LE BLEU DE L'ÉCRIT
Tant de Bleu dans les mots du poète
Tissé enlacé en lacis caressants, le Bleu s'étire et s'affirme
Oh mon Bleu ! L'intransigeance à ma porte
Ouverte sur la béance de l'azur
Bleu, teinte pure sur nos horizons
Bleu, teinte obscure en lisière des ténèbres
Bleu, fleuve d'encre au long des berges d'une âme...fleur bleue
Bleue cette mémoire vive enchâssée en cartouche sur de l'ébonite
Bleus mes cahiers d'enfance
Bleues les prairies vertes de la mer frémissante
Bleus certains yeux...chut !
Bleues aussi ces traces de peine sur l'épiderme de mon coeur
Bleue la vitre profonde des cathédrales
Bleu l'espoir iridescent de Giotto
Bleue cette ligne chrétienne de fuite
À la rencontre du rêve vert d'un Orient voué aux déserts
Bleu le drap rêche du touareg sans retour
Bleues les mosquées d'Ispahan sous des souillures de terreur
Bleu le tapis de la nuit au septentrion
Bleue la vague absolue du grand japonais
Bleus tous ces espoirs de peuples décousus
Bleue l'oeuvre entière de l'homme à son ouvrage
Tant de Bleu, oui, tant de Bleu dans la création
Outremer, indigo, roi
Pétrole, presque gris, turquoise, presque vert
Cyan, presque pur
Bleu Bleu Bleu, promesse de mots dans la métaphore de demain
Bleu épris entre blanc et noir
Presque blême avant que la nuit ne l'emporte
Bleu enfoui là, dans un silence aux couleurs de geyser
Bleue cette Terre ignorante aux confins de l'espace
Bleue, isolée, si ronde sous ses écharpes blanches, agrippée au néant
Bleu mon amour comme un rêve de jeune fille
Bleues mes caresses sur ta peau de ténèbres
Bleus mes baisers sur tes lèvres de myrtes
Bleu mon désir entre tes mains de nuit
Ce bleu, encore un peu, encore une fois
Ce bleu, il n'y en a plus
Oh, le bleu de l'oubli
Bleu phocéen, effacement maritime
Bleue, avec des petites bulles, mon âme dissoute dans les abysses
Bleu ce tremblement souterrain où je ne suis plus rien
Tout ce bleu qui demeure, indifférent filigrane
Tout ce bleu dans l'écrit, écrin de nos vies
9 novembre 1999
Pain
Dans une saveur de faim dure
Le pain essaime des arômes d’ivresse
J’ai dans ma bouche le craquement doux
L’or des hauts fourneaux
Où des hommes en blanc font fleurir le blé
Dans la saveur des faims sauvages
Le pain est dur et doux
Blond dans la main lourde de l’envie
Noir sous les doigts meurtris de la misère
Mais pain
Toujours
Hier le pain
Hier la faim
Pain tempête des désirs affolés
Pain torrent des jeunesses ivres de lendemains
Pain aux saveurs jamais combles
Mais pain d’hier, oui
Gravé en rides aiguës
Tout contre mes lèvres
Dans la ronde du temps
Des céréales dansent
Paysages de craquelures poudrées
Effluves de printemps
Sel des étés
Chaque bouchée éperonne le souffle
Chaque bouchée nourrit de chaud les hivers en souffrance
Nourrit de feu les nuits de faim
Pain fort des plaisirs infinis
Pain frêle des éternités fugaces
Pain qui délivre une bonté de paumes ouvertes
Jusqu’au dur de l’attente
La main plie
Geste brut
Sur la brisure du pain
Dans mon poing
Le premier plaisir
Sans mot
Sans voix
Un geste sans hâte vers toi
J’ouvre les doigts
Goûte la multiplicité du pain
Sa grâce dorée
Mords son baiser de vie
28 novembre 2001
‘Ombres et désordres’, pp. 47-48
Être…
Être, être seulement
à chaque instant
et toujours
pouvoir le dire
Dire aussi la vision
l’effroi
la peur qui devient lumière
Dire l’indicible
puis au-delà
30 octobre 2006