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Citation de Charybde2


Il est minuit moins cinq et mon enfant ne naîtra plus aujourd’hui.
J’écrase une cinquième ou sixième cigarette sur le montant de la fenêtre : ce sont des clopes d’importation, roulées dans du papier jaune un peu froissé. Je ne fume pas d’habitude mais il me faut bien faire quelque chose pendant que Cora œuvre en salle de travail. Ils ont installé un frigo dans la pièce, un gros meuble blanc de fabrication américaine, tout vibrant et bourdonnant. Le calendrier de l’équipe de foot date de la victoire en finale de la coupe, il y a deux ans.
Je me rassieds sur le siège à roulettes, fauteuil de rond-de-cuir ayant perdu son maître et son bureau. Je tends l’oreille. J’ai tant de fois rêvé à ce moment, le premier cri, l’ouverture du rideau de la vie. Après, je me réveillais en sursaut, perdu dans le noir entre le lit et le plafond, un hennissement résonnant encore à mes oreilles. C’était une plainte du cheval blessé, de bête suppliant qu’on l’achève.
Minuit une. J’attends.
Mon père est mort le lendemain de ma conception. Je ne connais personne qui l’ait vu tomber de ses propres yeux, mais tous les sans-retraites de Yirminadingrad ont une version de l’histoire à raconter. Crâne ouvert sous la pression d’un sabot, colonne vertébrale brisée contre un montant de la glissière. Parfois ce sont les deux hanches. Parfois la nuque. On y ajoute des circonstances romanesques : un concurrent bouriate à barbe jaune l’aurait poussé, sa monture aurait pris peur à l’approche du grand virage… Autant de mises en scène pour embellir sa fin. Je crois plutôt que mon père était alcoolique et qu’il tenait à peine assis sur la jument quand a été donné le signal du départ. (« Cheval cauchemar »)
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