L’art de Meunier, qui présentement nous occupe seul, est difficile à caractériser, parce qu’il est infiniment complexe, divers, varié et contradictoire, comme toute image de la vie. « L’art de la pitié, l’expression suprême de la grandeur prolétarienne et de la misère ouvrière », clichés commodes qui, depuis dix ans, dispensent les critiques d’art de la peine de regarder et d’analyser les oeuvres nouvelles de l’admirable artiste. Où diable a-t-on vu dans cette oeuvre sculpturale une trace de ce lamento pitoyable qui est le motif banal, inspirateur ordinaire des artistes à tendances sociales?
Après la triomphale exposition du Cercle artistique de Bruxelles, il serait difficile de ne point être fixé sur la valeur supérieure de l’art de Constantin Meunier. Art de pitié, certes, mais surtout art de force, de témérité et de victoire. Constantin Meunier a osé dans la vie moderne, telle que le travail fiévreux et formidable l’a pétrie, choisir des êtres de réalité quotidienne et les camper aux frontons de l’art. Cela paraît tout simple. Néanmoins bien des artistes l’ont tenté vainement et Meunier est quasi le seul qui y ait réussi, constamment.
Son maître en peinture fut le père De Groux. Celui-ci, autant que son élève, se proférait un silencieux et un pensif. Leurs ardeurs et leurs vouloirs furent les mêmes : crier en art des cris d’humanité ; se rapprocher des pauvres, des humbles, des ployés ; réaliser en des plastiques magistrales les grandes attitudes du travailleur et de l'ouvrier ; surprendre des lignes nouvelles ; créer une forme moderne, grâce aux gestes, aux allures, aux démarches, aux équilibres, aux mouvements des hommes du peuple. Le bourgeois n’a pu fournir une vie assez expressive pour que l’art, le vrai art, l’incarnât. Ceux qui l ’ont peint et ceux qui l’ont décrit ne l’ont jamais glorifié par un chef d’oeuvre ; il ne sert qu’à la satire et à la caricature.
L’œuvre de Constantin Meunier, par sa plénitude simpliste et pittoresque a, en effet, une prédestination toute monumentale. Il convient d’y insister à l’heure où, dans son propre pays, dans cette Belgique que peut-être il fatigua de sa gloire, on hésite encore à ériger sur une des places publiques de la capitale le monument qui synthétise sa production entière. Ses lignes synoptiques, en concentrant le regard sur une masse dense et centrale, appellent la large coulée des métaux et les hauts emplacements dans un cadre architectonique ou les horizons profonds des paysages. Il semble extraordinaire que l’État belge ait si peu utilisé de tels éléments de beauté ornementale. Les ports, les gares de chemins de fer, les palais publics, les grandes voiries auraient assorti un décor naturel à ces spectacles de vie et à ces représentations des multiples activités générales.