Touré Maguèye

Depuis quelques temps, le monde des journalistes, des intellectuels contestataires et des opposants politiques était atteint d’une étrange manie suicidaire. Mais ceux-là ne se contentaient pas de quitter la scène de la vie comme de banals seconds rôles de la comédie humaine. Ils y ajoutaient du sel, renforçaient avec des herbes aromatiques. Les suicidés rivalisaient d’imagination pour parfaire leur passage dans l’autre monde. Certains choisissaient de se tirer cinq balles dans la tête, d’autres deux dans le dos ; les plus originaux, habiles contorsionnistes sans doute, s’attachaient les mains par derrière, puis les chevilles, se couvraient la tête d’un sac, lestaient leur corps d’un poids considérable et se laissaient joyeusement choir au fond du fleuve. Les tête-en-l’air confondaient leur baignoire avec un fût d’acide, y plongeaient la tête la première et se volatilisaient définitivement. A moins, bien sûr, que l’acide, monstre perfide et facétieux, ne les eût attirés comme des lucioles phosphorescentes avant de refermer son odieux piège sur leur distraction. Ceux qui faisaient preuve d’habileté et de précision dans le dernier geste réussissaient même à s’étêter tout seuls, comme des grands. Les enquêteurs officiels, praticiens singuliers qui ne manifestaient pas un quelconque intérêt pour la diversité des symptômes, dressaient invariablement le même diagnostic : suicide.

Sa main droite en visière au-dessus de ses yeux, il scrutait désespérément, dans l'obscurité de la nuit, l'immense perspective marine à la recherche d'une espérance. La houle qui faisait tanguer l'embarcation dans laquelle il se tenait debout à l'avant, rendait mouvementée la ligne de l'horizon incertain.