Bien au-delà de l'histoire que ce roman porte et conte avec délicatesse et raffinement, j'ai été touché par les êtres auxquels il donne existence. La fragilité et les forces de chacun chacune sont présentées avec sensibilité et tendre respect.
Mon intérêt a été grandement stimulé par les différents angles de perception de la réalité ou de l'interprétation que chacun a de sa propre vie secrète ou de celle de l'autre, ce que peint avec talent l'auteure. On peut s'y reconnaître.
Je retiens le ravissement du geste subtil qui me touche en la poétique écriture de l'écrivaine.
Merci d'avoir si bien présenté ce tableau humain. GADG
Commenter  J’apprécie         10
Bien sûr, vu notre différence d’âge, je la trouvais énervante et la réprimandais souvent pour des riens. Avec le recul, je sais que j’étais sous tension, toujours prête à exploser. Pourtant, j’avais besoin d’elle, de sa petite main qui s’accrochait à la mienne pour marcher du perron jusqu’à la balançoire, surtout de ses éclats de rire, qui fusaient comme des ruisseaux sur de la roche sèche et faisaient sortir Pirate, son chat, d’en dessous du divan, où il se terrait la plupart du temps.
« Les étrangers n’ont pas à connaître notre vie intime. » Pourquoi, se répète-t-elle pour la millième fois, s’est-elle laissé embrigader dans ces mensonges ? Pour ne pas perdre Monique, Judith a trahi ses convictions les plus profondes. La vie privée est politique. La politique, c’est organiser la vie privée des gens. Si tu consens à mentir à propos de qui tu es, comment pourras-tu interdire la censure, le lynchage, la haine érigée en système et toutes les barbaries du fascisme ?
On pourrait penser que dans les années 1990, on en avait fini des préjugés sur l’homosexualité. Je ne pense pas. J’étais trop jeune, à l’époque, pour pouvoir témoigner de ce qu’il en était véritablement au Québec, mais je peux affirmer qu’à l’école, c’était un sujet de moqueries tellement méchantes qu’il valait mieux ne jamais donner l’impression d’en être, si on voulait survivre.
Malgré sa voix voluptueuse et ses manières cordiales, quelque chose chez elle avait l’air dur, implacable. Je ne peux pas vraiment m’expliquer là-dessus. C’est comme de savoir qu’un chien peut attaquer n’importe quand, même si vous ne l’avez jamais vu mordre qui que ce soit ; vous le sentez, vous le savez et vous ne voulez surtout pas aller vérifier si vous vous trompez.
Elle s’était promis de ne plus pleurer aujourd’hui. Elle fouille sa poche à la recherche d’un papier-mouchoir. Elle ne veut pas rentrer, pas maintenant, pas aujourd’hui. Elle veut la paix, juste la paix, au milieu d’étrangers qui ignorent tout de sa vie avec Monique. Mais c’est la tempête, la poudrerie, le vent cinglant, l’état d’alerte dans le désert blanc.