Lorédana Cabassu

Il y a des gens qui ont un défaut majeur de fabrication. Je ne parle pas du cœur à droite, ni du foie à gauche. C'est seulement qu'ils sont fabriqués trop à l'est ou bien au sud. Quand ils ouvrent la bouche, ça saute aux yeux, pire que les dents en or. Elle est comme ça, Lia. Elle accentue trop le R et porte les consonnes au comble de leur impertinence. Celles-ci sortent agressives de sa bouche tordue dans les affres de l'imitation locale. La seule façon de cacher son accent, c'est d'écrire. Elle a appris le français dans son pays et garde encore quelques séquelles neuronales.

- Alors, Lia, lui demandait l'enseignante, pouvez-vous conjuguer les verbe DIRE?

- Je dis...nous disons, vous disez...

- Attendez…qu’est-ce que vous disiez ? Vous disiez « vous disez » ?

- Oui, je disais « vous disez ».

- Alors, juste une petite précision ! Si vous disez…euh…pardon…si vous dites que vous disiez « vous disez », c’est faux, mais c’est juste. C’est faux parce qu’en français nous disons « vous dites ». En même temps, c’est juste, c’est vous qui avez raison. Après « nous disons », il est logique que vous disiez « vous disez ». C’est pas vous, hein, c’est le français qui est faux ! Vous, vous avez raison.

« Alors, comment s’appelle ce bout de chou ? » Le stylo appuyé sur son calepin, la sage-femme donnait des signes d’impatience comme un serveur débordé dans l’attente de la commande. Il arrive un moment où les augustes mains qui s’élèvent en porteuses de vie doivent s’abattre sur le registre des naissances. L’administratif, comme la mort, fait partie de la vie. Tout à coup, la naissance de mon enfant ne m’apparaissait plus comme un événement privé. Elle était devenue, d’un état particulier, une affaire d’État, une question publique.

Je rentre avec mon pain au feu de bois, cuit. Mon ombre me précède. À l’heure du repas, quand je l’attaque au couteau, le pain se révèle creux. Trop tard pour demander des comptes à qui que ce soit, au hasard ou au créateur. Il y a un gros trou au milieu. Un trou gratuit, qui ne coûte rien. Comme les suppléments de vie qui ne coûtent rien aux médecins. Alors pourquoi ne les font-ils pas plus grands ? Ils pourraient prolonger le suspense et l’espoir. Cela donne de bons films, à rebondissements.