Le spectacle était d’une saisissante beauté : un chant, un tableau, une œuvre magistrale. Le lendemain, à l’aube, une blancheur inhumaine et féroce avait infesté le Hameau et les plaines, tapissant l’Albe de tout un éclat sublime. La Nivéale, douloureuse, irradiait le regard. Immaculée au-delà de toutes les attentes, elle était d’une hauteur indescriptible. Elle surplombait à nouveau son empire : l’empire de l’hiver. La petite tâche noirâtre qu’était le train du vendredi matin, presque invisible depuis le plateau rocheux du Hameau, avait eu toutes les peines à se mouvoir jusqu’à la station. La machine y était arrivée très en retard, puis elle était repartie sans vacarme, comme si elle s’était à son tour tue devant l’évidente somptuosité de ce paysage nouveau.
Il lui parlait des hommes, moins-que-rien vivant sur un grain de poussière, petits points risibles qui se battent pour des idoles de carton : mortelles créatures perdues quelque part au fond d’un tombeau de noirceur qui se compte en milliards d’années-lumière.
Si la mort est la deuxième tragédie humaine, alors la première est peut-être celle-ci : l'existence qui la précède n'est pas juste. Indépendamment de tout ce qu'ils sont et de tout ce à quoi ils aspirent, certains ne connaîtront jamais que des vies de déveine, des vies de rien.
La noirceur, en vérité, elle était à l’intérieur. Le jeune homme la portait en elle comme on porte un enfant dont on refuse la présence. Elle était une blessure hémorragique, un parasite visqueux niché jusque dans ses viscères, étalé de tout son long gluant jusque dans sa moelle. Certains auraient appelé cette douleur-là : vanité.
Elle était de ces beautés-là, qui possèdent, obnubilent, envahissent.