Leo Perutz

Je grelotte, le feu est sur le point de s'éteindre. Le vent de l'automne s'engouffre dans mon manteau déchiré dont les pièces virevoltent comme autant de diables grimaçants. La pluie tombe et tambourine autour de moi, elle gronde et crépite, on dirait qu'une peau de tambour est tendue sur le monde. Voilà une nuit où il ferait bon se réchauffer près du feu de camp en évoquant nos aventures victorieuses avec des compagnons d'armes blanchis sous le harnais. Mais hélas, je n'ai vraiment pas l'esprit à cela aujourd'hui, car pendant quinze heures je n'ai pas quitté le dos de mon vieux cheval. Nous avons emmené ici, dans le camp de l'empereur, le prince-électeur de Saxe, ennemi juré du pape et luthérien convaincu qui est parvenu à unir les princes protestants contre l'empereur et a même poussé la Bohème à se révolter. Il devra se prosterner aux pieds de Charles Quint et le reconnaître en toute humilité comme son très noble empereur.