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Citation de Charybde2


Éclairant de ses phares un tourbillon de neige frémissant, un train de marchandises roule à travers une immense étendue désertique balayée par le blizzard. Il roule lentement, pendant longtemps. Il laisse derrière lui une ville à peine visible sous des monceaux de neige et se fond dans le brouillard.
À l’écart du monde entier, un long bâtiment de plain-pied est enseveli sous la neige. Quelques fenêtres brillent d’une lumière trouble. Sur une plaque recouverte d’une fine couche de neige, un nom que l’on n’arrive pas à lire.
Dans la loge du gardien, une vieille Tatare est assise près d’un poêle en fer, elle est coiffée d’un fichu en mainte tricotée qui lui descend sur le front et emmitouflée dans un châle. Elle découpe avec un petit couteau des tranches de viande séchée qu’elle mâchonne de sa bouche édentée. Son regard est concentré et absent.
Rudolf Ivanovitch Mayer se trouve dans un local confiné. Il est vêtu d’une combinaison de protection et porte un masque. On ne voit pas son visage. Il a des gants. À l’aide d’une longue aiguille, il répartit une culture bactérienne dans des boîtes de Petri. La flamme d’un petit réchaud à alcool frémit à chacun de ses gestes. Des gestes harmonieux, magiques.
Sur la table, devant la gardienne, le téléphone sonne longuement, avec insistance. Elle ne décroche pas tout de suite.
– Ce shaïtan, et ça crie, et ça braille…, bougonne la vieille.
Le téléphone ne se calme pas. Elle décroche.
– Labratoire ! On est en pleine nuit ! Qu’est-ce que t’as à gueuler comme ça ? Y a personne… Non, je peux pas écrire… Oui, Mayer est là ! Attends. Attends, je te dis !
La vieille femme va au bout du couloir, elle frappe à la porte du fond et crie :
– Mayer ! Téléphone ! On t’appelle de Moscou ! Faut que tu viennes !
Elle tire sur la porte, mais c’est fermé à clé. Elle recommence à frapper et à crier.
– Mayer ! Viens répondre ! Y a un chef furieux qui te demande !
Dans le local, Mayer a reposé l’aiguille, il reste immobile. Les coups frappés à la porte l’agacent.
– J’arrive, j’arrive !
Sa voix est assourdie par le masque. Celui-ci a légèrement plissé, le joint d’étanchéité de la mentonnière s’est détaché.
La vieille femme l’a entendu, elle retourne au téléphone et hurle dans l’écouteur :
– Attends un peu, je t’ai dit… !
Dans le sas de décontamination, Mayer enlève ses gants, son masque, sa combinaison, il essuie quelque chose et court enfin vers le téléphone.
– Excusez-moi, j’étais dans un local confiné… Oui, je fais des expériences la nuit… Je ne suis pas prêt, Vsévolod Alexandrovitch… Oui, oui, en principe… Parfaitement sûr. Mais j’ai encore besoin d’un mois et demi, deux mois. Oui, un mois et demi… Je ne suis pas prêt à faire un exposé… Bon, si vous présentez les choses comme ça… Mais j’estime qu’il est encore trop tôt pour un exposé. Je décline toute responsabilité… Oui, oui. Au revoir.
Il raccroche, furieux. La vieille le regarde avec attention.
– Il me crie dessus, il te crie dessus ! C’est un vrai shaïtan, ce chef fâché. Tiens, mange !
Elle lui tend un morceau de viande séchée au bout de son couteau. Mayer secoue la tête en signe de refus.
– Non, merci, Galia, dit-il en prenant machinalement le morceau.
Il mâche.
– Va dormir ! Rentre chez toi ! Pourquoi tu restes là ?
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