainsi le trépidant parcours qui le conduisit du mythique détroit de Gibraltar et de la ville de Tanger, jusqu'à ce que le cargo d'un sulfureux trafiquant serbe devant théoriquement rejoindre les Canaries le débarque pour une escale en Guinée où il ne reviendra le prendre que bien plus tard. Un parcours rocambolesque l'ayant confronté à l'enfer humain, à «la boue et la douleur», mais aussi terrifié par ce qu'il découvre de l'homme en lui : «Devenir un esclave consentant n'emprunte plus un chemin d'aberration dévolu aux seules personnes dites faibles ou veules. C'est une vocation qui nous concerne tous.»



Le troisième mouvement (Traversées) accompagne le héros aux Canaries où il restera plus longtemps que prévu, ayant noué une idylle prometteuse lui faisant presque oublier son but. Puis, finalement congédié par Malvina Sand, il traversera enfin l'Atlantique vers Montserrat sur le voilier d'un très original Ecossais. Une partie opérant un net ralentissement, proche parfois d'une quasi immobilité, conduisant à une approche plus sereine du temps et s'accordant aussi à l'appréhension de la rencontre avec cette inconnue et du terme du voyage. Retournant au passé et abandonnant le "je" pour la troisième personne, le narrateur y prend alors également en compte le point de vue d'Anna.



Enfin, dans le court dernier mouvement (L'affaire Odysseus) qui nous plonge dans l'accélération contemporaine, nous retournons avec Alexandre dans le monde littéraire parisien pour suivre le lancement de son livre : un réveil brutal.



Et si le Final complète le Prélude/préface en retraçant le chemin éditorial du Dernier Ulysse depuis la disparition d'Alexandre, il faudra attendre de consulter en Annexe les «segments restaurés» ayant résisté au transcodage pour mieux comprendre les raisons de cette disparition.







A contre-courant de la fiction réaliste, et de «ceux qui pour montrer le monde filment leur nombril», Laurent LD Bonnet défend une littérature de l'imaginaire. Et une vision borgesienne du temps sous-tend cet ouvrage où il témoigne d'une certaine parenté avec l'auteur de la Bibliothèque de Babel (6). Dans Le dernier Ulysse, le temps est ainsi moins approché dans sa linéarité que dans son épaisseur vertigineuse, dans son universalité riche de tous les possibles. Le récit fictionnel vient ainsi toucher à l'éternité : «Chaque histoire offerte avait germé en des milliers d'imaginaires, enfantant de milliers, de millions, de milliards d'autres, emplissant l'univers de l'imaginaire humain d'un gigantesque peuple de personnages qui se contaient ou s'écrivaient dans la trame d'une histoire infinie, toujours en mouvement, à jamais insaisissable».



Et les auteurs survivraient à leur fiction, voyageant dans nos rêves en «animant tout un peuple de personnages qui se mettraient à vivre en nous».



6) Nouvelle publiée en 1941 dans la première partie (Le jardin aux sentiers qui bifurquent) de son recueil Fictions. Une bibliothèque y renferme ainsi tous les livres déjà écrits et ceux à venir nous renvoyant à la quête infinie et éternelle du sens de la vie.



Au contact de ses rencontres, Alexandre Mauvalant fabrique une multitude, une diversité de destins. Par le biais de visions fulgurantes, sortes «d'excroissances temporelles», le voyage lui révèle en effet sa capacité à deviner puis à raconter les destins imaginaires des gens ordinaires rencontrés. Il les voit, perçoit leurs autres vies, découvre ces «destins alternatifs», «tous ces potentiels qui avaient existé». Son imaginaire se révèle ainsi «capable d'accéder au cœur le plus secret de ces gens jusqu'à l'informulable et parfois l'inconscient labyrinthe de leur choix.» Et l'humble rôle de l'écrivain s'avère ainsi celui d'écrire le conte de leur mille et une vie : «Ecrire pour les gens. Ecrire l'irréalisable part d'eux-mêmes, celle qui au bout d'une vie se constitue d'autant de destins que de choix délaissés.»



Une conception qui n'est pas sans évoquer Pierre Michon exaltant de même dans Les vies minuscules cette fiction sans laquelle il ne resterait plus trace de la réalité des petites gens, de "leurs éclatants désirs au sein du réel terne", de ces mille romans que l'avenir a défait.





Cette mutation de son inspiration sous forme de visions favorise par ailleurs une réelle empathie, une fraternité avec tous ces gens, «comme si une part de [lui] était entrée dans leur vie», l'inspiration nouvelle qui l'anime ayant «puisé sa source au cœur de [ses] frères et sœurs de cette terre, au cœur de leur liberté de choisir, présente, encore, toujours même infime». Et la fiction littéraire, dans l'humanité et la fraternité qu'elle induit, apparaît alors comme un rempart contre la barbarie : «Raconter, partager, écrire, lire des milliers d'histoires pour que le lien d'humanité qui nous préserve encore de la barbarie puisse subsister. »



Tout comme une des héroïne d'Auður Ava Olafsdóttir dans La vérité sur la lumière, pour laquelle l'homme est une espèce animale dont la seule supériorité s'avère le "don admirable d'écrire des poèmes", il semble que chez Laurent LD Bonnet «l'infraconscient créatif» soit une «faculté innée constitutive de la nature humaine» : que l'Homo Sapiens soit «avant tout créateur».



Le dernier Ulysse est ainsi un hymne aux pouvoirs de l'imaginaire, au rêve et à la liberté, qui nous propulse dans le royaume enchanteur et incommensurable du récit, l'auteur semblant penser, à l'instar de son personnage-éditeur, que «l'avenir du livre sera onirique ou ne sera PAS».



Un grand livre qui résonne et laisse des traces.


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Salone

Salone, c'est le Sierra Leone. Des gens y vivent depuis longtemps, se battent pour survivre de génération en génération, ont fui l'esclavage et fuient toujours les combats. Lieu de tous les trafics illicites (diamants, armes...), lieu de brassage, lieu de calme aussi parfois. Jamil le sierra-léo-libanais finalise son plan de trafic juteux, ailleurs une femme est en fuite et doit renoncer à son bébé, près d'une plage, Nelson tient son bar et observe son pays qui change...



Un livre choral qui nous plonge dans les ténèbres et en même temps sous le soleil d'un pays si particulier que le Sierra Leone. Un pays à l'Histoire récente bouleversée, des populations qui arrivent à communiquer malgré leurs langues maternelles issues de l'Afrique de l'Ouest toute entière, grâce au krio, ce pidgin de Freetown.



Les chapitres s'enchaînent en présentant des vies de personnages différents, à des époques différentes. Agréable de croiser ces trajectoires, compliqué parfois de chercher un lien entre eux. J'ai regretté de ne pouvoir apprécier pleinement ce roman très ancré dans la réalité sociale et politique de ce pays. Car il est indéniable que l'auteur connaît son sujet, navigateur, voyageur et témoin attentif qu'il est. L'écriture est talentueuse, les portraits sont convaincants, mais il m'a manqué quelquechose... mais quoi..... Peut-être aussi la frustration de perdre de vue les personnages qui ouvrent le roman, tel Jamil, que l'on laisse à la sortie du désert, haletant et hautement stressé.... comme moi !


Lien : http://chezlorraine.blogspot..
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Salone

Entre la fresque historique, le reportage journalistique et le roman pur et simple, Laurent Bonnet n'a pas réussi à choisir ! Cela donne un récit rempli d'anecdotes savoureuses, de situations écœurantes, d'ambitions démesurées, de courage profond, d'humanisme exacerbé, ou encore de gabegie invraisemblable et d'avidité ignominieuse
Lien : http://www.actualitte.com/cr..
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Nathalie Libraire à Caussade : Dans l'écriture de Laurent Bonnet , rien n'est laissé au hasard, les tournures, les virgules, les respirations, la sémantique, et cette fin magnifique, presque philosophique qui fait réfléchir et relativiser.
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Dix secondes

Dix Secondes

Laurent Bonnet

Vents d'Ailleurs

18 euros





Après Salone, qui a obtenu le Prix Senghor 2013 du premier roman et le Grand Prix du salon du livre de la Rochelle 2012, Laurent Bonnet revient, avec le même éditeur, sur les présentoirs des librairies dans un tout autre registre. On peut constater que Vents d'Ailleurs a confiance en leur poulain car le roman Dix Secondes a peu de chose à voir avec la ligne éditrice de la maison. Après la grande épopée lyrique à plusieurs voix, ce nouveau roman est une œuvre intimiste centrée sur un seul personnage. On retrouvera bien les phrases ciselées, le choix têtu de mots déroutants et même quelques néologismes, mais nous découvrons un autre auteur dans ce court texte de 120 pages. Il vous faudra un peu plus de 10 secondes pour le lire, mais guère plus, même si la fin vous obligera probablement à reprendre les premières pages. Antoine est un presque quinquagénaire qui a gardé un regard adolescent à la François Truffaut et le prénom n'est probablement pas une coïncidence. Comme tous les adolescents des années post-68, il a été un garçon timide, tiraillé entre le respect des traditions et l'explosion de libertés sociales qui caractérise la période. Comme tous les garçons de son âge, l'approche des filles ou des femmes est un processus difficile à enclencher et il se refuse à profiter des booms et des slows dans les lumières tamisées pour avancer ses pions. Nous le retrouvons bien plus tard en adolescent éternellement attardé. Bien qu'il ait (et les notations sont brèves) avancé dans la vie, s'est marié, a eu un enfant, a divorcé, a un métier rémunérateur, Antoine voit les années passer mais reste convaincu de la martingale concoctée quand il avait 17 ans. Personne ou presque ne peut supporter un regard plus de 10 secondes et celle qui le fera sera l'amour passionnel et éternel. Sur le quai de la station de métro de Filles du Calvaire (et est-ce encore une coïncidence que cette station soit celle du Lycée François Truffaut?), il rencontre enfin celle qui ose soutenir son regard autant de secondes. C'est un fait que, dans notre civilisation, soutenir le regard d'un étranger plus de quelques secondes est un acte de bravoure ou d'inconscience, et, pour une femme, une provocation. Il en serait différemment si la scène se passait, par exemple, sur les trottoirs de Buenos Aires. Avec l'aide de Jacques, le serveur du bistrot qu'il fréquente à proximité, il concocte un message sibyllin pour la retrouver, et, fidèle à une mode surannée, le passe dans les petites annonces de Libé. S'ensuit un cours de numérologie où les dates de rencontre s'échelonnent sans succès. Cette connivence du regard doit mener Antoine au succès mais les aléas sont trop grands et il trouvera de l'aide en chemin.

Dix Secondes est une nostalgie du temps qui passe. Calculé en secondes, ce temps semble infini et pourtant l'adolescence, ses rêves, ses utopies, son sentiment d'être unique, incompris laisse place à la réalité qui est souvent banale et triviale. C'est ce contre quoi, Antoine s'insurge à sa manière. Sous les pavés, existe toujours la plage? Dix Secondes est une tentative de suspendre le temps, de retrouver ces jeux, parfois absurdes, que l'on s'est inventé quand, comme Rimbaud, nous pensions être voleur de feu. Mais on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans et Rimbaud, grand voyageur comme Laurent Bonnet après ses frasques de poète, ne pourrait pas contredire que les espoirs d'Antoine risquent d'être déçus.

L'attitude du héros envers son défi reste ambiguë tout au long du livre. Il continue de vivre sa vie sans se focaliser sur cet exercice d'attraction. Il croit que c'est possible et il le pense improbable, il multiplie les obstacles mais il cherche à le rendre possible en faisant intervenir des comparses. Il pourrait, sans trop de difficultés, trouver d'autres méthodes pour retrouver Léa mais il préfère jouer sur une combinaison de numéros. Et l'auteur sait se moquer de son personnage: le pastiche du sketch d'Yves Montand et Simone Signoret, l'interaction avec l'étrange Roland de Louviny (Houdini?), les fréquentes remarques qu'il s'adresse in petto dénotent un scepticisme de bon aloi.

"Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse?", Laurent Bonnet nous livre ici sa réponse, mi-candide et mi-amère.
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Dix secondes

Pascal Thuot : Libraire à Vincennes : On est parfois si sérieux quand on a dix-huit ans. Pourquoi choisir de faire tenir sa future vie amoureuse dans un regard échangé de dix secondes, ni plus ni moins ? C'est le pari fou d'Antoine, un jeune homme diablement romantique, qui n'aura de cesse, sa vie durant, de poursuivre sa chimère aux yeux doux. Jusqu'au jour où Léa soutient son regard sur le quai du métro Filles du calvaires... Avec ce deuxième roman, Laurent LD Bonnet, Prix Senghor 2013 pour "Salone", confie la tendresse de sa plume à la poésie des chiffres et à la rondeur des mots. "Dix secondes" exalte le sentiment amoureux sous la forme originale d'une énigmatique carte du tendre.



Nathalie Couderc Libraire à Caussade : Je ne savais pas ce que j'allais lire et la première réflexion qui m'est venue en lisant c'est : quelle écriture ! Ca fait du bien de lire un texte avec une écriture subtile, sensible et surtout d'une justesse incroyable par moment. Et quel final ! Je ne m'y attendais pas et j'avais vraiment envie de savoir si Antoine allait retrouver Léa ! Le territoire de la séduction est assez vaste. C'est ici concentré sur quelque chose de terrible, de sensible : le regard. C'est vrai qu'il se passe toujours 10 000 choses dans le regard. D'ailleurs la théorie du regard évoqué dans les pages 55 et 57 , c'est tellement çà...Finalement le point de vue des hommes et des femmes se rejoignent énormément, la seule chose qui diffère (et encore) ce sont les mots que nous y mettons pour l'exprimer. Dans l'écriture de Laurent Bonnet , rien n'est laissé au hasard, les tournures, les virgules, les respirations, la sémantique. C'est assez rare ces derniers temps chez les auteurs masculins. L'écriture aérienne ressemble à une écriture féminine ! Et cette fin magnifique, que le lecteur n'attend pas, presque philosophique et qui fait réfléchir et relativiser. Bravo et surtout merci pour ce très bon moment de lecture, cette respiration.
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