AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de enkidu_


*

16 août. – Plusieurs heures passées avec saint Jean de la Croix, en m’efforçant de le pénétrer davantage encore, de méditer sous sa conduite. Mais tous les fragments de son œuvre, que j’ai le plus admirés quand je les lisais en dilettante, se glacent lorsque je vois leur lien avec le catholicisme. Étrange difficulté que j’ai d’être présent à moi-même. Ou plutôt : irréalité du prétendu « moi » qui veut adhérer au christianisme.

*

17 août. – Je ne tonne plus cette année contre l’animalité des paysans, vivant dans les infectes vapeurs des chaudières à cochons, dans les deux pieds de merde de leurs cours, fiente de volailles, fiente d’hommes et purin macérés. Les autres étés, j’avais une conscience de ma noblesse spirituelle qui rendait plus outrageantes encore ces ignominies, j’étais un roi parmi d’infâmes gorets. Cette année, je suis trop somnolent, trop incertain de toutes choses, et de moi-même d’abord, trop enclin à m’affliger de l’universelle condition humaine. Serait-ce les prodromes de l’affreuse pitié ? Oh ! contre cela, quoi qu’il advînt, je voudrais me défendre.

*

Je repasse dans ma tête tout ce que j’ai lu ou entendu sur les grandes crises religieuses : les déchirements, la tragique solitude, les désespoirs, l’épouvante métaphysique. Non, je ne me retrouve point dans ce romantisme. J’y perçois je ne sais quoi de vagissant, de féminin, de bestial, disons au moins d’élémentaire : le bipède domestiqué est pris de panique en ne retrouvant plus son maître à ses côtés.

Pour moi, j’ai éprouvé aussi la soif et la terreur de l’infini, mais lorsque je prenais mon vol d’oiseau sauvage, au-delà des dogmes et des religions. Maintenant que je suis rivé à cette tâche, au ras du sol, mon âme est sèche et muette. Mes tourments sont ceux d’un désert silencieux. Et si je parviens à y éveiller un sentiment, c’est l’angoisse du joug qui doit m’attendre.

Seigneur ! Seigneur ! que sans m’étudier, me peser davantage, je mette toute ma force à monter vers vous. Ce qui vaut pour les actes les plus terrestres de la volonté, vaut pour le but le plus haut à quoi cette volonté puisse tendre. À quoi que nous aspirions, nous sommes toujours des hommes, il n’est point deux méthodes pour exercer les facultés humaines. Avant de livrer bataille, on ne dissèque pas son âme, on rassemble tout son courage, on fixe l’adversaire avec obstination. Le vainqueur est l’homme d’une seule idée. Le vainqueur est l’homme qui se détermine. Seigneur, il n’est pas possible que vous vous soyez encore éloigné de moi, depuis que je vous cherche avec tant de persévérance ! Ma misérable tête d’homme m’aura soufflé de mauvais conseils. Voici venu le moment de s’arracher à soi-même, le moment des clairons et des hymnes. Un seul instrument, désormais : la prière. Seigneur ! que je ne sois plus qu’un cri continu vers vous, cri d’imploration, cri de confiance, cri du soldat qui se grise. Que je ne sois plus qu’une aspiration véhémente, aveugle, forcenée.

Rien. Du haut des Alpes, je tendrais mes bras et mes clameurs vers l’azur, vers les étoiles, vers les nuages, qu’ils ne seraient pas moins inaccessibles.

*
Commenter  J’apprécie          00









{* *}