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Citation de Charybde2


J’avais découvert sur le Net pas mal de choses sur le management et la méditation.
Le courant dit de la « pleine conscience » était très à la mode chez les cadres. Pas besoin de creuser longtemps pour tomber sur des spécialistes, proposant à prix fort des bouquins de vulgarisation, des séminaires, des formations. Les noms des mêmes boîtes revenaient dans leurs références clientèle : Apple, Ford, Sodexo. D’autres citaient David Lynch et la méditation transcendantale ou les trous dans les buildings hongkongais , conçus pour faire circuler l’énergie du dragon.
Le New Age californien semblait s’être dissous sans mal dans la culture d’entreprise, lui apportant la petite touche orientale qui allait bien. Restait qu’aucun de ces experts, sur les photos, ne ressemblait à des sages bouddhistes ou à de vieux surfeurs de Long Beach. Quatre épingles, costards corporate, coupes proprettes. Leur tenue trahissait leur véritable fonction : la mise en place d’un nouvel outil de gestion du personnel.
J’avais échangé à ce sujet quelques mails avec Laurent, un pote de collège formé aux ressources humaines, qui avait été un temps consultant pour de très grosses firmes. Il avait totalement changé de voie quand il avait rencontré son copain actuel, un pénaliste syrien spécialiste des droits de l’homme. Il l’avait suivi à Bruxelles, où il bossait maintenant dans l’éducation populaire, pour le dixième de son précédent salaire. Laurent était le type le plus compétent que je connaissais, tous domaines confondus. Même si on ne se voyait que très rarement, il répondait toujours très vite à ses e-mails.
Au bout du compte, les entreprises ne s’intéressent qu’au tangible, m’écrivait-il. Ce qui leur importe c’est l’efficacité, le quantifiable. Si une quelconque dimension spirituelle est mise en avant dans leur discours, tu peux être certain que les techniques visent en réalité un objectif matériel précis. Aucun patron n’a besoin ni envie d’employés émancipés.
J’aimais son franc-parler, même si rien dans ce qu’il décrivait n’expliquait la façon harmonieuse dont s’articulaient, dans mon cas, les séances de méditation quotidienne et la pénibilité du travail. À toutes ces explications rationalisantes, je pouvais opposer un constat, énoncé sans fanfaronnade par le docteur Scheffner : le corps ne ment pas.
Je ne m’étais jamais senti aussi bien que depuis ces quelques semaines.
Mon esprit était plus vif. Mon régime plus sain. Un poids énorme de culpabilité me semblait levé après chaque séance. Et, malgré le manque de sommeil et les efforts physiques constants, mon corps était plus tonique et mieux défini qu’il ne l’avait jamais été.
J’ai fermé les yeux, seul sur mon canapé, et suis retourné par la pensée sur le tatami de la salle de sport. J’ai invoqué la voix de Parvadhi, un peu aiguë, tout à fait calme, avec ce drôle d’accent. Ses mots m’ont guidé jusqu’à ce sanctuaire à l’intérieur de moi-même. Je suis devenu dense et lourd et tiède.
Presque tout de suite après, je me suis endormi comme un bébé.

J’ai rêvé que mes pupilles étaient des trous. J’y enfonçai des baguettes de restaurant chinois pour retirer de mes globes oculaires de pleines pincées d’échardes noires. Je les déposais soigneusement dans une petite coupelle avant de recommencer.
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