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Citation de Charybde2


Cycloparade

De là où je parle, de là où je suis, je sens.
Je n’ai pas besoin d’ouvrir les yeux, je n’ai pas besoin de porter le front à l’horizon.
Sous mes paupières, je sens.

Je sens l’odeur tenace de la javel sur les paumes de celles qui n’ont pu débarquer dans ce cortège, aujourd’hui, qu’à condition d’avoir bien fait blinquer la baraque et bien préparé le repas de leur gaillard.
Je sens la goutte de transpiration qui roule sous l’aisselle de celles qui ne possédaient pas de vélo, et qui, comme on esquive un resto entre amies lorsqu’on est fauchée, ont bien failli ne pas oser se pointer sur cette place aujourd’hui.

Je sens l’épine du calcul de celles qui doivent se compter et se recompter pour pouvoir exister dans cette masse – basanées, voilées, handicapées, sans-papiers, putes, tox, trans, gouines – toutes celles dont on défend les droits sans jamais entendre le timbre de leurs voix.
Je sens le jasmin du thé siroté par les boycotteuses, celles qui en ont eu ras le cul de sempiternellement devoir jouer aux invitées surprises et qui trinquent en coulisses du joli after movie.
Je sens des radicalités qui se frottent, s’affrontent et parfois, même, qui se décausent et se débectent autour d’une robe noire à paillettes.
Je sens la solitude des féministes fiancées, le célibat, les miettes de sexe, les miettes d’amour, le fossé, les ronces dans le fossé.

Je sens la fatigue des bénévoles et des travailleuses pressées comme des citrons à peu de frais et qui portent des slogans autour du cou comme des Sisyphe ou des mulets. Celles qui rechargent leurs batteries de sens aux dates symboliques pour tenir le reste de l’année académique, celles à une étincelle du cramage intégral et à qui on peut déjà dire au revoir, là, cette après-midi.
Je sens l’hôpital, l’hôpital qui se fout de la charité et de la solidarité,
je sens le couloir d’hôpital, je sens l’éther dans le couloir d’hôpital,
l’éther frotte avec frénésie sur la peau de nos différences,
l’éther frotte pour anesthésier,
le temps d’une Cycloparade,
nos petites et nos profondes divergences.

Tout ça, d’où je parle, d’où je suis, sous mes paupières, je le sens.
Mais si j’ouvrais les yeux, si je portais le front à l’horizon, je pourrais voir, devant moi, ce magnifique peuple de guerrières.
Et je ne m’excuserais pas du mot « guerrières » car c’est exactement ce que je verrais.
Des casques, des scaphandres, de la limaille, des cuirasses, des cuissardes, de la riposte en ordre de bataille, des sabres, des kamikazes, des commandos et des épaulettes en ferrailles précieuses.
Voilà ce que je verrais : un majestueux animal collectif !
Un gigantesque poisson aux écailles métalliques avec chaque écaille-femme, chaque écaille-fille, chaque écaille-mère armée à sa manière pour riposter contre la violence du système.

Et c’est le même système qui te demande d’être violée sans faire de vagues, le même système qui te demande de te serrer la ceinture sans faire tout un ramdam autour de ta précarité, le même système qui te demande de gerber, de vieillir, de crever sans salir la moquette, le même système qui te débaptise un tunnel Léopold II par-ci et rebaptise une place Lumumba par-là pour que tu fermes un peu ta gueule et c’est le même système qui s’accommode parfaitement des centres fermés, des jungles, des bidonvilles sous le périph et des enfants qui grelottent dans la boue et des hommes nus à ses frontières.
Alors, oui, d’accord, on écrit de beaux poèmes pour le 8 mars mais so what ?
Oui, oui d’accord, on se casse !
Mais pour aller où ?
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