SONNET SUR DES MOTS QUI N’ONT POINT DE RIME
Philis, je ne suis plus des rimeurs de ce siècle
Qui font pour un sonnet dix jours de cul de plomb
Et qui sont obligés d’en venir aux noms propres
Quand il leur faut rimer ou sur coiffe ou sur poil.
Je n’affecte jamais rime riche ni pauvre
De peur d’être contraint de suer comme un porc,
Et hais plus que la mort ceux dont l’âme est si faible
Que d’exercer un art qui fait qu’on meurt de froid.
Si je fais jamais vers, qu’on m’arrache les ongles,
Qu’on me traîne au gibet, que j’épouse une vieille,
Qu’au plus fort de l’été je languisse de soif,
Que tous les mardi-gras me soient autant de jeûnes,
Que je ne goûte vin non plus que fait le Turc,
Et qu’au fond de la mer on fasse mon sépulcre.
LES GOINFRES
Coucher trois dans un drap, sans feu ni sans
chandelle,
Au profond de l’hiver, dans la salle aux fagots,
Où les chats, ruminant le langage des Goths,
Nous éclairent sans cesse en roulant la prunelle ;
Hausser notre chevet avec une escabelle,
Être deux ans à jeun comme les escargots,
Rêver en grimaçant ainsi que les magots
Qui, bâillant au soleil, se grattent sous l’aisselle ;
Mettre au lieu de bonnet la coiffe d’un chapeau,
Prendre pour se couvrir la frise d’un manteau
Dont le dessus servit à nous doubler la panse ;
Puis souffrir cent brocards, d’un vieux hôte irrité,
Qui peut fournir à peine à la moindre dépense,
C’est ce qu’engendre enfin la prodigalité.
p.244
O ! que j'aime la solitude !
Que ces lieux sacrés à la nuit,
Éloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude !
Mon Dieu! Que mes yeux sont contents
De voir ces bois qui se trouvèrent
A la nativité du temps,
Et que tous les Siècles révèrent,
Être encore aussi beaux et verts,
Qu'aux premiers jours de l'Univers !
Le Soleil levant
Extrait 2
Mouille promptement les guérets
D’une fraîche rosée,
Afin que la soif de Cérès
En puisse être apaisée,
Et fais qu’on voie en cent façons
Pendre tes perles aux buissons.
Ha ! je te vois, douce clarté,
Tu sois la bien venue :
Je te vois, céleste beauté,
Paraître sur la nue,
Et ton étoile en arrivant
Blanchit les coteaux du levant.
Le silence et le morne roi
Des visions funèbres
Prennent la fuite devant toi
Avecque les ténèbres,
Et les hiboux qu’on oit gémir
S’en vont chercher place à dormir.
Mais, au contraire, les oiseaux
Qui charment les oreilles
Accordent au doux bruit des eaux
Leurs gorges non pareilles
Célébrant les divins appas
Du grand astre qui suit tes pas.
La Lune, qui le voit venir,
En est toute confuse ;
Sa lueur, prête à se ternir,
À nos yeux se refuse,
Et son visage, à cet abord,
Sent comme une espèce de mort.
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La Solitude
Extrait 2
Que sur cette Épine fleurie,
Dont le Printemps est amoureux,
Philomèle au chant langoureux
Entretient bien ma rêverie !
Que je prends de plaisir à voir
Ces monts pendants en précipices,
Qui pour les coups du désespoir
Sont aux Malheureux si propices,
Quand la cruauté de leur sort
Les forces à rechercher la mort !
Que je trouve doux le ravage
De ces fiers Torrents vagabonds
Qui se précipitent par bonds
Dans ce Vallon frais et sauvage !
Puis glissant sous les Arbrisseaux
Ainsi que des Serpents sur l’herbe,
Se changent en plaisants Ruisseaux
Où quelque Naïade superbe
Règne comme en son lit natal,
Dessus un trône de cristal !
Que j’aime ce Marais paisible !
Il est tout bordé d’Alisiers
D’Aulnes, de Saules et d’Osiers,
À qui le fer n’est pas nuisible :
Les Nymphes y cherchant le frais,
S’y viennent fournir de quenouilles,
De pipeaux, de joncs et de glais,
Où l’on voit sauter les grenouilles,
Qui de frayeur s’y vont cacher
Sitôt qu’on veut s’en approcher.
SAINT–AMANT – Hommage à l’homme aux mille joies (Chaîne Nationale, 1962)
L’émission « Plaisir de la lecture », par Maurice Fombeure, diffusée le 18 septembre 1962. Lecture : Pierre Bertin.