Extrait 4
Je dis choses : le mot corps n'est plus à convier —
ce serait en dire trop ou pas assez. On veut arpenter
l'espace ; on invente une parole qui a les vertus d'un
mètre. On l'assouplit pour qu'elle supporte nos intimes
vérités ; rien n'y fait : l'élasticité du monde ne nous est
pas donnée. Vous voilà veuf, ce n'est plus l'époque qui
est devenue indésirable ; c'est l'ombre qui vous portait,
le corps qui soutenait, l'esprit qui colportait. Dans votre
vie, un chapitre s'écrit : une suite d'égarements, ou
l'impossibilité de convoquer un souvenir sans bredouiller.
Grenade était apparue. Elle avait joint son geste au mien,
la parole à l'absence de parole, et nous dansions,
messieurs-dames, nous dansions.
Quelle danse ? Doit-on la nommer ? Je vous l'ai dit : nous
dansions, dansions, et vrillant sans la moindre monotonie
Grenade perçait le ciel où — en avait-elle quelque certitu-
de ? — sa mort l'attendait. Aussi m'est-il arrivé de me
demander si un corps n'est pas le regard solide de la mort,
sa forme de pesanteur parmi nous, là : tombé du ciel —
ou d'ailleurs.
…