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Critiques de Lucie Tanguy (3)
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Enseigner l'esprit d'entreprise à l'école : Le ..

Les entreprises privées ont-elles leur mot à dire sur les programmes scolaires ? Dans les faits, leur intervention est croissante et de plus en plus perçue comme légitime, ce que déplore la sociologue Lucie Tanguy.
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La sociologie du travail en France : Enquête ..

Un déplacement de l’attention loin des conditions de travail et des relations de travail



Examiner les recherches réalisées et leurs résultats ne condamne pas la recherche scientifique au relativisme, « elle pose les conditions d’une connaissance critique des limites de la connaissance qui est la condition de la connaissance scientifique ».



Lucie Tanguy présente ainsi son livre : « La première partie trouve son unité dans un retour sur les commencements de la sociologie du travail en France et l’examen critique de la vision conventionnelle qui en a été donnée », la seconde « s’applique à suivre les actions entreprises par les chercheurs pour définir un modèle scientifique, le faire reconnaître, s’organiser en communauté, débattre des perspectives érigées en théorie et faire admettre des normes de scientificité à destinations des générations suivantes » et la troisième « rappelle les politiques et programmes impulsés par un gouvernement classé à gauche… »



J’indique que seul le travail salarié est pris en compte dans cette enquête sur le travail des sociologues. Il aurait été bien de le préciser.



Contrairement aux légendes répandues, entre autres par les sociologues, sur l’autonomie de leur science, je dirais plutôt démarche à vocation scientifique, il ressort de la première partie de l’ouvrage que « la naissance de la sociologie du travail résulte d’une rencontre féconde entre l’action d’un ministre et d’un groupe de hauts fonctionnaires engagés dans des réformes sociales d’une part, et de jeunes chercheurs en quête de ressources pour réaliser leur passion, étudier le travail et surtout les travailleurs, et leur ambition, faire exister une sociologie empirique d’autre part ». Une certaine correspondance entre la volonté de modernisation des pouvoirs publics et l’élaboration d’une sociologie empirique.



Dans la seconde partie (les années 1960-1970), l’auteure montre comment c’est construite « une science explicative utile à l’action sur le modèle des sciences de la nature », comment s’est organisé la recherche pour « produire des connaissances utiles pour moderniser la France ». Il ressort que « la construction d’une sociologie empirique contraste singulièrement avec les récits faits par les sociologues eux-mêmes qui insistent toujours sur l’antériorité de leur préoccupations et de leurs investissements théoriques et méthodologiques ».



Pour certains, la société française est pensée comme une totalité, la société est ainsi « substantifiée et vue comme une entité, la réalité sociale se voit dotée d’attribut moraux comme la volonté ».



L’auteure présente les « controverses sociologiques », la tradition sociologique positiviste, les modèles utilisés, la recherche sur des objets particuliers, « loin des visions globales », les spécialisations étroites, le tropisme de la foi dans le progrès et les carrières (institutionnelles).



La troisième partie concerne (les années 1980-1990). Lucie Tanguy commence par indiquer « Les trois objectifs majeurs caractérisent la politique impulsée en 1982 : la démocratisation de la recherche, la réconciliation de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée, la reconnaissance des sciences sociales et humaines ».



Une constante : « la même croyance en une science positive ». L’auteure présente quelques exemples d’études, dont un contrat avec la Régie Renault ou une convention avec la RATP. Elle montre, entre autres, la différence entre méthode scientifique et méthodologie de recherche.



Elle souligne, un point important : « L’accoutumance aux contraintes d’une politique contractuelle de la recherche et l’accommodation des principes d’indépendance et d’autonomie à celles-ci, ont pu induire les sociologues à ne voir qu’un changement continu là où il y avait rupture ».



J’ai particulièrement été intéressé par le chapitre sur « Le lancement d’une sociologie de l’entreprise » dont je souligne cet extrait « Antérieurement perçue comme lieu de réalisation des rapports sociaux de domination, d’exploitation et de luttes, l’entreprise est désormais posée comme un lieu de rencontres entre acteurs qui élaborent ensemble des règles et des normes, un lieu de socialisation, de constructions d’identités et de cultures spécifiques. Ainsi représentée l’entreprise est érigée au rang d’institution et non plus d’organisation, voire même comme institution centrale, ”source de représentations collectives” et d”’effets sociétaux” ». Il y a un véritable déplacement de l’attention loin du travail comme rapport social et des conditions de travail.



Concernant la sociologie proprement dit, Lucie Tanguy montre la transformation du métier de sociologue « pour intégrer, au sein d’un continuum, des formes de recherche antérieurement considérées comme radicalement différentes ».



Se diffuse une vision d’un domaine de connaissance sans contexte, « par la construction d’un récit linéaire obéissant à des seules considérations internes aux sciences sociales ». Une sorte de « réhabilitation de l’entreprise France ».



L’actualité des débats « politiques » montre que nous ne sommes pas sorti-e-s de cette situation où le coq gaulois, le chauvinisme d’entreprise, la préférence nationale ou le « sauver l’industrie hexagonale » priment les analyses des contradictions du mode de production, nient les antagonismes, ou les intérêts divergents, sous la bannière « rassembleuse » et douteuse d’une « indépendance nationale ».



Pour en revenir au livre, l’auteure souligne que « Penser le changement, sans voir ce qui ne change pas, s’est traduit par une perte de capacité critique des analyses sociologiques réalisées ».



Un livre très utile sur l’histoire d’une discipline, sur l’approche de la connaissance du travail, sur les écarts entre les discours, les orientations ou l’auto-présentation de la sociologie du travail, sur la confusion entre recherche et expertise ; une invitation à ne pas confondre travail, entreprise, emploi, organisation, et un appel aux « chercheurs à accompagner leurs démarches d’une réflexivité sur celles-ci ».
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Enseigner l'esprit d'entreprise à l'école : Le ..

« L’école s’est trouve accusée, au cours de ces deux dernières décennies marquées par une montée du chômage des jeunes, d’inadaptation au contexte économique et culturel, et sommée de remédier aux difficultés d’insertion professionnelle des jeunes. »



En introduction, Lucy Tanguy insiste sur le choix d’un angle révélateur du sens des changements en cours, en privilégiant « les filières d’enseignement professionnel et technique pour les observer et les analyser ». Elle parle, entre autres, de « pédagogie des compétences », de « filière de relégation », de l’enseignement de l’« esprit d’entreprise », de développement de l’apprentissage en entreprise, d’attentes des employeurs, d’infléchissement des cursus d’enseignement, du modèle de l’entrepreneur, du processus de pénétration des entreprises dans le système éducatif, du rôle des institutions (Europe, Etat, régions), des groupes de pression et de leurs réseaux… L’auteure interroge aussi cette « réussite pour tous » : « réussite à quoi et comment ? » et ne néglige pas les résistances…



Le livre est composé de quatre chapitres :



Partenariat et entrepreneuriat



Retour de l’apprentissage en entreprisse : une inversion du modèle de formation professionnelle ?



Le temps des régions



Définition et mise en œuvre d’une doctrine européenne



Je n’aborde que certains points des présentations de l’auteure.



Lucy Tanguy analyse les évolutions de la formation professionnelle, la place prise par le partenariat et l’entrepreneuriat, la constellation d’associations crées par le patronat dont « Entreprendre pour apprendre-France » (EPA)…



Elle fait une large place au changement de modèle pédagogique prôné, « la formation des compétences en lieu et place d’une transmission des savoirs ». L’auteure décrypte les « mini-entreprises » proposées aux collégien-ne-s et lycéen-ne-s. Elle souligne la valorisation de l’entreprise comme « modèle d’organisation sociale et économique », les entretiens « véritable cours sur les valeurs et les attentes des entreprises », la diffusion de l’idéologie néolibérale au sein même du fonctionnement de l’école…



Entreprise. Au passage je rappelle ce qu’a écrit récemment le Collectif critique : « La législation ne connaît que la « société », c’est-à-dire l’association de ceux qui mettent en commun de capitaux, comme l’a montré Jean-Philippe Robé. Les « besoins de l’entreprise » sont donc juridiquement compris comme les intérêts des propriétaires du capital, que l’on assimile abusivement dans le texte de loi aux intérêts de toutes les « parties prenantes » selon l’expression aujourd’hui courante ». Représentation fantasmatique de l’entreprise, « sans travail ni travailleurs », sans syndicats, sans conflits, sans droit du travail encadrant « la relation de subordination constitutive de l’entreprise capitaliste ». Un monde enchanté et mensonger, ou de plus, les travailleuses et les travailleurs et leurs qualifications acquises sont remplacé-e-s par des individu-e-s transformé-e-s en entrepreneur/entrepreneuse (« entrepreneur de quoi ? » interroge l’auteure) avec des « compétences » non reconnues par les conventions collectives.



Dans un second chapitre, Lucy Tanguy analyse le « retour à l’apprentissage », la conception de la formation « issue de la théorie du capital humain, capital que chacun doit acquérir et faire fructifier sur le marché du travail », l’évolution des effectifs dans les centres de formation d’apprenti-e-s et des effectifs scolaires des lycées professionnels, les « fissures creusées dans le système éducatif national » et l’extension de la place des entreprises dans la formation professionnelle initiale, la place de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, le brouillage des frontières entre public et privé, les régions et l’apprentissage…



Elle souligne, entre autres, l’absence de réglementation au sein des entreprises en France « quant aux places occupées, au type d’activités effectuées, aux contenus de formation à acquérir dans celles-ci ». Nous pouvons comme l’auteure nous interroger sur l’habilitation des « entreprises à éduquer la jeunesse ? » (entreprise, dont les besoins sont juridiquement compris comme les intérêts des propriétaires du capital, voir plus haut)…



Lucy Tanguy propose une analyse intéressante des modifications entre Europe (« doctrine européenne » sur la trilogie savoirs, savoir-faire, savoir-être ; voir l’exemple de l’European Round Table of Industrialists (ERT) analysé en détail), Etat et régions, du « délestage d’une partie des compétences » et des nouvelles attributions des régions en particulier sur les institutions scolaires. Si les conséquences de la décentralisation néolibérale me semble bien détaillée, rien ne justifie, à mes yeux, d’y opposer « le caractère unitaire de l’Etat républicain » et ses politiques d’éradication des constructions sociales historiques (voir par exemple, les langues régionales). Sans oublier, les statuts dérogatoires, comme celui de l’Alsace et de la Moselle, pour ne pas évoquer les poussières de l’empire, les départements dits d’outremer mais toujours colonies…



Mais il est clair que les politiques régionales de formation permettent d’accentuer les phénomènes décrits précédemment : apprentissage, alternance, développement de l’enseignement privé, liaison entre région-école-entreprise, arrangements locaux contournant les règlements nationaux…



L’auteur interroge les notions de « parcours scolaire », de « cursus de formation », l’« usage inflationniste de certains mots (qualification/compétences, efficacité/performance, compétitivité) et la disparition d’autres (connaissance, culture, citoyenneté) »… Elle souligne les « labels » distinctifs ajoutés aux diplômes, le non respect des conventions salariales, le langage marchand dominant le langage pédagogique, les conceptions utilitaristes de l’éducation, la banalisation des logiques de marché dans l’enseignement public. « A l’exemple de la représentation d’un marché sans contraintes structurelles et d’un individu libre, responsable et maître de son choix de l’économie libérale, les experts et politiques régionaux voient dans le recours aux techniques, et notamment à l’informatique, le moyen d’assurer la transparence requise à l’égalité des chances ». Egalité des chance, et non égalité des droits, et encore moins égalité…



D’un coté des individu-e-s sommé-e-s de construire elles/eux-mêmes et d’entretenir en permanence leurs « capacités productives », de l’autre la figure de la ou du salarié-e mobile sur toute l’Europe et donc délocalisable.« Le droit à l’éducation devient une affaire individuelle et non publique »



En conclusion, Lucy Tanguy explore quelques pistes alternatives. Et si la notion d’école polytechnique me semble devoir être approfondie, cela ne rentre pas en contradiction avec les propositions de Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire (GRDS) quoi qu’en dise l’auteure.

Dans ce cadre, il convient surtout d’introduire les moyens de l’autonomie, dont l’autonomie financière, des jeunes afin de leur permettre des choix de vie non rivés aux familles.



« L’égalité des droits à l’éducation est aussi un droit des travailleurs à l’émancipation intellectuelle et à la culture »



Au final, un livre très utile pour comprendre comment se construisent des logiques de destruction des systèmes d’enseignement collectif, de diffusion de « l’esprit d’entreprise », de négation des droits à l’éducation… et les rôles joués par les institutions (européennes, étatiques et régionales).
Lien : https://entreleslignesentrel..
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