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Citation de Charybde2


En tout cas, j’étais fier de mon intronisation auprès d’eux. À présent que je faisais partie des leurs, ils m’avaient d’ailleurs confié quelques-uns de leurs secrets. J’avais appris, par exemple, qu’ils quittaient régulièrement le Centre, à l’heure des ombres. Qui à cheval sur un mouton d’écume, qui traversant des catacombes secrètes, d’autres encore attachés aux pattes d’oiseaux de nuit, ils s’en allaient rendre visite aux enfants malades.
Peut-être parce que je leur avais lu Les Araignées, de Boris Vian, en leur expliquant ce que voulait dire ce poème : les enfants malades veillés par les vieilles personnes n’y meurent pas de leur maladie, mais leur maladie est elle-même une construction des vieilles personnes qui engendre leur mort.
Alors, les Monuments s’en allaient et entraient par les fenêtres des enfants malades pour leur faire le récit de vies extraordinaires, de trouvailles miraculeuses : ils réveillaient l’imagination éteinte des enfants malades de la pensée filtrée. Puis ils revenaient et n’en parlaient plus. Sauf, à demi-mots, dans mon bureau.
Et parfois, ils ne rendaient pas visite aux enfants. Quand la pensée était trop lisse, qu’il n’y avait plus de prise pour y accrocher les émotions humaines et que la pesanteur s’en trouvait si complètement altérée qu’on ne pouvait plus marcher droit, ils s’amusaient à terrifier leurs parents. Enfin, ils considéraient cela comme leur devoir, mais il me semble tout de même que ça les amusait beaucoup. Ils les réveillaient en pleine nuit, dans leur chambre d’honnêtes gens anesthésiés, et ils leur parlaient des fantômes des noëls passés ou de la vieillesse en gelée qui vit dans la télévision. Je savais qu’ils pouvaient être très impressionnants. Si les honnêtes gens étaient trop sages, ils les secouaient doucement. C’était nécessaire. Et ils n’aimaient pas abîmer leurs affaires, mais en prélevaient des échantillons qu’ils rapportaient au Centre.
Quelques jours plus tard, ils retournaient voir les enfants. S’ils n’étaient plus malades et que leurs pensées avaient brisé leurs chaînes, il y avait des sourires d’enfants qui se dessinaient dans les fines particules au-dessus des oreillers, pour indiquer qu’ils rêvaient. Il faisait nuit, mais les sourires d’enfants qui rêvent projettent toujours une lueur pâle autour d’eux quand il y a des Monuments. Alors les Monuments rapportaient aux parents les échantillons de leurs affaires, emballés comme des cadeaux de Noël. Normalement, les enfants n’étaient plus malheureux, après.
Cependant, parfois, cela ne fonctionnait pas, lorsque les circonstances familiales étaient compliquées. Peu après, certains parents disparaissaient, sans laisser de trace. Comme ça, le hasard. Ou alors, les Monuments avaient simplement fait leur travail.
Puis, l’on pouvait voir des sourires revenir dans la chambre des enfants…
Certes, j’étais le plus souvent incapable de les suivre, n’étant en somme que novice dans le registre de la décompensation poétique, et mon esprit se perdait rêveusement au fil de l’onirisme ambiant.
En somme, j’étais là où je devais être depuis que je vivais dans le Centre. Même si je n’ai jamais cessé d’y penser avec nostalgie, comme si je savais déjà que cela prendrait fin prochainement.
Je savais que je devrais quitter le Centre, mais un retour à la vie normale me terrifiait.
Parce qu’il signifiait devoir réapprendre à faire avec moi-même et mes petits passagers clandestins…
À moins que…
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