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Critique de pintorbook


Dix Secondes
Laurent Bonnet
Vents d'Ailleurs
18 euros


Après Salone, qui a obtenu le Prix Senghor 2013 du premier roman et le Grand Prix du salon du livre de la Rochelle 2012, Laurent Bonnet revient, avec le même éditeur, sur les présentoirs des librairies dans un tout autre registre. On peut constater que Vents d'Ailleurs a confiance en leur poulain car le roman Dix Secondes a peu de chose à voir avec la ligne éditrice de la maison. Après la grande épopée lyrique à plusieurs voix, ce nouveau roman est une oeuvre intimiste centrée sur un seul personnage. On retrouvera bien les phrases ciselées, le choix têtu de mots déroutants et même quelques néologismes, mais nous découvrons un autre auteur dans ce court texte de 120 pages. Il vous faudra un peu plus de 10 secondes pour le lire, mais guère plus, même si la fin vous obligera probablement à reprendre les premières pages. Antoine est un presque quinquagénaire qui a gardé un regard adolescent à la François Truffaut et le prénom n'est probablement pas une coïncidence. Comme tous les adolescents des années post-68, il a été un garçon timide, tiraillé entre le respect des traditions et l'explosion de libertés sociales qui caractérise la période. Comme tous les garçons de son âge, l'approche des filles ou des femmes est un processus difficile à enclencher et il se refuse à profiter des booms et des slows dans les lumières tamisées pour avancer ses pions. Nous le retrouvons bien plus tard en adolescent éternellement attardé. Bien qu'il ait (et les notations sont brèves) avancé dans la vie, s'est marié, a eu un enfant, a divorcé, a un métier rémunérateur, Antoine voit les années passer mais reste convaincu de la martingale concoctée quand il avait 17 ans. Personne ou presque ne peut supporter un regard plus de 10 secondes et celle qui le fera sera l'amour passionnel et éternel. Sur le quai de la station de métro de Filles du Calvaire (et est-ce encore une coïncidence que cette station soit celle du Lycée François Truffaut?), il rencontre enfin celle qui ose soutenir son regard autant de secondes. C'est un fait que, dans notre civilisation, soutenir le regard d'un étranger plus de quelques secondes est un acte de bravoure ou d'inconscience, et, pour une femme, une provocation. Il en serait différemment si la scène se passait, par exemple, sur les trottoirs de Buenos Aires. Avec l'aide de Jacques, le serveur du bistrot qu'il fréquente à proximité, il concocte un message sibyllin pour la retrouver, et, fidèle à une mode surannée, le passe dans les petites annonces de Libé. S'ensuit un cours de numérologie où les dates de rencontre s'échelonnent sans succès. Cette connivence du regard doit mener Antoine au succès mais les aléas sont trop grands et il trouvera de l'aide en chemin.
Dix Secondes est une nostalgie du temps qui passe. Calculé en secondes, ce temps semble infini et pourtant l'adolescence, ses rêves, ses utopies, son sentiment d'être unique, incompris laisse place à la réalité qui est souvent banale et triviale. C'est ce contre quoi, Antoine s'insurge à sa manière. Sous les pavés, existe toujours la plage? Dix Secondes est une tentative de suspendre le temps, de retrouver ces jeux, parfois absurdes, que l'on s'est inventé quand, comme Rimbaud, nous pensions être voleur de feu. Mais on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans et Rimbaud, grand voyageur comme Laurent Bonnet après ses frasques de poète, ne pourrait pas contredire que les espoirs d'Antoine risquent d'être déçus.
L'attitude du héros envers son défi reste ambiguë tout au long du livre. Il continue de vivre sa vie sans se focaliser sur cet exercice d'attraction. Il croit que c'est possible et il le pense improbable, il multiplie les obstacles mais il cherche à le rendre possible en faisant intervenir des comparses. Il pourrait, sans trop de difficultés, trouver d'autres méthodes pour retrouver Léa mais il préfère jouer sur une combinaison de numéros. Et l'auteur sait se moquer de son personnage: le pastiche du sketch d'Yves Montand et Simone Signoret, l'interaction avec l'étrange Roland de Louviny (Houdini?), les fréquentes remarques qu'il s'adresse in petto dénotent un scepticisme de bon aloi.
"Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse?", Laurent Bonnet nous livre ici sa réponse, mi-candide et mi-amère.
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