Un garçonnet allemand devient, un jour, un homme allemand, et l’homme allemand est, d’abord et surtout, un guerrier. Il doit être dur et savoir obéir. Obéir est la chose la plus importante. Pour pouvoir commander, il faut avoir appris à obéir.
Les Américains étaient tout différents. Pour eux, la faim était quelque chose d’essentiellement académique, d’irréel. Sous ce rapport, ils ne différaient pas seulement des Anglais, mais aussi des Russes. Vous pouvez dire à un Russe : « J’ai faim », et il essayera probablement de vous venir en aide. Un Américain se contentera de vous adresser un sourire empreint de gaieté et d’incrédulité.
Seul, le marché noir empêchait la plupart des gens de mourir de faim, aussi ne devions nous pas trop en vouloir aux profiteurs. Ils nous soutiraient, il est vrai, nos derniers fonds et nos derniers biens, mais ils introduisaient des aliments dans la ville, en s’exposant personnellement à de très grands risques.
Nous n’avions ni eau, ni lumière. Je me rendais compte, pour la première fois de mon existence, ce que cela signifiait de vivre, privé des commodités les plus élémentaires. Pas de savon, pas de cuvette, pas d’assiettes, pas de cuillères, pas de couteau, rien. J’ai remarqué qu’en général les gens instruits et éduqués se montraient plus capables de supporter ces conditions de vie que ceux qui provenaient de milieux plus modestes. Beaucoup sombraient au plus bas qu’il est possible à un être humain de descendre, et se différenciaient à peine des bêtes.
De toute façon, la politique n’est que le reflet machinal de la volonté et de la pensée du peuple. Et cette tragédie allemande était bien un cauchemar maléfique reflétant la mentalité d’un peuple que j’avais connu aimable, laborieux, civilisé. C’était une maladie politique, qui s’était attaquée aux gens eux-mêmes – un cancer culturel qui avait submergé les esprits, jadis sains, des hommes et des femmes d’Allemagne.
Nous avions, depuis longtemps, écarté de nos préoccupations le monde extérieur, car nous le considérions désormais comme étant hors de notre portée et, n’y pensant jamais, nous parvenions à oublier le passé et à nous oublier nous-mêmes.
Tout le monde parlait, parlait, mais personne ne faisait rien pour remédier à la situation et, sous ce rapport, le Parti était assurément l’un des principaux coupables.
Il est impossible de raboter le bois, sans faire tomber de copeaux.