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Critiques de Ludvik Vaculik (7)
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La hache

Pour apprécier vraiment la lecture de "Sekyra" de Vaculik ( "La hache" dans sa traduction française), il vaut mieux être en pleine possession de ses capacités de concentration.

Pour en écrire un commentaire, par contre, je me demande s'il ne serait pas judicieux de s'équiper d'une ou deux bouteilles de Starobrno, ce breuvage divinement inspirant de ma ville natale... et pour cause !



C'est la lecture d'un autre livre - "Un astronaute en Bohême" de Kalfar, une vision juste mais un peu édulcorée de la Tchécoslovaquie communiste et post-révolutionnaire - qui m'a donné envie de relire Vaculik. Car Vaculik, ce sont les "roots" - un des écrivains en tête sur l'index des proscrits de l'époque. Quand ses livres ont réapparu (assez vite) après la Révolution de Velours, on s'est tous jeté dessus - pour pouvoir enfin goûter à l'interdit, pour savoir, pour lui donner raison. Et pour réaliser pourquoi ce livre datant de 1966 est devenu une véritable dynamite littéraire après le Printemps de Prague.



En lisant ses autres livres, notamment "Les cobayes", on a l'impression de toucher du bout du doigt l'apothéose de la langue tchèque - c'est un peu comme si Kafka, Joyce et Harrison conversaient autour d'une chope de bière posée sur une nappe à carreaux dans un pub en rase campagne.

On a donc raisonnablement tendance de penser qu'en prenant au hasard n'importe quoi de Vaculik, on ne peut pas faire un faux pas. Mais "La hache" est un peu comme de belles chaussures qui font mal.

Je me suis demandée si après les années je vais enfin réussir de dompter ce style extrêmement compliqué, mais il n'en est toujours rien - même si, parfois, on sort un peu de sa torpeur en croyant apercevoir quelque vérité absolue.

Vaculik nous balance à la figure un récit sur trois niveaux si subtilement entremêlés, que parfois on change d'époque en plein milieu d'une phrase... et au lecteur de suivre !



Alors, de quoi parle "La hache", ce livre qui hurle fort son message - "réveille toi et PENSE !!" dans ce style onirico- laborieux ?

C'est un récit autobiographique. Une famille sur la frontière Slovaque, pendant la montée et l'établissement de communisme. Il y a le père - qui se laisse confisquer toutes ses terres pour "la cause" et devient le chef d'un kolkhoze local, la tête remplie d'idéaux. Il y a la famille, qui suit, sans vraiment comprendre. Et il y a le fils, le jeune Vaculik, un journaliste intellectuel pragois, qui tente de démontrer les failles de cette "construction collectiviste". Le père peut être borné, mais finalement c'est son simple raisonnement de paysan et la tête bien sur les épaules qui le font comprendre le terrible non-sens de l'époque.

Le récit, plutôt nostalgique malgré tout, est présenté par les flashs rétrospectifs entre enfance/jeunesse/présent. Dans son "présent", le narrateur est au volant de sa voiture pour aller rendre visite à son frère... pour prendre leur vieille hache et aller voler le bois dans la forêt, comme il faisait autrefois avec son père.



Au secours, comment noter un livre pareil ? C'est génial, il y a toute la vie, là dedans ! Mais il faut la trouver, et ce n'est pas facile !
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Les cobayes

Un père, Vachek, employé à la Banque d’Etat, une mère, Eva, institutrice, deux jeunes fils, âgés de 13 et 9 ans, Vachek et Pavel... Une petite famille pragoise qui vit le quotidien de façon anodine semble-t-il, oui, mais pas pour longtemps… avec l’arrivée successive au sein du foyer, de trois petites créatures, qui semblent bien mignonnes de prime abord… des cobayes !



« Les Cobayes » dévoile un monde absurde et désabusé, celui dans lequel se débattent les Tchécoslovaques après l’invasion des forces du Pacte de Varsovie en 1968.

C’est un roman étrange et allégorique, un livre qu’il ne faut pas lire en ignorant son contexte d’écriture.



Ludvik Vaculik l’a écrit en 1970, puis il a été publié plus tard en 1973, de manière clandestine, en samizdat, étant donné la censure qui était imposée par le régime totalitaire du Parti communiste et sa tristement célèbre police politique. Le naturel, franc et original de Vaculik se heurte à la discipline communiste et aux mécanismes du pouvoir en place, mais il ne manque pas d’astuces et de diplomatie. Il créera les Editions Cadenas (Petlice) pour diffuser la littérature clandestine.



En 1973, un écrivain ne peut vivre à Prague que dans un terrier ou une cage !

En sachant cela, on comprend mieux le véritable sens des « Cobayes »!



Avant l’écriture de ce roman troublant, il y a eu 1968, et le Printemps de Prague.

En 1967, Ludvik Vaculik prononce un discours corrosif au Congrès des Ecrivains, à la suite duquel il est exclu du parti communiste.

Il y a eu aussi le Manifeste des « Deux mille mots », appelant à des réformes, et signé par des centaines de milliers de personnes, dont Ludvik Vaculik est l’auteur !

Il y a eu surtout l’énorme répression des « martres » russes sur les « cobayes » tchécoslovaques !



Quand le socialisme a perdu son visage humain, on ne se reconnaît plus, on ne reconnaît plus rien ! D’où le doute permanent qui plane dans « Les Cobayes », sur l’identité des personnages, jusque sur celle du narrateur lui-même.



Le héros de ce livre, Vachek, est employé dans une Banque d’Etat. Pour subvenir aux besoins de sa famille, et arrondir ses fins de mois, il vole des billets, mais on ne dérobe pas que de l’argent à la Banque d’Etat, on vole aussi et surtout des identités. Les individus circulent de façon obscure. Vachek fait partie d’un système corrompu. Il vole, lui, le petit employé, mais les forces de l’ordre ne se gênent pas non plus ! Les policiers qui sont en faction aux portes de la Banque, non seulement récupèrent pour eux-mêmes l’argent que les employés ont volé, mais volent aussi l’argent de poche des employés. « On ne respectait plus les traditions, tout était permis, pire qu’à Chicago. »

« Qui sait aujourd’hui ce qui profite à qui ? »



A la banque, Vachek a un collègue de bureau qui lui parle de petits cobayes qu’il élève chez lui.

A l’occasion des fêtes de fin d’année, Vachek fait cadeau à ses enfants d’un petit cobaye blanc.

« Ce Noël restera dans notre famille comme le Noël au cobaye ». Puis deux autres petits congénères viendront plus tard rejoindre le 1er.



Vachek est totalement fasciné par ces petits animaux. Dans un premier temps, il les observe attentivement, regarde comment ils se comportent, mangent, dorment, réagissent à des intrusions dans leur milieu… Puis il va plus loin avec des expérimentations réelles. Quand il tente de noyer un cobaye dans une baignoire, c’est saisissant. On pourrait pratiquement oublier qu’il s’agit d’un animal ! Au fur et à mesure de ces expériences, les cobayes s’anthropomorphisent, et on glisse dans le surréalisme.



A la Banque d’Etat, des rumeurs alarmantes circulent. Un vieil ingénieur répugnant, du surnom de Maelström, au rôle équivoque, prédit une grave crise bancaire dans tout le pays, à cause des nombreux vols de billets… Cette hypothèse de crise économique est comparée à « Une descente dans le Maelström. » (Selon une nouvelle d’Edgar Allan Poe, publiée en 1841)



Cette hypothèse effraie le père des enfants. Et une phrase de son collègue de bureau revient à sa mémoire : « Alors, cher collègue, devinez-vous maintenant l’importance des cobayes ? »



Le 2e cobaye tombe malade. Vachek demande conseil à son collègue, lui disant qu’il ne voudrait pas qu’il meure, ni que ses enfants s’habituent à la mort. Cela prendrait un sens contraire à celui qu’il entendait leur donner. Et son collègue de répliquer : « Le vrai sens des cobayes, cher collègue ? Vous ne le découvrirez que plus tard. »



Le destin de notre héros semble lié à celui des cobayes…

Ses expériences déplaisantes sur ces petites bêtes s’intensifient. Il est dans le trouble et veut nous associer, nous lecteurs, à son trouble.

Vachek s’exclut progressivement du monde.

Il ne prête plus autant attention à sa femme, ni à ses enfants. Sous l’apparence d’un amour paternel se dévoilent chez Vachek une part d’égoïsme et de vanité ; sous celle de l’innocence enfantine se dévoile la cruauté…



Plus on avance dans ce roman, plus le malaise s’intensifie. Rêve ou hallucination ?

L’agitation de Vachek devient de plus en plus frénétique.

Tout s’embrouille et devient confus : c’est un vétérinaire qui vient pour soigner son fils malade, il y a dédoublement de personnalité « Et moi et le banquier nous riions doucement », les mots ont une autre orthographe « heurreur » (pour erreur), « la Banque d’Etat » devient « la Bande d’Etat », de la 1re personne, on passe à la 3e personne… « Un barrage finit par se former quelque part dans son cerveau, derrière lequel la pression montait. »

Le roman se termine en une apothéose kafkaïenne !



On est vite happé par cette spirale étouffante, ce Maelström, qui est évoqué plusieurs fois au fil des pages. Cette spirale est représentée, découpée dans la 1re de Couv. cartonnée de cet ouvrage.

C’est une façon aussi de montrer comment le héros tourne en rond et se débat dans un contexte angoissant et obsédant. A noter aussi que ce livre est superbement illustré de dessins en noir et blanc et en couleurs, qui s’associent parfaitement à l’écriture de Vaculik. (Illustrations de Jérémy Boulard Le Fur)



En lisant « Les Cobayes », on nage dans un univers inquiétant où l’étrange s’immisce insidieusement.

C’est la manière de Vaculik de nous évoquer le climat particulièrement étouffant dans lequel les Tchécoslovaques devaient supporter cette trouble période de leur histoire.



Pour Ludvik Vaculik, le réel est ambigu. Il est essentiel de d’abord savoir observer. Observer pour distinguer la réalité de l’illusion. Au travers des « Cobayes », il exprime ses craintes face à une liberté encore fragile, mais il est conscient aussi du chemin à parcourir pour aboutir à la démocratisation de son pays. « L’écriture est le seul moyen que nous avons pour vaincre les choses que nous ne pouvons pas vaincre autrement », a un jour déclaré L. Vaculik, un homme pour lequel l’écriture a été une façon de régler ses comptes avec le monde et la vie. Il nous a quitté en 2015 à 89 ans.



De qui l’homme est-il le cobaye, en définitive ?

Un livre profond, qui fait réfléchir sur la condition humaine. (Lauréat du Prix Nocturne 2011 et Lauréat du Prix du Plus beau livre Littérature à La Nuit du Livre 2013).

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La clef des songes

« La Clef des songes » est une longue chronique (de 568 p.), écrite au jour le jour, par Ludvik Vaculik. C’est le témoignage de son expérience oppressive et de la surveillance policière dont il faisait l’objet sous le régime communiste.



L. Vaculik était l’auteur de deux romans interdits, très critiques envers le régime, (qui ont été traduits en français), « La Hache » (1966) et « Les Cobayes » (1970), mais aussi d’un important Manifeste, « Les Deux Mille Mots » (publié le 27 juin 1968), qu’il avait écrit pendant le Printemps de Prague, pour critiquer le conservatisme du Parti communiste tchécoslovaque.

Il voulait ainsi pouvoir appeler ses concitoyens à réclamer plus de liberté.

En conclusion de son Manifeste, Vaculik déclarait : « Ce Printemps, il nous est revenu, comme après la guerre, une grande opportunité. »

Il espérait que les tchèques allaient pouvoir reprendre leur destin en main et accéder enfin à un socialisme à visage humain.



Evidemment, avec ces romans et ce Manifeste, il a été vite mis au ban de la société par le régime répressif en place ! Mais, tout comme Bohumil Hrabal, il se refusait à l’exil et il a publié cet ouvrage sous forme de samizdats.

Son journal est écrit du 22 janvier 1979 au 2 février 1980.

Dans cette période, nombre de romanciers, de poètes, de dramaturges, sont interdits de publication et certains, comme Josef Skvorecky et Milan Kundera vivent en exil.



Au fil des pages de son long journal écrit quotidiennement, on découvre

- ses rapports compliqués avec les femmes,

- ses rapports compliqués avec les hommes et,

- ses réflexions sur le monde.



Dans ses chroniques, Vaculik nous délivre tout ce qu’il tait lors des interrogatoires qu’il subit par la police, et les moments de liberté volés aux autorités.

Cet ouvrage nous éclaire sur la vie que menaient ceux qui étaient injustement appelés « dissidents », par l’autorité idéologique communiste, au temps de la « normalisation » imposée par les soviétiques.

Ces « dissidents », il faut comprendre que c’étaient des intellectuels qui écrivaient, publiaient, peignaient, faisaient du théâtre, dans les limites d’un espace restreint et confidentiel, dans des conditions peu enviables, mais en ayant fait le choix de rester en Tchécoslovaquie, ils devaient composer avec !



Ludvik Vaculik a entrepris cet ouvrage en étant motivé par la proposition que lui avait faite Jiri Kolar (son ami poète et artiste), car il ne savait pas trop comment s’y prendre !

« écris ce qui t’empêche d’écrire ».



Cette forme littéraire (journal au jour le jour) connaissait un grand essor en Tchécoslovaquie dans les années 1970 parce qu’elle était facile à copier et à diffuser rapidement et qu’elle convenait aux réflexions sur les sujets d’actualités.



C’est donc le destin de Ludvik Vaculik que l’on suit avec ce copieux livre autobiographique, riche d’informations et de personnages de l’intelligentsia tchèque, étant donné son travail d’auteur et son engagement pour réclamer davantage de liberté.



A noter que l’illustration qui a été choisie pour figurer en 1re de couv. de ce livre est un collage de Jiri Kolar, (qui était aussi artiste dit « collagiste »).

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Les cobayes

« Les cobayes » est un livre subtil sur la négation de l’individu dans les régimes totalitaires. Le narrateur, Vachek, vit avec sa famille à Prague où il est employé dans la banque d’Etat. Comme tous ses collègues, Vachek vol ou essaie du moins car la police les fouille systématiquement à la sortie. Problème : l’argent saisi n’apparait plus jamais dans l’économie. A terme, la crise des liquidités menace… Elle prend dans le roman la forme du maelstrom, en référence à un conte d’E. A. Poe. L’autre ligne de lecture concerne les cobayes. Pour les fêtes, Vachek en offre un à ses enfants. Le petit rongeur qui va bientôt devenir le centre de son attention… et de quelques expérimentations…



Cette focalisation quasi-exclusive sur les cobayes (un second puis un troisième rejoindront le premier) s’accompagne d’une dislocation progressive du sens, qui produit d’abord de l’humour mais très vite une angoisse. Car il faut y ajouter d’autres ruptures : lexicale (hypothèque pour hypothèse) orthographique (crarotte pour carrotte ou cocobaye pour cobaye) et même narrative (passage de la première personne à la troisième personne) ; au fil des pages, ces ruptures se multiplient et Vachek se transforme en tyran domestique dont la cruauté n’épargne personne, ni sa femme, ni ses enfants ni ses cobayes.



L’hypothèse première est d’ établir un parallèle entre Vachek et le cobaye, tous les deux en proie à la tyrannie d’une force qui les domine outrageusement et contre laquelle ils sont totalement désarmés. Mais Vaciluk ne donne jamais clairement un sens à son roman, il laisse à son lecteur une grande liberté d’interprétation : « les cobayes » maintient surtout un malaise permanent devant l’absurdité et la cruauté des situations mais n’explique jamais clairement ses intentions. Et c’est une qualité car le lecteur éprouve, presque physiquement, le malaise là où une allégorie évidente se serait sans doute avérée plus confortable…



Pour ma part, j’ai été frappé par le passage de la première personne à la troisième personne du singulier à l’occasion d’une des pires scènes d’expérimentation du roman. Lorsque Vaciluk écrit à la troisième personne, Vachek n’est plus jamais nommé. Il n’est plus que « le banquier », il est réduit à une fonction (comme l’assassin, exactement identique au précédent, à la toute fin du roman). L’individu a disparu.

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Les cobayes

Quasi inconnu en France, l’écrivain et journaliste tchèque, mort cet été à l’âge de 88 ans dans l’indifférence presque totale en France, est pourtant un auteur reconnu et très populaire dans son pays. Farouche opposant au régime communiste dans l’ancienne Tchécoslovaquie, Ludvik Vaculik considéré comme hostile au régime fut surveillé par les forces de l’ordre à qui il devait chaque jour raconter ses faits et gestes. Grâce à l’éditeur Attila et à son souci du détail, nous apprenons à connaître un peu plus Ludvik Vaculik. À l’aide d’une postface et d’une bibliographie commentée ainsi que d’une préface, l’éditeur explique entre autres choses comment le livre a été traduit, etc. De plus, l’éditeur ne s’est pas contenté d’enrichir le texte original par des mots puisqu’il fait aussi appel à notre sens du toucher à l’aide d’une couverture quasi tridimensionnelle très intéressante. Ainsi qu’à notre sens visuel, puisque le texte est agrémenté par de nombreuses illustrations (en noir et blanc et en couleur), dessinées par Jérémy Boulard Le Fur. Je trouve pour ma part les dessins très réussis, superbes.

Le titre du livre, « Les cobayes », au sens double puisqu’il désigne à la fois de petits rongeurs et un sujet d’expérience résume parfaitement ce dernier, car le livre de Ludvik Vaculik, rempli de sous-entendus, propose plusieurs niveaux de lecture et de compréhensions. Ainsi, Ludvik Vaculik nous dépeint dans son livre l’histoire professionnelle et familiale du narrateur Vasek. Le roman débute de manière conventionnelle et nous suivons Vasek, banquier dans une banque d’État qui tout comme ses confrères vole quelques billets afin d’arrondir ses fins de mois. Surveillés par la police, ces banquiers cleptomanes se font régulièrement contrôler et prendre. Cependant, jamais aucun employé ne sera inquiété. Première bizarrerie ! À côté de cela, Ludvik Vaculik nous conte l’histoire de Vasek, père de famille qui tombe littéralement sous la fascination des cobayes qu’il adopte. Seconde bizarrerie ! Des cobayes qui seront tour à tour aimés, choyés, étudiés, traités en cobayes, etc. On comprend dès lors le parallèle qui est effectué entre un Vasek, à la fois bon père de famille, mais aussi cruel et tortionnaire, et un État tchécoslovaque omniscient et omnipotent. Lourd et pesant ! Dans ce roman, l’auteur, il me semble, critique aussi un modèle économique tchécoslovaque qui s’essouffle. Cependant, jamais Ludvik Vaculik ne nomme clairement les choses et même si chaque lecteur peut y aller de sa propre interprétation, la critique sociale est palpable. Froide et glaçante ! Et c’est ce qui fait l’une des forces du livre. Petit à petit, l’univers décrit par Ludvik Vaculik et auquel on ne comprend pas tout devient de plus en plus oppressant, progressivement un malaise s’installe. Pourquoi ? Les Tchécoslovaques sont-ils aussi des cobayes ? Puis, nous sommes comme entraînés dans une sorte de maelström, terme utilisé à plusieurs reprises dans le texte et qui a visiblement servi comme base de travail à la maison d’édition Attila pour la réalisation de la couverture du livre.

Je recommande donc ce livre dont l’écriture fluide et riche en jeux grammaticaux et orthographiques plaira aux lecteurs exigeants, mais aussi aux autres. Le texte est, paradoxalement, à la fois simple (de par son vocabulaire) et compliqué à cause d’un monde décrit dont nous ne disposons pas toutes les clés. L’auteur fait travailler notre imagination de la plus belle manière. Ludvik Vaculik fait parfaitement ressentir au lecteur ce maelström dont je parlais plus haut, grâce à son écriture qui commence lentement et dont le rythme s’accélère tout au long du livre pour finir par nous laisser bouche bée. Dérouté ! Pour ceux et celles qui ne seraient toujours pas convaincus, sachez que le livre a reçu le prix Nocturne 2011. Il s’agit d’un prix méconnu, mais qui m’a fait découvrir de très beaux textes, et qui récompense « des œuvres fantastiques ou insolites » dixit Wikipédia. Il s’agit à la fois d’un beau texte et d’un bel ouvrage.
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Les cobayes

Journaliste très populaire et auteur en 1968 du manifeste des « Deux mille mots », Ludvik Vaculik fut exclus du Parti Communiste et interdit de publication pendant plus de vingt ans après le printemps de Prague. Il écrivit donc ce roman en 1970, publié initialement en samizdat puis traduit dans de nombreux pays.



« Les cobayes » démarre comme l’histoire d’une famille banale de Prague, comme un récit pour enfants au ton presque infantilisant. Le narrateur et père de famille, Vachek, employé dans une banque d’état, offre pour Noël, avec l’accord de sa femme Éva, deux cobayes à leurs deux fils Vachek et Pavel.



Mais un malaise diffus prend rapidement racine, que ce soit dans le cercle familial autour des cobayes, dans le milieu professionnel et collectif, à la banque, mais aussi dans le langage et les mots eux-mêmes.

Les employés cherchent à voler des billets de banque. Quand ils sont repérés par la police, les flics se contentent de confisquer et de détourner l’argent, sans inquiéter davantage les employés. Cependant, une inquiétude pèse, des rumeurs, l’attente d’une crise. À la maison, les cobayes, symboles des hommes miniatures manipulés par le régime, prennent une place de plus en plus grande et obsèdent bientôt le narrateur, qui les observe à la loupe et les soumet, la nuit, à des expériences de plus en plus étranges, tortures physique et psychologique. Le malaise grandit dans cet univers qui devient surréaliste, de plus en plus pesant, cauchemardesque pour finir, un monde dont on semble ne pas avoir toutes les clés.



Les cobayes est le récit symbolique d’une oppression vécue, mais rien n’est aussi évident et le livre reste impénétrable, selon la volonté d’un auteur qui vivait lui-même exclus.



"Il sourit et me dit : « Le vrai sens des cobayes, cher collègue ? Vous ne le découvrirez que plus tard. »

Je n’ai plus posé de questions."



Restant toujours opaque, "Les cobayes" rend remarquablement bien le malaise, la perte de sens grandissante de la vie de ces hommes soumis à l’oppression et qui sont comme des petits animaux.



"Mais j’avais oublié de débrancher le haut-parleur de la chambre d’Éva. Les heurts contre le saphir, les grincements et les bruissements l’ont réveillée.

« Mais qu’est-ce que tu fais là ? dit-elle soudain derrière moi.

- Je fais tourner Ruprecht sur le tourne-disques, dis-je.

- Qu’est-ce que tu fais ! » s’écria-t-elle.

Je me demandais si je pouvais soutenir que Ruprecht lui-même l’avait souhaité. Il continuait de tourner. Eva toucha l’interrupteur ; le manège s’arrêta. Elle me regarda avec stupéfaction, puis elle dit, furieuse :

« Que vas-tu devenir à la fin ? Une bête ? »

Elle partit.

« Un cobaye ! » répondis-je."
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Les cobayes

Déroutant, addictif, critique, le tout dans une édition très soignée
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