J'opte pour ma direction favorite: l'azimut. Mes pas me guident vers quelques édifices comme l'Église des jésuites Saint-Georges, la Chapelle Notre Dame ou l'église romane Saint Pierre. Que de bondieuseries au kilomètre carré... Je remercie mon scepticisme à la limite du pyrrhonisme de m'épargner l'envie de visiter ces lieux. Oui, on peut être un voyou et avoir une culture critique et de fait, je vous emmerde.
[INCIPIT]
Avant toutes choses, j'aimerais éclaircir avec vous certains points importants. Histoire que vous ne vous fassiez pas de fausses idées, de faux aprioris ou que vous deviez vous fader tout le bouquin pour que dalle. Je m'appelle Jean. Jean PIerret si vous voulez pousser le bouchon de la curiosité un peu plus loin. Je suis né en 1932. Où et comment, cela ne vous regarde pas. Le fait est que je suis, comme on dit, "d'origines douteuses". Là où votre vie est peut-être ouvrière, intellectuelle, bourgeoise ou que sais-je, la mienne est faite de tours et de détours dans un milieu fermé que l'on appelle le mitan. J'y baigne depuis de nombreuses années et je ne compte pas en sortir de sitôt, même si les képis aimeraient bien m'envoyer à nouveau au trou. C'est sans doute une façon de vivre qui vous échappe. Une voie parallèle qui semble révolter les bien-pensants et les bien-nés mais c'est celle qui me plaît.
Il est des instants de vie qui restent gravés dans la mémoire quoi qu'il arrive. Les néons, les tables, les chaises, les couleurs, les odeurs, les verres, les bouteilles, les bruits. A vingt piges, même avec des gros bras, t'es quand même encore un minot devant une tablée de trafiquants qui te fixent en te faisant passer un message bien clair : chacun à sa place, chacun dans son rôle et surtout pas de paroles.
Recroquevillé sur le lit à attendre que les heures passent, je me remémore les bribes de connaissances littéraires que j'avais reçues pour enseignement à l'orphelinat de la Charité à Béthune. Une citation de Blaise Pascal me revient en mémoire « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre » et à cet instant précis, j'ai comme une envie soudaine de lui mettre à travers la tronche sa citation. Suis-je en train de vivre une expérience Pascalienne ? Je n'en sais rien, mais ce qui est sûr, c'est que je n'y ajoute pas le facteur « Dieu ». Je serai plutôt en ce moment dans un passage Baudelairien « l'homme ivre du nombre qui passe porte toujours le châtiment d'avoir voulu changer de place ». Comme quoi nous sommes tous des orphelins. Bon, maintenant si les poètes, philosophes, moralistes et autres théologiens voulaient bien sortir de ma tête cela me libérerait de la place.
Les fauves ne sortent que la nuit et Paris aime les accueillir dans ses bouis-bouis, ses bars, ses lieux branchés où le funk, la soul et le disco se donnent à fond. Personnellement, je préfère aller traîner du côté de La Bulle, rue de la Montagne sainte Geneviève. C'est là que le vrai rock des années 1970 explose, après que le Rock'n'roll Circus et l'Open One ont fermé. C'est aussi là que se croise le gratin de la voyoucratie parisienne du moment. Il faut y aimer les odeurs d'herbe et la présence de mannequins ou de gens du showbiz. Ça fume, ça deale, ça picole, ça se tripote et ça se pique dans les alcôves. Et ça baise aussi bien dans les chiottes que dans les contre-allées entre les tables. Par contre, sur scène, c'est que du top. Un régal pour les cages à miel.
Mon ami fait dans le trafic de poudre blanche avec une technique toute particulière : la réduction des quantités et de la vitesse. Il m'a expliqué sa théorie un soir d'hiver, autour d'une vieille liqueur locale conçue pour faire tomber les dents de sagesse.
Jacky est repassé rue de la Convention, a redemandé son oseille au plombier zingueur et avant que cela vire au pugilat, lui a crevé un œil avec une chute de cuivre de diamètre quatorze qui traînait là. Preuve en est qu'il faut ranger ses affaires.
Dans la mafia Sicilienne, chacun se doit de rester à sa place et de faire ce que les strates supérieures imposent. Une seule base: l'argent. Pour soi bien sûr, mais aussi pour la famille et les amis. Le tout sur fond de tuerie en toute impunité. Le fait est que lorsque tu as un petit doigt dans l'organisation, ou bien tu marches ou bien tu crèves.
D'un autre côté, la « fratellanza », fraternité, n'est pas un vain mot.
Ici, côté bagarres, c'est comme les départs d'avions à Orly, une toutes les trois minutes.
L'homme est un chien pour l'homme, alors que dire lorsqu'il s'agit d'une femme.