Marceline, Le premier film dans lequel tu apparais est Chronique d’un été d’Edgar Morin et Jean Rouch. On te voit dans les rues de Paris, posant aux passants cette question : « Êtes-vous heureux ? » Cela se passe en 1960. Tu as trente-deux ans. Edgar Morin t’a expliqué que le sujet du film était le bonheur. Il fallait arrêter au hasard des passants dans la rue pour leur demander « Êtes-vous heureux ? » et voir comment ils réagissaient à cette question. Tu lui as répondu : « Tu ne penses pas qu’ils vont nous balancer des tartes ? » Morin t’a dit : « Non, pas du tout. Tu es piquante, séduisante, très jolie, ça va très bien marcher. Sois aguichante et sympathique. » Toi, tu avais envie de pleurer. Lorsque tu as dû répondre à cette question – « Êtes-vous heureuse ? » –, tu t’es trouvée prise au piège. Tu as pleuré, tu as pensé à la mort de ton père à Auschwitz. Pour toi, depuis quinze ans, tout était du rabe. Tu ne pouvais pas échapper à ce que tu avais vécu. La morte que tu étais ne pouvait plus revivre. À Drancy, sur les murs de la prison, tu avais écrit : « C’est presque un bonheur de savoir à quel point on peut être malheureux dans la vie. »