Nos deux corps se parlaient en braille, les yeux au bout des doigts, nous savions lire dans toutes les langues.
" Elle est sortie du placard au fond d’un vestiaire. C’est, en tout cas, à cette occasion qu’elle a appris que l’apparence d’une femme n’a rien à voir avec son orientation, pas plus que la couleur de la voilure avec le cap d’un trois-mâts. "
En masse, comme ici, mondain et solitaire, l’humain se rétrécit et ses dragons s’affolent. Son âme est à l’étroit et clignote dans le noir. Tous les sens aux abois, elle est court-circuitée, se sent vide et sans fond. Elle n’est plus personne dans ces océans où il n’y a personne, que des écrans de glace, des robinets d’eau tiède, des puits muets et sourds qui font du bruit quand on y jette un sou. Il n’y a que des gens qui s’effleurent sans se toucher vraiment. Et elle les envie. Ils savent être là sans avoir l’air absent, ils savent ne rien dire d’eux l’air de dire quelque chose, ils ont l’air d’être heureux, ils savent nager sans se mouiller les pieds, ils connaissent la danse et s’entendent à merveille pour ne pas se marcher sur les pieds. Et quand ils se font mal, ils savent encaisser, se défendre ou se taire, et ramassent leurs morceaux l’air de n’avoir rien senti ni du coup assené ni de celui subi.
" Oui, elle avait couché avec des hommes. Oui, elle avait pris son pied. Non, ça n’avait rien à voir avec ses préférences. Pourquoi les femmes ? Parce qu’elle se sent plus entière. Au Québec, c’est plus ouvert qu’en France ? Oui, peut-être, et moins sexiste. "
De nombreux écrivains se sont dits incapables d’écrire dans leur langue maternelle qu’ils trouvaient trop intime, trop emmêlée à leurs propres sentiments pour leur permettre de s’abandonner dans l’écriture.
La passion amoureuse tire sa force fulgurante de l’énergie créatrice qu’elle nous insuffle. Entre l’extase de s’abandonner corps et âme et la douleur de peut-être en souffrir si l’autre nous abandonnait, entre ces deux pôles de la passion, l’abandon de soi et l’abandon de l’autre, ressurgit sans arrêt la conviction que sa propre vie vaut la peine d’être vécue. Sans cette conviction salvatrice, l’artiste paralyserait d’effroi devant sa toile vierge, se tairait à jamais devant la page blanche. L’art est un mensonge qui dit la vérité. Picasso avait raison. Comme l’art, la passion amoureuse nous projette dans l’action et nous branche sur notre propre vérité, nous enracine dans notre désir d’exister malgré tout. Dans la joie de l’abandon, nous risquons d’aimer et d’être aimés, nous créons notre propre vie, au-delà de nos peurs muettes, au-delà de nos douleurs refoulées. Et l’enfant en nous, mal aimé et craintif, solitaire et désespérément affamé de reconnaissance, respire tout à coup, barbouille sa page blanche, invente sa vie à la mesure de son Soi le plus authentique.
La passion amoureuse tire sa force fulgurante de l’énergie créatrice qu’elle nous insuffle. Entre l’extase de s’abandonner corps et âme et la douleur de peut-être en souffrir si l’autre nous abandonnait, entre ces deux pôles de la passion, l’abandon de soi et l’abandon de l’autre, ressurgit sans arrêt la conviction que sa propre vie vaut la peine d’être vécue. Sans cette conviction salvatrice, l’artiste paralyserait d’effroi devant sa toile vierge, se tairait à jamais devant la page blanche. L’art est un mensonge qui dit la vérité. Picasso avait raison. Comme l’art, la passion amoureuse nous projette dans l’action et nous branche sur notre propre vérité, nous enracine dans notre désir d’exister malgré tout. Dans la joie de l’abandon, nous risquons d’aimer et d’être aimés, nous créons notre propre vie, au-delà de nos peurs muettes, au-delà de nos douleurs refoulées. Et l’enfant en nous, mal aimé et craintif, solitaire et désespérément affamé de reconnaissance, respire tout à coup, barbouille sa page blanche, invente sa vie à la mesure de son Soi le plus authentique.
Ses sens toujours à l’affût taraudaient les gens, épinglaient des mimiques, déchiquetaient des regards, sondaient des intonations, s’acharnaient sur des petits riens anodins, décelaient de fausses notes, flairaient la moindre variation de température, sans qu’elle s’en rende compte, ses sens éventraient les gens, perçaient leur devanture et embrochaient une flopée de détails incongrus. Très tôt, elle avait appris à endiguer ce radar fiévreux qui posait trop de questions, devinait trop de secrets, disait trop de bêtises, importunait les grands. Valait mieux se taire.
Bien sûr, vu notre différence d’âge, je la trouvais énervante et la réprimandais souvent pour des riens. Avec le recul, je sais que j’étais sous tension, toujours prête à exploser. Pourtant, j’avais besoin d’elle, de sa petite main qui s’accrochait à la mienne pour marcher du perron jusqu’à la balançoire, surtout de ses éclats de rire, qui fusaient comme des ruisseaux sur de la roche sèche et faisaient sortir Pirate, son chat, d’en dessous du divan, où il se terrait la plupart du temps.
« Les étrangers n’ont pas à connaître notre vie intime. » Pourquoi, se répète-t-elle pour la millième fois, s’est-elle laissé embrigader dans ces mensonges ? Pour ne pas perdre Monique, Judith a trahi ses convictions les plus profondes. La vie privée est politique. La politique, c’est organiser la vie privée des gens. Si tu consens à mentir à propos de qui tu es, comment pourras-tu interdire la censure, le lynchage, la haine érigée en système et toutes les barbaries du fascisme ?