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Critiques de Léo Thiers-Vidal (3)
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Rupture anarchiste et trahison pro-féministe

Braquer la lampe sur ce que certains voudraient maintenir dans l’ombre



La réédition de ces écrits et échanges est une très bonne nouvelle, car Léo Thiers-Vidal tend un miroir aux hommes, à tous les hommes et décrypte le masculinisme. Il ne s’agit plus, pour nous, d’adopter un positionnement « féministe » ou « anti-masculinisme » désincarné, mais au delà de la conscience d’être bénéficiaire de l’oppression exercée sur les femmes, de poser des actes, de renoncer à la totalité des bénéfices de cette oppression… « Nous bénéficions de la domination masculine qui structure toute notre société et la perpétuons souvent activement à travers nos prises de parole, regards, comportements… »



Je n’évoque que quelques idées et quelques textes.



Et pour commencer des analyses autour de la question « Penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive ». Les chercheurs-hommes engagés dans l’étude des rapports sociaux ne peuvent éluder les influences, les limitations de leurs analyses par leur appartenance au groupe social des hommes. (Sur le point de vue situé, voir les écrits des féministes et en particulier de Christine Delphy ou le livre de Michael Löwy : Les aventures de Karl Marx contre le baron de Münchhausen. Introduction à une sociologie critique de la connaissance). N’ont-ils pas « intérêt à se cacher à eux-mêmes le caractère oppressif de leurs rapports avec les femmes » ? Il ne s’agit pas ici de rapports abstraits, Léo Thiers-Vidal insiste sur le « refus d’emphatie envers les femmes », sur l’androcentrisme et sa traduction en égocentrisme politique : « l’évocation des rapports entre femmes et hommes amène ces hommes à parler de leurs vécus personnels en excluant progressivement le vécu des femmes concrètes dans leurs propres vies ». Il nous rappelle que « les hommes ont tout un répertoire d’attitudes consciemment destinées à obtenir tel ou tel résultat dans leurs rapports aux femmes », qu’il convient également « d’analyser de quelle façon nous-même continuons à les utiliser, y compris dans un contexte féministe ». L’auteur nous met en garde contre une analyse orientée de la socialisation des hommes : « Analyser la socialisation masculine avant tout à travers ses effets négatifs sur les hommes (sens masculiniste) empêche en effet de penser que cette socialisation a d’abord pour but et pour effet d’apprendre à une génération d’enfants à devenir des acteurs de l’oppression des femmes (sens féministe) ». Il reviendra sur ce sujet dans une nécessaire critique de Pierre Bourdieu.



Léo Thiers-Vidal propose de « procéder à des va-et-vient réguliers entre l’objet de recherche et le sens féministe » et de « rendre compte aux principales concernées afin d’éviter les nombreux écueils déjà documentés, dont celui d’une nouvelle exclusion des féministes par les recherches masculines sur les rapports sociaux de sexe ». J’ajoute que cette démarche devrait s’appliquer aux analyses des autres rapports sociaux.



Dans un texte « Le masculinisme de la »domination masculine » de Bourdieu », Léo Thiers-Vidal souligne des insupportables positionnements et analyses du sociologue, entre ignorance du « travail théorique fondateur effectué par des théoriciennes féministes francophones », surévaluation de la dimension symbolique, au détriment des « aspects matériels centraux de l’oppression des femmes par les hommes », vision désincarnée, victimisation et déresponsabilisation des hommes, ou négation des pratiques d’oppression produisant « la hiérarchisation qui elle-même donne lieu à la division en masculin et féminin », etc.



La majorité des universitaires hommes, dont Pierre Bourdieu, « refuse de prendre en compte réellement et honnêtement le travail théorique effectué par les femmes, en particulier lorsque celles-ci s’inscrivent dans une démarche féministe », sous-estime « le poids des pratiques matérielles oppressives sur le vécu des femmes », et échoue « à penser les dimensions matérielles et symboliques des rapports sociaux de sexe ». Ces hommes s’identifient positivement à leur masculinité, incapables de « reconnaître pleinement les violences structurelles et individuelles que les pairs masculins infligent aux femmes ». Ces universitaires développent une « vision euphémique, dépolitisée et symétrisée des rapports sociaux de sexe ».



Pour le dire autrement, Pierre Bourdieu se montre incapable de prendre en compte « son vécu matériel et symbolique masculin »



Je termine par le texte sur Bertrand Cantat, « Culpabilité personnelle et responsabilité collective. Le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat comme aboutissement d’un processus collectif » car, comme le souligne Léo Thiers-Vidal, il interroge toute une culture politique désincarnée dans la gauche radicale, qui « empêche alors souvent ces hommes de jeter un regard politique sur leurs propres pratiques, sur celles au sein de leurs propres collectifs ou organisations et sur celles au sein de leurs vies personnelles ». L’auteur souligne qu’une lecture anti-masculiniste incarnée des rapports sociaux de sexe aurait constitué à dire « J’ai beaucoup plus de choses en commun avec Bertrand Cantat que de différent. Les actes meurtriers de Cantat en disent beaucoup plus sur ma façon de vivre et d’agir que je ne veux bien reconnaître ». Tout cela ne relève pas du privé mais bien de la politique.



J’ai aussi notamment apprécié l’échange de l’auteur avec une féministe radicale (Sabine Masson) sur le queer : « Pour un regard matérialiste sur le queer » et la préface de l’ouvrage par Mademoiselle. Le titre de la note est inspiré d’une de ses phrases.



Oui, il nous faut briser, en permanence la solidarité masculine, « déconstruire le communautarisme masculin et sa solidarité mâle », et l’ensemble des solidarités qui « nous » placent dans le camp des dominants.



Et combattre « l’interdiction faite aux dominées par les dominants de s’exprimer sur leur vécu, de mettre des mots sur ces vécus, de définir selon leurs propres critères ce qu’elles vivent dans leurs interactions avec les dominants », et plus généralement dans l’ensemble des rapports d’exploitation et de domination.



Un livre à offrir à tous les « militants » radicaux, libertaires ou non.



Une « ouverture » ou un complément à l’indispensable : De « L’Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination, Editions L’Harmattan 2010


Lien : http://entreleslignesentrele..
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Rupture anarchiste et trahison pro-féministe

Ça fait du bien de lire un homme qui dénonce la domination masculine tout en admettant qu'il fait partie des dominants et qu'il en bénéficie : un point de vu correctement situé donc.



Plusieurs textes qui abordent ce qu'est le "féminisme des hommes" dans les milieux libertaires (spoiler, les hommes n'y sont pas plus féministes qu'ailleurs). D'autres sur une approche plus sociologique et enfin quelques textes sur le masculinisme (syndrome d'aliénation parental).
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De : Position vécue, subjectivité et conscience..

Je choisis cette phrase emblématique, extraite de travaux dirigés par Patricia Roux, comme introduction, résonance, à ma lecture de l’ouvrage de Léo Thiers Vidal : De « L’Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination. Autant le dire tout de suite, il s’agit, pour moi, de l’ouvrage lu, le plus important depuis le début du nouveau siècle.

Une lecture : en hommage à Christine Delphy, à toutes les militantes féministes côtoyées, pour M.



Qu’en est-il des hommes, non en tant qu’être humains, mais « en tant qu’individus genrés » ? « Quel rapport y a-t-il entre une structure sociale oppressive et des agents oppressifs ? De quelle façon ces deux éléments peuvent-ils être pensés simultanément ? »



Dès son introduction, l’auteur prend soin d’assumer une rupture décisive avec une conception norminative de thèse universitaire « partie intégrante de l’exercice scientifique » : « l’oblitération de soi » et affirme qu’il n’a pas« choisi d’organiser ce produit de telle façon à ce qu’il rende invisible cette dimension expérientielle. »



Ou pour le dire de manière encore plus explicite « Ce qui s’est imposé à moi, c’est que le choix d’octroyer une importance à l’expérience spécifique que constitue la production d’une thèse sur les rapports de genre, en tant qu’homme hétérosexuel blanc souhaitant contribuer à l’abolition de ces rapports, m’a amené à vivre cette production comme une expérience, un voyage – comme le mentionne le titre »De l’ennemi principal aux principaux ennemis » – avant d’être un récit désincarné à postériori ».



Je vais essayer de présenter une partie des multiples dimensions de ce livre, en fonction de mes connaissances et de mes ressentis (projections en retour d’interrogations ou de vécus), sans toutefois parler des expériences de l’auteur. Ma lecture sera donc « excessive ». Il ne s’agit pas ici de mettre en exergue des différences/divergences de vocabulaire ou d’approche, mais plutôt de partir du socle théorique présenté pour avancer dans le débat.



Des démarches complémentaires seraient, bien évidement nécessaires et en particulier les relectures de certaines propositions, ici présentées, avec les analyses sur l’imbrication des rapports sociaux de pouvoir (de sexe, de classe et de « race »).



Mais encore faudrait-il que ces autres lectures soient clairement axées sur l’oppression de genre, et non comme une confiscation des paroles militantes féministes, au nom de la science universitaire, de la position de « maître », d’un universel désincarné, dissolvant les hiérarchies, les rapport sociaux et les rapports d’oppression. J’ai le soupçon que certains privilégieront la discussion autour des divergences pour ne pas s’affronter à leur propre position sociale, leur propre position de dominant et donc d’oppresseur. Et refuser ainsi, une fois de plus, de prendre à bras le corps les causes (la construction sociale) de l’oppression des femmes et ses conséquences en terme de lutte pour l’émancipation. J’userai, plus encore qu’à mon habitude, de nombreuses citations, incitation ou invitation, je l’espère, à lire la totalité de l’ouvrage de Léo Thiers-Vidal.



Le premier chapitre est consacré à l’exposition des thèses du féminisme radical et de son point de départ le matérialisme au sens large : « analyser les rapports humains matériels concrets comme étant la base de la réalité humaine». Matérialiste, donc critique de l’idéalisme et de la naturalisation des faits sociaux, car le discours naturaliste « chosifie les femmes, les réifie dans la pensée elle-même », enferme les femmes dans leur « essence » et « attribue aux femmes, et à elles seules, des qualités naturelles ».



L’idéologique du naturalisme rend invisible « les rapports sociaux matériels à la base des catégorisations des humains en groupes naturels différents ». Et « cette remise en cause de l’évidence des groupes biologiques de femmes et d’hommes permet de revenir à la question des rapports de pouvoir entre hommes et femmes ».



La dynamique de pouvoir est « source de division et hiérarchisation des humains en hommes et en femmes ». Les auteures féministes radicales utilisent le concept de « classe de sexe ». Le sexe devient un marqueur, un signe de cette hiérarchisation sociale, « fruit d’un acte social qui consiste à réduire les nombreux indicateurs, plus ou moins corrélés entre eux et susceptibles de degrés composant à un seul indicateur source d’une classification dichotomique. » C’est le genre qui construit le sexe « le sexe masculin et le sexe féminin sont des créations culturelles basées sur certaines pratiques sociales d’oppression, d’exploitation et d’appropriation »



Léo Thiers-Vidal ne néglige pas la question hétérosexuelle et son traitement différencié par différentes auteures. Sans approfondir, je rappelle sur ce point «les lesbiennes ne sont pas des femmes » de Monique Wittig.



L’auteur aborde ensuite des modes d’exercice du pouvoir en traitant du monopole des armes et des outils, de la division socio-sexuée du travail, du mode de production domestique et l’annulation de la valeur du travail effectué par les femmes, de l’appropriation du corps des femmes, de la place de l’institution du mariage, du concept de sexage, de la domestication et de l’exploitation de la reproduction, etc.



Je donne quelques citations qui ne sauraient cependant se substituer aux analyses complètes des auteures citées et des conclusions intermédiaires de l’auteur :



« L’obligation sexuelle implique que les hommes se sentent propriétaires de leurs corps et revendiquent l’accès au corps des femmes », voir sur ce sujet la très grande réticence à reconnaître le viol conjugal,

« le fait qu’entre hommes et femmes est toujours supposé exister d’une façon ou d’une autre de l’amour, empêche de penser ces relations personnalisées (dont les viols, meurtre) en termes de rapport d’oppression »,

« La capacité de certaines femmes à la reproduction est majoritairement perçue et analysée comme une donnée naturelle, un événement biologique hors champ social, historique et donc des rapports de genre ; et elle est utilisée comme explication évidente de la place sociale des femmes dans les sociétés. »

« Toute la difficulté semble résider dans la possibilité de penser l’oppression en même temps que la marge de manœuvre, la structure déterminante ainsi que l’action créatrice, le niveau macro-social ainsi que le niveau micro-social – sans pour autant nier ou diminuer la place du pouvoir dans les rapports de genre. »

Et comment ne pas partager cette phrase de Léo Thiers-Vidal « je ne peux nier ma position sociale et sa détermination sur mon rapport au monde et aux autres » et cette invitation dynamique « l’enjeu pourrait donc consister à développer une théorisation octroyant plus de place à la marge de manœuvre des femmes, aux capacités de résistance et aux stratégies d’autonomie, tout en tenant compte du caractère structurel de l’oppression de genre et de la nature profondément oppressive des rapports femmes-hommes. »



Dans le second chapitre, l’auteur analyse les thèses et « analyses masculines engagées » et en particulier celles de John Stoltenberg, Daniel Welzer-Lang, Pierre Bourdieu ou Robert W Connell. Il en montre non seulement les limites méthodologiques et surtout les biais d’analyse. Si je partage la cinglante critique, du célèbre mais plus que discutable (exécrable) ouvrage de Pierre Bourdieu « La domination masculine », je ne m’aventurerai pas dans d’autres commentaires, ne connaissant que très marginalement les productions citées.



Le troisième chapitre permet à Léo Thiers-Vidal une analyse comparative des écrits féministes radicaux et masculins critiques « La conceptualisation genrée du pouvoir genré »



Les analyses développées dans cette partie me semblent décisives, elles ne paraitront déraisonnables ou scandaleuses qu’à ceux qui oublient le « humaines » des sciences du même nom et qui négligent les effets de l’asymétrie des genres.



« le savoir se construit donc également en fonction d’une utilité politique et non dans un vacuum socio-politique, que ceci soit d’ailleurs explicité ou non »,

« Un point de vue féministe, à ne pas confondre avec un point de vue des femmes, est donc le produit d’un processus – difficile mais également source d’épanouissement – de prise de conscience et d’engagement sociopolitique, qui n’est pas interchangeable avec tout un chacun décidant d’occuper un tel point de vue »

Ces deux énoncés impliquent de rompre radicalement avec la neutralité soit disant scientifique. Il convient donc tout à la fois de préciser explicitement la place sociale qu’occupe la/le chercheuse/chercheur et de redonner à la politique la dimension trop souvent évacuée de l’analyse rapports sociaux.



De nombreux auteurs masculins n’explicitent pas le « point de vue d’où ils écrivent, pensent et ressentent », comme si la « science » les protégeait des « contaminations » des rapports sociaux structurant « leur pensée, leur ressenti, leur subjectivité, leur comportement, donc leur accès au savoir ». Léo Thiers-Vidal insiste « Cette invisibilisation de la position d’oppresseur permet une illusion fondamentale, celle de l’objectivité et de la neutralité qui a donné lieu à une épistémologie objectiviste niant la nécessaire subjectivité des analyses scientifiques en général, et des sciences humaines en particulier. » Il convient d’assurer/d’assumer un déplacement, un décentrement des analyses, un abandon de son propre point de vue au profit de celui des féministes. La « coloration » ainsi souhaitée/nécessaire ne peut qu’animer/enrichir les dimensions scientifiques. Il existe évidement des bornes scientifiques à cette « politisation », pour ne pas sombrer dans les délires purement subjectivistes, mais aux fondements matériels bien avérés, du stalinisme ou du néolibéralisme, par exemple.



Contre des pratiques scientifiques neutralisantes, l’institution universitaire ou l’objectivité désincarnée, je soutiens la réhabilitation de la politique proposée par l’auteur « Seule l’instauration par les féministes d’un rapport de force défavorable aux hommes devrait permettre une réelle collaboration théorique et politique ».



Les analyses, y compris dans les organisations se réclament de l’émancipation, restent sous domination d’une pensée neutre, en fait, pensée masculine et sous-estime l’importance de l’oppression de genre « il me semble crucial de développer une analyse centrée sur les aspects structurels et systématiques des rapports de genre, tant que ces prémisses ne sont pas des acquis de la pensée masculine critique » (souligné par moi).



L’auteur poursuit en critiquant les analyses incomplètes en terme de classe niant l’oppression matérielle des femmes et souligne « l’asymétrie fondamentales des rapports de genre ». Faut-il de plus ajouter que « Cette oppression matérielle implique néanmoins une production symbolique (imaginaire social, discours et représentations, langage,…) source de significations » ? Léo Thiers-Vidal argumente autour de la prise en compte du vécu/savoir de l’oppression « il est nécessaire d’imposer un rapport de force inversé pour que ce savoir soit communiqué et puisse servir à une remise en cause du pouvoir masculin » et critique les approches considérant « qu’un même mécanisme extérieur agit parallèlement sur les hommes et les femmes et que les deux sexes seraient victimes de ce mécanisme. »



Ces différents éléments se traduisent par la critique d’une « mixité inégalitaire permanente qu’imposent les hommes aux femmes » et le soutien à une stratégie de non-mixité politique pour le mouvement des femmes. Sauf erreur, l’auteur n’utilise pas le terme d’auto-organisation, mais ses propos ne souffrent d’aucune ambiguïté à ce sujet.



J’indique aussi l’indispensable développement d’un « lien de reddition de compte vis à vis des chercheuses féministe radicales » et d’un positionnement choisi et ici réaffirmé « il me semble qu’une réelle considération du féminisme matérialiste implique, pour les hommes, non pas de critiquer les analyses féministes radicales, mais en premier lieu d’essayer de les comprendre réellement, sans biais androcentrique, et d’effectuer un travail théorique spécifique -suggéré par Nicole-Claude Mathieu -, celui du dévoilement et de l’analyse des moyens de l’oppression masculine. »



Il convient, me semble-t-il, de faire une lecture précisément politique de ce positionnement, prenant en compte l’asymétrie et la hiérarchisation des situations, pour dépasser les considérants naturalistes ou androcentriques, les « incorporations » de la domination, trop souvent négligés. Je reste plus dubitatif sur les possibles fonctions du dévoilement.



La seconde partie de l’ouvrage « Socialisation masculine et conscience de domination. Un cheminement spéculatif » est introduit par une discussion préalable sur la phénoménologie et l’interactionnisme. N’étant guère familiarisé avec ces notions, les éléments que je souligne, feront sens avec ma lecture des analyses suivantes, sans garantir qu’ils soient de cette teneur pour l’auteur. Mais n’est ce pas le lot commun de n’avoir que des connaissances limitées et de ne pas saisir toutes les dimensions inscrites dans un ouvrage aussi travaillé et riche ?



Quoiqu’il en soit, un-e lecteur/trice plus instruit-e saura probablement mieux exploiter les dimensions omises dans ma lecture.



« les agents ne sont ni entièrement agis ni entièrement agissants. Le contexte dans lequel ces agents grandissent et vivent les construit et ils contribuent activement à construire ce contexte. »

« dans la mesure où les rapports de genre occidentaux contemporains sont fondamentalement »interactionnels » de par la mixité asymétrique les caractérisant (l’hétérosexualité et la socialité), cet accent mis sur ces négociations intersubjectives est important, bien qu’il ne prenne pas suffisamment en considération l’asymétrie caractérisant ces »négociations » interactionnelles genrées »

« l’expérience de la domination est une forme particulière et déformée de la relation de type »nous » » citation de Lengermann et Niiebrugge, reproduite par l’auteur.

L’auteur va traiter successivement de « Conscience masculine de domination : modalités d’accueil des énoncés », « Socialisation masculine », « Hétéro-sexualisation » et « Expertise masculine ».



L’hypothèse de travail est simple : « Les hommes sont conscients d’opprimer. Cette hypothèse me semble une porte d’entrée, un outil heuristique innovant pour pouvoir proposer une description de la subjectivité masculine. »



Pour commencer, l’auteur revient, de nouveau, sur la production des savoirs sur les rapports de genre suivant le mode académique prédominant pouvant être caractérisé de la façon suivante : « le savoir est produit à partir d’une position pensée comme étant non située socio-politiquement ; le choix des objets de recherche et le mode de traitement de ces objets répondent à des logiques extra-théoriques d’évitement d’une confrontation à des pouvoirs existants ; le savoir produit est pensé comme ne devant pas répondre à des besoins sociopolitiques de groupes sociaux opprimés pour pouvoir être qualifié d’objectif, de scientifique ». Il s’appuiera sur les travaux de Christine Delphy (sociologue), Colette Guillaumin (sociologue), Nicole-Claude Mathieu (anthropologue), Michèle le Doeuff (philosophe), Paola Tabet (ethnologue) et Monique Wittig (écrivaine), des analyses se positionnant politiquement et intégrant « également de façon non euphémique et centrale la question des violences infligées par les hommes et endurées par les femmes ».



Ce que dit l’auteur sur les savoirs à propos des rapports de genre, peut bien évidemment être étendu à d’autres compartiments des sciences dites humaines (il suffit de lire les traitements hors politique des quarante ans de mai 68, pour se rendre compte des conséquences, y compris dans le domaine scientifique, de l’oblitération des groupes sociaux opprimés).



L’auteur classe les positions des hommes sur la hiérarchie de genre. En premier lieu la masculinité explicite « Dans ce modèle, les hommes ont adopté une éthique – un système de valeurs – explicitement masculiniste, et ont l’intime conviction que leurs pratiques sont moralement justes, autrement dit que l’usage masculiniste des femmes n’est pas moralement répréhensible ».



En second lieu une masculinité implicite « Ils intègrent des limites à leur comportement en fonction des femmes qu’ils définissent désormais comme ayant des intérêts propres et indépendants. Ils ont néanmoins en commun avec les hommes explicitement masculinistes le fait de maintenir un traitement spécifique des femmes, considéré comme légitime, de par la nature spécifique et complémentaire des hommes et des femmes. » Cette position qui est aujourd’hui hégémonique.



Troisième possibilité, un anti-masculinisme désincarné « L’anti-sexisme masculin en mixité est souvent marqué par une tendance à symétriser les rapports de genre » et « les hommes ne s’intègrent pas eux-mêmes à l’analyse en tant que sujets actifs ». Cela se traduit par l’adoption de façon sélective des analyses féministes et la marginalisation des thématiques d’oppression, d’exploitation et d’appropriation « c’est à dire d’une vision critique incarnéedes rapports de genre », sans oublier l’impensé de l’hétérosexualité « continuation d’un différentialisme théorique ».



L’auteur juge défend un anti-masculinisme incarné, reconnaissance par les hommes de leur implication dans (et bénéficiaires de ) cette oppression. Il faut, de son point de vue, en permanence, récuser la tendance à minimiser leur propre domination consciente des femmes.



Léo Thiers-Vidal termine cette sous-partie par une formule pesante « Cela exige, entre autres, de la part des hommes qu’ils fassent le deuil d’une perception positive de soi et de leurs pairs, qu’ils reconnaissent le caractère épistémologiquement limité et biaisé de la position vécue masculine et qu’ils acceptent de se vivre sur un mode dissocié, contradictoire, décentré et structurellement illégitime. »



Sur ce point, le problème n’est pas de reconnaître le caractère limité et biaisé de la position vécue masculine, ni de vivre sur un mode en partie dissocié, contradictoire ou décentré. Cependant, en dehors des périodes de forte mobilisation des femmes, instaurant socialement un déplacement/modification des rapports de force, la proposition de l’auteur me semble illusoire. Mon sentiment est que renvoyer chaque homme à son individualisation illégitime n’offre que peu de sens. Dans une première version de ce texte j’avais ajouté « si ce n’est une culpabilisation ne permettant pas d’agir/(sur)vivre ». Grâce aux commentaires aiguisés d’une première lectrice, Christine, que je remercie, j’indique que d’autres, dont Léo Thiers-Vidal, ne pensent pas qu’il ne s’agisse que d’une culpabilisation, ni d’une position paralysante. Je n’en reste pas moins très interrogatif. Mais dire cela, ne signifie pas qu’il ne puisse y avoir des écarts à creuser, des positionnements en rupture, de vrais renoncements aux positions bénéficiaires, de mise en cause de cette légitimité bafouante de l’égalité des droits et des êtres humains.



Réfléchir sur les pratiques masculines nécessite de penser leur caractère non aléatoire, homogénéisé et faisant système. Certes il n’existe pas « d’agent humains dont les pratiques sont uniquement structurées selon un seul axe », mais, dans un premier temps l’analyse doit séparer, isoler, simplifier, ici autour de la « notion spécifique de »position vécue » » dans un cadre patriarcal comme structure sociale. « Il s’agit ici avant tout de retenir le fait que la masculinité est le versant oppresseur d’une configuration matérielle-subjective de genre, qui peut – au niveau des contenus et dynamiques – varier géographiquement, historiquement et culturellement mais qui existe bien malgré ces variations contextuelles.
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