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Citation de Charybde2


La barque longue n’est chargée que de huit personnes, et le nautonier la manœuvre à la perche avec une habileté tranquille dénotant une longue habitude. Le matin est frais, la plupart des passagers dorment encore. Moïra, entortillée dans une couverture, regarde l’homme planter la gaffe dans les sables affleurant, invisibles sous le fin voile de brume qui masque la surface.
« Comment saviez-vous que le haut-fond était là ?
– Je l’attendais », répond le pilote sans quitter l’eau des yeux.
Puis, au bout d’un court instant :
« On se croise toutes les semaines, depuis vingt-cinq ans. J’ai vu grandir ce banc, je l’ai vu s’effondrer et presque disparaître certains printemps. Je sais quelle forme il aura la prochaine fois que je viendrai. Je connais mieux ce bout de rivière que mes propres enfants. Si je ferme les yeux, je vois chacun de ses méandres.
– Vous n’avez pas de carte ? »
L’homme rit doucement.
« Bien sûr que si. Je la garde ici. »
Et du bout de son index gauche, il se tape le crâne un peu longuement, du même geste que l’on fait pour signifier de quelqu’un qu’il est fou.
C’est pour ça que personne ne questionne les étrangers, se dit Moïra. Les gens ne connaissent d’autres lieux que ceux par lesquels ils sont déjà passés.
Le nautonier se penche pour retirer la gaffe, la relève bien haut. Il hume l’air froid, prend un instant pour regarder un vol d’oiseaux, replante sans regarder son outil à l’endroit idéal.
Il est si facile de se perdre quand on n’a pas de plan.
Moïra songe au plafond de la nurserie, à cette carte gigantesque dont elle ne parvient à se rappeler aucun détail. Un dessin du monde, document inestimable dont il ne reste, dans son souvenir, qu’un tourbillon de couleurs.
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