Avec "la haine de soi et la honte de vivre" la réflexion menée ici va opérer un changement essentiel de cap. Car la clinique du pire, notre fil rouge, trouve ses rouages dans les lieux où s'entrecroisent, en chacun, les traces des histoires les plus singulières et les événements de l'Histoire, la mémoire collectivement partagée et les mémoires privées, les secrets les plus indicibles que transmettent les silences transgénérationnels, et les dénis historiques inscrits dans les violences d'Etat.
On y explorera ce qui, dans les situations traumatiques extrêmes privées ou collectives, s'acharne à détruire silencieusement les traces archivées de la mémoire inconsciente, à effacer tout "document" psychique et tout témoignage interne, au profit de dénis et clivages en série, comme dans les systèmes psychotiques familiaux, collectifs ou politiques.
Comment rejoindre la réalité quand est arrivée cette catastrophe subjective d'être tombé hors du monde ? Les "nouveaux enfants du Paradis" répondraient-ils à cette clinique du pire qui fait le quotidien des analystes ? L'autre se révèle inaccessible, et l'impossibilité de composer avec son altérité réactualise pour chacun les traces de cette catastrophe, ainsi que l'urgence de la fuite dans le repli auto-érotique et les ivresses addictives de toutes sortes, en "zappant les autres".
La question posée par la logique du pire est bien celle de la surenchère, de cette escalade dans le registre du mal, et qui pousse à aller toujours plus loin, à mordre toujours un peu plus sur la ligne, à gagner dans le progrès de l'horreur, ou en direction de la négation de soi. C'est ce "toujours plus" vertigineux que désigne l'ivresse du pire, cette jouissance sans frein entraînant la spirale de la destruction ou de l'auto-destruction.
L'ivresse du pire est une puissance d'attraction qui appartient à la réalité humaine tout en menaçant à la fois l'auto-conservation du moi individuel et la conservation de l'espèce.