Je me souviens : assise sur un banc je regarde la Tamise frissonner jusqu'à mes pieds, grise. À ma gauche, le Palais de Westminster. À ma droite, les Bourgeois de Calais dans le jardin vert. Et c'est bien la place qu'ils doivent occuper : au bord de l'eau qui par-delà la Tamise, l'estuaire et la Manche, lèche doucement les murs de Calais.
Pindare a gravé la victoire et la joie des athlètes dans le marbre de ses vers. Et toi, Rodin, tu as enfermé le désespoir des citoyens vaincus dans le bronze noir. De quelle présence en toi sont-ils l'image ? Quel remous en toi te mena jusqu'à eux ? Quelles fièvres lièrent par-dessus les siècles vos pensées ? Quelles pulsations, quelles morts vivantes en toi leur donnèrent l'existence ?
(p. 54-55)