Tout se multiplie——se paie de mots
S’inverse s’éternise en gloses
S’interdît s’exclame
Gémit pour éloigner l’aurore
Se revend exacerbe
Donne du poing pour ne pas tendre la main
Murmure son poison à l’oreille
Tire la langue aux témoins
Tend une jambe à l’aveugle
Crie bien haut
Être de son temps jusqu’à demain » …
J’étais nu
J’étais nu – mille ans passent.
J’étais nu.
Des incendies et la lande morte.
J’étais nu.
De grandes eaux arrivèrent.
Tout était promis – chacun de vous
Sait qu’il faut des genèses, non ?
Seulement
Seulement aucun ne fut là à me vêtir.
J’étais chaussé de sable.
Le mieux toujours est de tomber à terre
Tracer quelque chose.
Ce fut le commencement.
Pas de nom…
Pas de nom
Pour signer sa différence.
On est du nombre.
Extrait 9
Toc toc, fit donc Grenade. Elle venait d'enchanter l'assistance ;
chacun était mort à sa façon. La politesse fait que nous restions
à ses côtés. Lors d'une telle pâmoison, la mort se satisfait des
apparences. Toc toc. La porte s'ouvrit — l'œil se referma.
Simultanément. Je vous ai raconté comment à peine en face
l'un de l'autre s'inviter fut danser. Eh bien là, sachez-le : entre
ces deux protagonistes, ce fut le même type d'aventure. La
mort ferma son œil au même instant où Grenade fermait les
siens. Il devait bien être minuit quand je me retrouvai avec
un cadavre sur les bras.
Quelqu’un vient vers vous.
Quelqu’un vient vers vous.
Vous en faites un visage
Et vous avez raison.
Vous admettez ensuite
Qu’il ait un corps
Et devenez ami de son nom.
Suivent de nombreux jours ensemble.
Vieillir devient deux visages.
Enfin ce sont des funérailles.
Elle arriva à la dernière heure
Et bien sûr eut raison.
III
E //
Tout est enveloppé d’une bâche
Épaisse comme un linceul.
Un règne de plastique colore
Ces tentes de fortune
Où des souffles se réchauffent
Oubliant qu’ils furent des voix.
(...)
Une éclaircie au soir.
Le trajet d’un rapace
Au-dessus de l’onde.
Tous ces signes que l’on ne voit pas
À l’image des vies qui passèrent.
Aucune n’est la nôtre.
Et pourtant dans ce qui s’efface
Ruminer à toute heure
Ruminer à toute heure
une éternité déjà recensée.
Les membres brisés,
un visage git dans son ombre.
Feuilles noires mortes
Feuilles noires mortes.
Le désir perdu
d’en briser l’épaisseur.
Le cerveau obstrue
Le cerveau obstrue
ce qui devrait brûler.
On perçoit son trouble.
Ses yeux las d’éprouver.
Regarde
Regarde.
Effleure.
Étreins.
Au cœur de l’assèchement,
les fleurs demandent un peu d’eau.
Même trouble.
Roses / 2
Les jours reviennent.
Tant et tant qu’ils épuisent.
Les jardins se succèdent.
Un matin, une rose éclot,
pure ironie.
À rien d’autre promise
qu’un regard – une coupe.
Roses / 1
Regarde les roses.
Le nom
a préservé la couleur.
Lentement,
elles se délient.
Un parfum chute.
forteresse
Les mots – forteresse.
Le corps tenu au silence.
Et la vie. La vie inspirée
de surgir en actes.
Qui parle…
Qui parle
parmi ces mots ?
Aucunement les roses.
Elles furent parfaites.
D’un silence déjà vieux,
on remercie ceux
qui peinent à partir.
Les roses…
Les roses, accorde-leur
l’attention des défuntes
Que sais-tu, si vertical,
de la dernière heure ?
Ces ombres accolées…
Ces ombres accolées
les unes aux autres,
cette nuit première
d’où surgirent vos visages,
s’élancèrent
vos gestes puissants :
j’en sépare
les feuilles de plomb.
Change en livre
l’origine.
Parfois du silence…
Parfois du silence
gémit sur une blessure.
Il faut refermer vite
la boîte pleine d’air.
Vos visages rôdent alors.
Aucun loup
pour m’y dissimuler
Le Pays où la révolte …
Le Pays où la révolte
S’inventa dans le sang
S’est étiolé en nombres
Soumis à l’unité.
tu ne découvriras pas …
tu ne découvriras pas le vrai
Dans le maquis
Ni la paix
Dans la sainte démocratie
Extrait 5
Oui, tout corps est une projection solide émanant du
regard de la mort. Il vit sa vie, tantôt belle, tantôt
morne. Comme si des pieds à la tête, nous n'étions
que l'émanation d'un regard, d'un point de vue, d'un
coup d'œil. Là, par exemple — et je m'en veux d'être
en matière de mort le seul exemple — assis devant le
luisant clavier des mots, tout en angles, dos droit et
jambes pliées, ne suis-je pas projeté sur l'écran de la
terre comme une image mouvante, appliquée à cette
heure à écrire, et dont la tête sérieuse coule délicate-
ment de l'œil de la mort ? Ensuite, ignoble vérité, je
mourrais quand le regard fixe de la mort d'un coup
sec se refermera. Clic clac. Adieu ma vie, et pas mo-
yen, à moins d'être pourvu d'une âme, pour vérifier
cette effrayante théorie.
…