Il est des champs de vagues
Blanches écumes alignées
Désertées par la mémoire
Que le matin oublie de réveiller
« Plus tard, ma mère avait été invitée en Espagne à témoigner sur son passé de Résistante en France. Elle était très âgée et je l’avais accompagnée.
À la question qui lui était inévitablement posée "à seize ans, n’aviez vous pas peur d’être tuée ?", elle prononça lentement comme à l’accoutumée de sa voix affaiblie par l’âge : "Il fallait le faire et tout le monde l’aurait fait."
Mais cette fois-ci, je la vis baisser tristement la tête et après un long silence, la relever pour ajouter : "Mais tout le monde ne l’a pas fait."
Voilà, la vie d’Herminia, la Résistante, ma mère. »
Emporté par la fougue de sa jeunesse, il oublie que pour sa mère, résister relève de la banalité quand il s’agit de garantir la liberté, ce bien commun indissociable des valeurs d’humanité.
Dans une larme
il y a une histoire
la larme sèche
l’histoire reste
cicatrice ou empreinte
J’ai appris de leur histoire l’engagement, la résilience, la joie du peu, la force de l’apprentissage, la ténacité, le courage, la solidarité.
J’ai surtout compris que les racines n’ont pas de frontières quand on porte la liberté en soi.
On ne choisit pas de naître de l’exil, on le subit écartelée, oscillant sur une frontière bancale.
Il paraît que la géographie du cœur n’a pas de frontières.
J’entends toujours les cris parmi le roulis.
Il y a ceux des autres et il y a les miens. Avec le temps, ils sont devenus silencieux. Je les ai enfouis au plus profond de mes entrailles.
Il y a des jours où je voudrais coudre mes paupières pour ne plus lire ce monde que j’imaginais transparent comme le verre.
À présent, je le vois fragmentée, cristal pulvérisé en mille éclats de peines qui brisent les rêves.
Au fil des jours, je sens mon cœur s’effilocher et mes larmes coulent au rythme du bruit des gouttes de pluie.
L’âge est parfois une pierre lourde jetée dans l’eau. Elle vous entraîne vers le fond, c’est inévitable.
Il lui restait le souvenir d’un voile déposé sur la clarté dans le tunnel de son enfance.
Serrer les dents
comme on serre les poings
pour ne pas crier
la vie à oublier
celle que l’on voudrait redessiner
si la mine de crayon ne s’était pas brisée.
Il n’y a pas d’âge pour rencontrer la peur.
Elle t’attend dans des pays où la folie vagabonde et change la face du monde, là où l’instinct prédomine sur la raison.
Suzana est fatiguée. Faire défiler sa vie l’a épuisée. Elle se retrouve dans sa chambre et pense à un monde sans frontières et sans guerres où les hommes arrêteraient de se déchirer à force de vouloir tout posséder.
Depuis plus de quinze ans, je sillonne la France et l’Espagne pour transmettre leur témoignage. Celui de femmes courageuses qui, armes à la main, ont voulu dans leur jeunesse sculpter avec force les contours d’une société nouvelle.
D’autres ont suivi à pied les longues files de l’exil pour se réfugier en France afin d’échapper à la brutalité des troupes franquistes.
Des évènements tragiques les ont toutes propulsées dans des vies qu’elles n’avaient ni choisies ni espérées.
À la même époque dans d’autres pays, de jeunes adoles-centes d’origine et de nationalité différentes ont connu des destins semblables.
Et encore aujourd’hui, malgré l’expérience accumulée et racontée par l’Histoire, elles sont nombreuses à pied sur les routes ou bravant la mer Méditerranée, la mort, la violence des coups, les viols et les insultes pour fuir leur pays en guerre.