SAINTAMANT Hommage à lhomme aux mille joies (Chaîne Nationale, 1962)
Lémission « Plaisir de la lecture », par Maurice Fombeure, diffusée le 18 septembre 1962. Lecture : Pierre Bertin.
LE PARESSEUX
Accablé de paresse et de mélancolie,
Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté
Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.
Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
Du comte Palatin, ni de sa royauté,
Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
Où mon âme en langueur est comme ensevelie.
Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
Que je crois que les biens me viendront en dormant,
Puisque je vois déjà s'en enfler ma bedaine,
Et hais tant le travail, que, les yeux entr'ouverts,
Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine
Ai-je pu me résoudre à t'écrire ces vers.
L'HIVER DES ALPES
Ces atomes de feu qui sur la neige brillent,
Ces étincelles d'or, d'azur et de cristal
Dont l'hiver, au soleil, d'un lustre oriental
Pare ses cheveux blancs que les vents éparpillent ;
Ce beau coton du ciel de quoi les monts s'habillent,
Ce pavé transparant fait du second métal,
Et cet air net et sain, propre à l'esprit vital,
Sont si doux à mes yeux que d'aise ils en pétillent.
Cette saison me plait, j'en aime la froideur ;
Sa robe d'innocence et de pure candeur
Couvre en quelque façon les crimes de la terre.
Aussi l'Olympien la voit d'un front humain,
Sa colère l'épargne, et jamais le tonnerre
Pour désoler ses jours ne partit de sa main.
Assis sur un fagot …
Assis sur un fagot, une pipe à la main,
Tristement accoudé contre une cheminée,
Les yeux fixés vers terre, et l'âme mutinée,
Je songe aux cruautés de mon sort inhumain.
L'espoir, qui me remet du jour au lendemain,
Essaie à gagner temps sur ma peine obstinée,
Et, me venant promettre une autre destinée,
Me fait monter plus haut qu'un empereur romain.
Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre,
Qu'en mon premier état, il me convient descendre,
Et passer mes ennuis à redire souvent :
Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d'espérance,
Car l'un n'est que fumée, et l'autre n'est que vent.
LE BEL ŒIL MALADE.
QUAND je voy ce bel œil tout en feu comme il est,
Où parmy les douleurs le roy des cœurs se plaist
De faire sa demeure,
Je croy que l’univers est à son dernier jour,
Que le ciel se consume, et qu’il faut que je meure,
Puis que je voy perir l’objet de mon amour.
En un tel accident je ne m’estonne pas
De voir dans ce bel œil ce demon plein d’appas :
Rire encore en mon ame :
Car, considerant bien sa nature et son jeu,
Ce n’est pas un prodige en luy, qui n’est que flame,
Qu’il puisse ainsi durer au milieu de ce feu.
J’auroy peur toutesfois qu’en ce sujet de dueil,
Mon portrait en petit tiré dans ce bel œil
Ne fust reduit en cendre ;
Mais sa vertu secrette enseigne à mon penser
Qu’estant un diamant, tout esprit doit apprendre
Que jamais aucun feu ne le peut offenser.
Si, par une merveille aimable en ce malheur,
Ce bel œil retenoit cette ardente couleur
Pour me servir de phare,
Il passeroit aux yeux des plus sages amans
Pour un de ces rubis dont l’eclat est si rare,
Qu’il en est plus prisé que tous les diamans.
Son cher frere, affligé de ce que son pareil
Luy va donner moyen d’estre appellé Soleil
En le laissant unique,
Bien plus de passion dedans luy nous fait voir
À fuyr cet honneur, qu’il juge tyrannique,
Que jadis Phaëton n’en monstra pour l’avoir.
Il pleure, et nul objet ne l’en peut divertir,
Comme si par ses eaux il pensoit amortir
Les flames trop voisines :
On diroit, à le voir respandre ainsi des pleurs,
D’un vaze de christal tout plein de perles fines
Que l’on renverseroit sur quelque champ de fleurs.
p.108-109
Accablé de paresse et de mélancolie,
Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté
Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.
Le paresseux
L’ÉNAMOURÉ
Parbleu ! j’en tiens, c’est tout de bon.
Ma libre humeur en a dans l’aile,
Puisque je préfère au jambon
Le visage d’une donzelle.
Je suis pris dans le doux lien
De l’archerot idalien.
Ce dieutelet, fils de Cyprine,
Avecques son arc mi-courbé,
A féru ma rude poitrine
Et m’a fait venir à jubé.
Mon esprit a changé d’habit :
Il n’est plus vêtu de revêche,
Il se raffine et se fourbit
Aux yeux de ma belle chevêche.
Plus aigu, plus clair et plus net
Qu’une dague de cabinet,
Il estocade la tristesse,
Et, la chassant d’autour de soi,
Se vante que la politesse
Ne marche plus qu’avecques moi.
Je me fais friser tous les jours,
On me relève la moustache ;
Je n’entrecoupe mes discours
Que de rots d’ambre et de pistache ;
J’ai fait banqueroute au pétun ;
L’excès du vin m’est importun :
Dix pintes par jour me suffisent ;
Encore, ô falote beauté
Dont les regards me déconfisent,
Est-ce pour boire à ta santé !
p.97-98
SONNET SUR DES MOTS QUI N’ONT POINT DE RIME
Philis, je ne suis plus des rimeurs de ce siècle
Qui font pour un sonnet dix jours de cul de plomb
Et qui sont obligés d’en venir aux noms propres
Quand il leur faut rimer ou sur coiffe ou sur poil.
Je n’affecte jamais rime riche ni pauvre
De peur d’être contraint de suer comme un porc,
Et hais plus que la mort ceux dont l’âme est si faible
Que d’exercer un art qui fait qu’on meurt de froid.
Si je fais jamais vers, qu’on m’arrache les ongles,
Qu’on me traîne au gibet, que j’épouse une vieille,
Qu’au plus fort de l’été je languisse de soif,
Que tous les mardi-gras me soient autant de jeûnes,
Que je ne goûte vin non plus que fait le Turc,
Et qu’au fond de la mer on fasse mon sépulcre.
O ! que j'aime la solitude !
Que ces lieux sacrés à la nuit,
Éloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Mon Dieu! Que mes yeux sont contents
De voir ces bois qui se trouvèrent
A la nativité du temps,
Et que tous les Siècles révèrent,
Être encore aussi beaux et verts,
Qu'aux premiers jours de l'Univers !
LE PARESSEUX
SONNET.
Accablé de paresse et de melancholie,
Je resve dans un lict où je suis fagoté,
Comme un lievre sans os qui dort dans un pasté,
Ou comme un Dom-Quichot en sa morne folie.
Là, sans me soucier des guerres d’Italie,
Du comte Palatin, ny de sa royauté,
Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
Où mon ame en langueur est comme ensevelie.
Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
Que je crois que les biens me viendront en dormant,
Puisque je voy des-jà s’en enfler ma bedaine,
Et hay tant le travail, que, les yeux entr’ouvers,
Une main hors des draps, cher BAUDOIN *, à peine
Ay-je pu me resoudre à t’escrire ces vers.
p.243
* Jean Baudoin, un des premiers membres de l’Académie françoise, étoit de Pradelle, dans le Vivarois. Non moins fécond traducteur que l’abbé de Marolles, il a laissé un nombre considérable d’ouvrages. — Il est mort en 1650.
LA NUIT
Paisible et solitaire nuit,
Sans lune et sans étoiles,
Renferme le jour qui me nuit
Dans tes plus sombres voiles ;
Hâte tes pas, déesse, exauce-moi :
J’aime une brune comme toi.
J’aime une brune dont les yeux
Font dire à tout le monde
Que, quand Phébus quitte les cieux
Pour se cacher sous l’onde,
C’est de regret de se voir surmonté
Du vif éclat de leur beauté.
Mon luth, mon humeur et mes vers
Ont enchanté son âme ;
Tous ses sentiments sont ouverts
À l’amoureuse flamme ;
Elle m’adore, et dit que ses désirs
Ne vivent que pour mes plaisirs.
Quel jugement y dois-je asseoir ?
Veut-elle me complaire ?
Mon cœur s’en promet à ce soir
Une preuve plus claire.
Viens donc, ô nuit ! que ton obscurité
M’en découvre la vérité.
Sommeil, répands à pleines mains
Tes pavots sur la terre ;
Assoupis les yeux des humains
D’un gracieux caterre ,
Laissant veiller en tout cet élément
Ma maîtresse et moi seulement.
Ainsi, jamais de ta grandeur
Rien n’abaisse la gloire ;
Ainsi jamais bruit ni splendeur
N’entre en ta grotte noire,
Comme autrefois, quand à chaque propos,
Iris troublait ton doux repos.
Ha ! voilà le jour achevé,
Il faut que je m’apprête ;
L’astre de Vénus est levé,
Propice à ma requête ;
Si bien qu’il semble en se montrant si beau,
Me vouloir servir de flambeau.
L’artisan, las de travailler,
Délaisse son ouvrage ;
Sa femme, qui le voit bâiller,
En rit en son courage,
Et, l’œilladant, s’apprête à recevoir
Les fruits du nuptial devoir.
Les chats, presque enragés d’amour,
Grondent dans les gouttières ;
Les loups-garous, fuyant le jour,
Hurlent aux cimetières ;
Et les enfants, transis d’être tout seuls,
Couvrent leurs têtes de linceuls*.
Le clocheteur des trépassés,
Sonnant de rue en rue,
De frayeur rend leurs cœurs glacés,
Bien que leur corps en sue ;
Et mille chiens, oyant sa triste voix,
Lui répondent à longs abois.
Ces tons, ensemble confondus,
Font des accords funèbres,
Dont les accents sont épandus
En l’horreur des ténèbres,
Que le silence abandonne à ce bruit
Qui l’épouvante et le détruit.
Lugubre courier du Destin.
Effroi des âmes lâches,
Qui si souvent, soir et matin,
M’éveilles et me fâches,
Va faire ailleurs, engeance de démon,
Ton vain et tragique sermon.
Tu ne me saurais empêcher
D’aller voir ma Sylvie,
Dussé-je, pour un bien si cher,
Perdre aujourd’hui la vie.
L’heure me presse, il est temps de partir,
Et rien ne m’en peut divertir.
Tous ces vents, qui soufflaient si fort,
Retiennent leurs haleines ;
Il ne pleut plus, la foudre dort,
On n’oit que les fontaines
Et le doux son de quelques luths charmants
Qui parlent au lieu des amants.
Je ne puis être découvert,
La nuit m’est trop fidèle ;
Entrons, je sens l’huis entr’ouvert,
J’aperçois la chandelle.
Dieux ! qu’est-ce ci ? Je tremble à chaque pas.
Comme si j’allais au trépas.
O toi, dont l’œil est mon vainqueur,
Sylvie, eh ! que t’en semble ?
Un homme qui n’a point de cœur,
Ne faut-il pas qu’il tremble ?
Je n’en ai point, tu possèdes le mien...
Me veux-tu pas donner le tien ?
pp.54-58