Lise Giguère

«Sommes-nous en danger?»

J’ai probablement posé cette question lorsque j’avais quatre ans, assise à l’arrière de la voiture avec laquelle on se rendait à Magog, un peu sous le choc après que ma mère m’avait raconté l’histoire de Memphré, le monstre qui vivait dans le lac Memphrémagog. Était-ce une légende? Était-ce un spécimen rare qui s’était retrouvé là par hasard? Toutes les hypothèses étaient bonnes dans la discussion qui avait suivi l’anecdote. Et je ne sais pas si j’étais curieuse d’approcher ce cours d’eau ou si j’en étais complètement terrifiée.

Mais pour ma mère, il s’agissait d’une façon de voyager et même de voir le monde. Quand il y avait une histoire spéciale, elle voulait y aller. Était-ce un arbre aux propriétés magiques? Une forêt où on avait aperçu des fées? Un lac où deux amoureux éconduits avaient été transformés en rochers? Toutes ces histoires qui titillaient son imaginaire devenaient aussi intéressantes pour elle que la destination en tant que telle. Elle a probablement fait naître la même passion chez moi: voyager par l’imaginaire, où une histoire vole la vedette du lieu. Et où ensuite l’esprit rationnel tente d’expliquer comment quelque chose de banal s’est transformé en quelque chose de métaphorique, d’imagé. Un insecte inconnu est-il devenu une fée dans les mots des conteurs? Un rocher est-il devenu un monstre? Une anomalie de la nature est-elle devenue l’histoire d’un amour déchu? Une histoire en amène une autre et, pendant ce temps, un paysage se grave dans la mémoire, un souvenir prend forme et on reconnaît les lieux par leurs particularités anecdotiques.