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Citation de Lamifranz


UNE CHATELAINE VENUE DE L'AU-DELA

Cette histoire se passe dans un village de Seine-et-Marne, en 1924. L'abbé Boineau, nouveau curé, vient de s'installer au presbytère. Tout à son emménagement, il n'a pas encore eu le temps d'aller présenter ses devoirs à ses paroissiens. Sa première visite d'usage sera, bien entendu, ainsi que le lui a conseillé son prédécesseur, pour le château où vit le comte de Chalamel. mais des soucis domestiques lui font remettre cette sainte corvée de jour en jour.
Or, un après-midi, alors qu'il procède au classement de sa bibliothèque, on frappe à la porte. Il va ouvrir et se trouve face à une vieille da me qui lui dit:
- Vous êtes je pense, notre nouveau curé ?
- Oui, madame.
- Je suis Mme de Chalamel
Le jeune curé fait entrer la châtelaine, lui donne le meilleur fauteuil et lui dit à quel point il est confus de n'être pas encore allé se présenter au château.
- C'est sans importance, dit Mme de Chalamel.
Et elle ajoute :
- Je viens vous voir pour vous demander un service, monsieur le curé... Un grand service... Quand vous nous ferez le plaisir de venir à la maison, vous connaîtrez mon fils Emmanuel. C'est un grand garçon de vingt-huit ans, très pieux, très sympathique, qui vous plaira certainement... Il a une seule passion : les chevaux. Il est fou d'équitation comme l'était son père. Et cela m'inquiète, car, vous l'ignorez peut-être, mais c'est un sport dangereux.... très dangereux... Or, j'ai beau le mettre en garde, il ne m'écoute pas. C'est pourquoi je viens vous voir, monsieur le curé.
L'abbé Boineau s'agite sur sa chaise.
- Mais , madame, je ne vois vraiment pas ce que je puis faire...
- C'est bien simple : je vous ai dit qu'Emmanuel était très pieux. Je pense que si vous, monsieur le curé, lui demandiez de ne plus monter à cheval, , il vous écouterait... Vous auriez certainement beaucoup plus de poids que moi...
- Mon Dieu, madame, je ne sais si je saurais...
- Mais si, mais si. Voulez-vous me faire plaisir et lui en parler ?
- Eh bien soit ! Quand j'irai au château, la semaine prochaine...
Mme de Chalamel interrompt l'abbé Boineau
- Non, pas la semaine prochaine, monsieur le curé. Aujourd'hui même, si vous le voulez bien, Car mon fils doit faire demain, une grande promenade à cheval, et nous devons l'en empêcher.
- Je veux bien, madame, dit le curé, mais ma demande ne va-t-elle pas lui sembler bizarre ?... Surtout le jour où je le verrai pour la première fois... Peut-être aurais-je plus d'influence quand je le connaîtrai mieux...
- Je vous demande, monsieur le curé, d'y aller aujourd'hui.
- Vous pensez vraiment qu'il risque d'avoir un accident ?
- Je ne le pense pas, monsieur le curé... je le sais.
Et Mme de Chalamel regarde l'abbé Boineau d'une façon si étrange que le pauvre prêtre se sent mal à l'aise.
- Vous voulez dire que vous avez un pressentiment ?
- Non, monsieur le curé. Je sais qu'il aura un accident. Alors, je vous en supplie, allez le voir dès cet après-midi. Et empêchez-le de monter demain.
La châtelaine paraît tellement bouleversée que le curé, troublé, promet.
- Merci, monsieur le curé !
Mme de Chalamel se lève et prend congé.
L'après-midi, l'abbé Boineau se rend au château et demande à voir le jeune comte. Un grand garçon sympathique est bientôt devant lui. Le nouveau curé se présente, accepte un doigt de porto, et les deux hommes parlent longuement et de la région.
- Je crois que vous êtes un grand sportif, dit l'abbé Boineau. Je me suis dire que vous étiez féru d'équitation...
- C'est vrai !
- Très beau sport, mais dangereux...
- Pas quand on connaît les chevaux et quand on monte, comme moi, depuis l'âge de cinq ans !
Le curé est très embarrassé :
- Sans doute, sans doute, dit-il; mais on est toujours à la merci d'un accident... Or la vie est un bien précieux que Dieu nous a donné, confié ! Et nous devons - c'est un devoir - nous "devons" en prendre grand soin... ne pas l'exposer inutilement...
Le jeune comte considère l'abbé Boineau avec un sourire amusé.
- Monsieur le curé, vous aurez du mal à me convaincre. Je dois, demain, faire à cheval une visite de nos fermes et je ne crois pas que cette promenade constitue une offense à dieu...
L'abbé Boineau pense qu'il s'y est mal pris.
- Ecoutez, dit-il. Je ne devrais pas vous le dire, mais je suis chargé d'une mission... J'ai promis de venir vous demander de ne pas faire cette promenade... Oui, j'ai promis à quelqu'un que vous aimez beaucoup... et qui tremble de vous voir monter à cheval...
- Quelqu'un ? Mais qui ?
- Là encore, je ne devrais pas vous le dire... Il s'agit de Mme votre mère... Elle est venue me voir ce matin, follement inquiète...
Emmanuel de Chalamel blêmit.
- Ma mère ? Mais enfin, elle est morte, monsieur le curé.
- Morte ?!
- Oui, il y a trois ans.
- Mais je l'ai reçue ce matin au presbytère; elle m'a supplié de venir vous demander de ne plus monter à cheval...
- Monsieur le curé, vous avez été victime d'une affreuse, d'une immonde plaisanterie... Et croyez-moi, je saurai qui s'en est rendu coupable... Comment était la femme que vous avez reçue ?
- Petite, maigre, avec des lunettes et un chapeau blanc, une robe bleue, je crois...
- Ainsi on est allé jusqu'à habiller quelqu'un de vêtements semblables à ceux que portaient ma mère !... C'est odieux !
- Elle avait aussi l'insigne de l'Union des Femmes Françaises...
- Même ce détail : Ils n'ont rien oublié !
- Mais pourquoi cette sinistre plaisanterie ?
- Je ne sais pas, monsieur le curé, mais croyez bien que je le saurai !
L'abbé Boineau, fortement troublé, regagna son presbytère.
Et le lendemain, Emmanuel de Chalamel partit faire sa promenade équestre.
C'est en fin d'après-midi que l'on apprit dans le village que, son cheval s'étant emballé, Emmanuel de Chalamel s'était fracassé le crâne sur un tronc d'arbre.
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