L'auteur, en bon psychanalyste jungien italien, donc féru de culture classique, trace ici une histoire des archétypes de la figure paternelle en Occident. De façon très intéressante, il minore la question de la dyade patriarcat/matriarcat, mais oppose la figure du père à celle pré-civilisationnelle (et même, avance-t-il à un moment : pré-humaine) du mâle reproducteur compétitif qui ne s'inscrit pas dans la famille monogamique ni dans la continuité transgénérationnelle de la lignée. Cette opposition représente une tension qui n'a jamais complètement disparu – cf. les enfants de tout temps abandonnées par leur père – et surtout qui est prête à re-basculer massivement vers la pré-civilisation dans la post-modernité. Tout aussi curieusement, il ignore complètement, avec une négligence qui peut paraître presque méprisante, la condition de la femme et son évolution au fil des millénaires.
Dans un premier chapitre, « Préhistoire », il ne tranche pas sur l'hypothèse du matriarcat néolithique, mais il finit par pencher pour une « psychologie matricentrée » (cf. cit. 2), qui précède donc l'apparition de la figure paternelle. D'autre part, est introduite la notion de « paradoxe du père » : alors que la mère est jugée en fonction de ce qu'elle accomplit pour son enfant, le père est jugé à la fois pour son équité envers celui-ci et à l'aune de son succès « darwinien » dans la société, selon une double morale qui peut être porteuse de contradictions.
La partie la plus substantifique de l'essai, sans surprise, c'est le chap. 2, « Antiquité et mythe ». Les archétypes paternels se développent durant l'Antiquité gréco-latine, et l'auteur s'adonne à une analyse extrêmement approfondie non pas tellement de la mythologie (comme on peut en trouver dans les discours sur l'origine du patriarcat), mais des poèmes épiques homériques suivis et complétés par l'Énéide de Virgile. Le geste d'Hector qui porte à bout de bras son fils Astyanax au-dessus de sa tête (cit. 3 – cf aussi la couverture de l'ouvrage) est considéré comme la marque définitive du père. Mais les personnages d'Hector, d'Ulysse, d'Énée sont analysés comme le signe complexe de cette tension persistante entre la figure paternelle qui s'impose enfin et la figure pré-paternelle contre laquelle ils luttent extérieurement (Hector contre Achille, Ulysse contre Polyphème, etc.) ou intimement (Ulysse, comme ses compagnons, tenté par l'aventure plutôt que par le retour auprès de Pénélope). Autour de ces héros, une foule de personnages secondaires, masculins et féminins, s'inscrivent dans cette même analyse de l'archétype du père triomphant. Ce chap. est sans aucun doute le plus riche, instructif et convaincant.
Par rapport au père gréco-romain, l'auteur ne peut voir dans les siècles suivants qu'un déclin. En effet, le chap. 3, « Modernité et décadence », qui est le plus court, envisage tous les événements et circonstances historiques successifs univoquement comme des causes de décadence : à commencer par le christianisme qui est conçu comme l'ère du remplacement du Père par le Fils (le Christ) ; au bas Moyen Âge, l'Église renforce la figure de la mère ; la Renaissance voit proliférer l'iconographie de la Pietà ; la Contre-Réforme promeut le culte de la Vierge et celui des saints et saintes, dévotions qui s'inscrivent dans la continuité avec les cultes du polythéisme gréco-romain voire de la Grande Déesse de la préhistoire méditerranéenne ; les Lumières s'en prennent à la figure paternelle du roi et aussi bien Voltaire que Rousseau, pour des raisons opposées, ont des comptes à régler avec la paternité... ; la révolution industrielle discrédite définitivement le père ouvrier urbanisé (cit. 6) ; les guerres mondiales marquent l'absence physique et morale des pères ; les fascismes et le futurisme, s'ils ont l'apparence de promouvoir le virilisme, agissent au contraire comme de puissants destructeurs de la figure paternelle, d'autant que celle-ci tend à être remplacée par l'État. Le chap. se conclut par une analyse assez détaillée de Les Raisins de la colère de John Steinbeck, roman lu comme un parfait anti-Énéide.
Enfin le chap. 4, « Le père aujourd'hui », représente une situation pire encore que la décadence apportée par la modernité, car d'emblée il s'ouvre sur la question rhétorique : « Le père, une espèce en voie de disparition ? ». La notion de « démission du père » est amplement traitée d'une manière qui, dans un sombre et irrémédiable pessimisme, discrédite totalement ce qui pourrait être vu comme une tentative de rééquilibrage des droits entre hommes et femmes, contre toute aspiration égalitaire. Même le divorce est vu en tant que fragilisation des couples et donc comme une cause d'éloignement et de marginalisation des pères. La perspective est pour une fois un peu décentrée de l'Europe, focalisée sur la communauté noire américaine et sa descendance de l'esclavage, qui avait déjà contribué à démolir la figure paternelle. Y apparaît néanmoins une image du père absent, dans une dialectique trop peu étudiée avec la transversalité des problématiques socio-économiques, notamment de la ségrégation, de la misère, de la sur-représentation des hommes noirs dans les prisons américaines. De cette grande jérémiade nostalgique et conservatrice (pour ne pas dire réactionnaire), nous avons retenu surtout l'incompatibilité entre le « breadwinner », éventuellement précarisé ou chômeur, et la figure paternelle héroïque. L'incapacité à formuler des propositions dans la conclusion est le signe de cet état d'esprit déplorable typique des passéistes...
PS : à noter la splendide et très utile iconographie.
Commenter  J’apprécie         50