IL RESTAIT DANS LA LUMIÈRE DES GRANDES VOILES AFFALÉES…
Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées sous les
yeux déchirés de l’enfance, des pâturages blanchis de sel où
fauchaient les lames grisantes de la mémoire,
le ressac des heures souterraines bercées par les mains de la
tristesse. Et la tristesse était une tumeur dans la poitrine des
maisons froides.
J’entendais les douleurs muettes
et l’inquiétude tapie dans la mutité.
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cela ressemble à une plaque de silence qui se retourne ; on est dedans, on y entre, on en ressort ; jamais tout à fait dedans, jamais tout à fait dehors ; peut-être ne reste-t-il que la surface où l’on se tait, où l’embarras de la
parole s’éloigne ; qu’il fallait cette réclusion, pour que reflue l’extérieur, pour que s’ouvre le regard ;
ÉCRIS CE QUE TU SAIS…
Extrait 2
Écris leurs nuits de femmes soumises.
Leurs matins meurtris et volubiles.
Leurs métamorphoses de linges et de graines.
Leur peau jonchée d’enfants sans nom.
Écris la lapidation. Les yeux excisés par l’ignorance.
Les os brisés et les hymens au sang jaune.
Écris leurs vagins cousus de honte
Et la Beauté restée vierge.
Écris pour elles.
Pour l’eau usée des rêves et le vent létal qui se vide entre
les arbres.
Pour leur parole tue. Retournée au bout du monde.
JE SUIS CELUI QUI CHERCHE DES SECRETS…
Extrait 1
Je suis celui qui cherche des secrets quand tout se tait ou que tout commence.
Qui porte la blessure des vies qui se sont tues sous un jour
d’où un jour la clarté disparaîtra.
Celui qui écoute des voix enfouies dans les feuillages vacillants du silence.
J’ai aimé la lumière et le vent qui cognent les os.
Et sur les os, le monde, tout entier
qui se tient et se déploie.
JE REGARDE L’ARBRE DRESSÉ…
Je regarde l’arbre dressé
Jusqu’au rien
Au bout de l’écorce
À l’arrêt
Comme un chien devant la mort
*
Le monde
Comme depuis une île
Sans accès
On est dedans comme dehors
On se dit que le temps se referme
On cherche un sens au fond de soi
Un langage au fond du temps
*
Il y a des questions dans l’opacité des murs
J’AI VU LES GRANDES DIGUES AU LOIN…
Extrait 2
Je vois aujourd’hui des hommes creuser la mer
Et retourner la terre
Des projets d’acier dépliés devant l’abîme
Des fumées noires qui s’élèvent
Au-dessus des torses nus
Et des villes fulgurantes ravagées de trous
C’est ainsi
L’oubli
Après l’usure
Qui voudra cette douceur
Qui ne polit que des cailloux
ÉCRIS CE QUE TU SAIS…
Extrait 1
Écris ce que tu sais. Écris ce que tu es.
Écris-le avec le froid.
Écris-le avec la peau de tes mots collés à ta peau.
Écris-le comme la seule respiration qui brûle dans l’air.
Avec le gel dans les brocs.
Avec les iris crevés.
Avec les cris des mères analphabètes.
Avec leur saleté et leurs odeurs de cuir chevauché….
DERRIÈRE LA PORTE OUVERTE…
Extrait 1
Derrière la porte ouverte
il y a le vent qui mugit
et des bouches affamées
dans le ventre nu des bêtes.
Il y a des cris d’oiseaux
des voix ignorées dans la calcination des rumeurs
et des arbres noirs qui ploient comme des glaciers
à l’horizon
des torses sans vie
que traverse la lumière froide.
— Tu marcheras vers qui tu es.
— Je marche contre le dos de l’aube. Je marche vers un visage aux paupières de lin et de cierge.
— Tu marcheras jusque dans la terre.
— Je marche dans un corps inconnu. Mon pas est de terre et de chair. Je vais dans le cercle de mes yeux.
J’AI VU LES GRANDES DIGUES AU LOIN…
Extrait 1
J’ai vu les grandes digues au loin
Bâties contre l’assaut du temps
Leurs démesures
Brisées par l’ondulante beauté du sel
Des ambitions
Et des rochers gravés jusque dans les cimes
Réduits à une vieillesse lente de galet
DERRIÈRE LA PORTE OUVERTE…
Extrait 2
Il y a le cri du silence
qui porte le souffle du temps
et des corps vivants
qui brûlent dans une musique immense
et dans la torche des corps
d’autres corps
qui ne verront jamais le jour.