Il est des voix qu'il faut écouter, encore et encore. J'ai lu récemment les témoignages de
Ginette Kolinka, survivante du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, et de
Marie Vaislic, rescapée des camps de concentration de Ravensbrück et Bergen-Belsen.
Lorsque j'ai vu le beau visage souriant de
Marceline Loridan-Ivens en couverture et ce titre plein de vie et de résilience, j'ai eu envie de lire son récit. L'autrice au sourire généreux et à l'humour frondeur nous dit qu'on a l'âge de son trauma, elle a eu quinze ans toute sa vie.
On ne sort pas indemne de ce genre de livre.
Je referme ce livre, secouée, bouleversée par ce nouveau témoignage et par l'inhumanité dont les hommes sont capables. Il me faut maintenant trouver les mots justes après ceux de
Marceline Loridan-Ivens pour dire la cruauté, la brutalité et l'indifférence des nazis qui ont mené des millions de personnes à la mort dans l'indifférence la plus totale, et l'enfer qu'ont vécue les détenus.
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« Au cimetière du Montparnasse, la rabbin
Delphine Horvilleur t'a rendu un dernier hommage : « La tradition juive entend la rébellion et la colère, même tournées contre Dieu. Elle l'écoute et lui fait de la place. Et si l'homme peut demander à Dieu des comptes, alors je crois qu'en cet instant, face à Marceline, Dieu est en situation difficile et pourrait bien passer un sale quart d'heure. Parce que devant lui se tient une avocate féroce de l'humanité, qui va plaider comme personne contre sa génération. »
Marceline Loridan-Ivens, décédée en 2018 à l'âge de 90 ans, était autrice française, actrice, scénariste, réalisatrice et productrice de films. Un de ses longs-métrages, « La petite prairie aux bouleaux », raconte son expérience de la déportation à Auschwitz-Birkenau.
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À la question « Etes-vous heureux ? »,
Marceline Loridan-Ivens ne peut esquiver ses souvenirs de la guerre, de la Shoah, de ces mois de souffrance et de peur dans le camp de la mort d'Auschwitz-Birkenau.
Elle a douze ans lorsque la seconde guerre éclate. Suite à la dénonciation d'un voisin, la jeune adolescente est arrêtée avec son père en février 44 par la Gestapo et la milice française.
D'abord emprisonnée à Saint-Anne, puis à la prison des Baumettes avant d'être internée au camp de Drancy, elle est ensuite déportée à Auschwitz en avril de la même année.
Elle y retrouvera
Ginette Kolinka et
Simone Veil qui deviendra sa plus grande amie.
Elle nous raconte son histoire, les conditions de voyage éprouvantes dans un wagon à bestiaux, son père à ses côtés. Sans eau. Sans nourriture. Les corps entassés. Un baquet dans un coin à la vue de tous pour faire ses besoins.
Sans rentrer dans les détails, elle relate son arrivée dans le camp, les terribles premières heures où tout est fait pour les humilier et les déshumaniser, où elle est séparée de son père.
Elle décrit la vie au camp : la peur, les mauvais traitements, les brimades quotidiennes et les coups, l'appel interminable sans bouger, les travaux forcés, la faim et la soif, la surpopulation, les épidémies dont le typhus, les cadavres à enterrer,…
« … si tu supportes l'humiliation, tu vivras, si tu ne la supportes pas, tu crèveras. »
« La vie quotidienne à Birkenau pouvait détruire les liens les plus intimes, ruiner les relations les plus confiantes. »
Après Auschwitz-Birkenau,
Marceline Loridan-Ivens est transférée en Saxe au camp de Raguhn, puis au camp de Theresienstaldt.
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Il n'est pas question seulement de devoir de mémoire, mais aussi de parler de la vie, du difficile, impossible travail de reconstruction après avoir vécu l'impensable, l'inimaginable.
A la libération, après la longue marche vers Prague où elle est soignée puis le retour en France, à nouveau dans un wagon à bestiaux, son oncle lui assène ces mots terribles : « Ne raconte rien, ils ne peuvent pas comprendre ».
Marceline Loridan-Ivens nous raconte la perte de repères, l'incompréhension de ceux qui n'ont pas vécu les camps, la barbarie nazie passée sous silence, le difficile chemin pour retrouver son humanité, l'impossibilité d'oublier ces mois de violence insoutenable.
« Je n'ai jamais quitté le camp. Je ne me suis jamais comportée dans la vie autrement que comme si j'y étais restée. Je suis dedans, je revois sans cesse la boue, la merde, les SS. »
Et puis, il y a son père qu'elle a attendu et qui n'est jamais revenu.
« Quand mon père est-il mort ? Je ne sais pas. Je ne sais pas où il est enterré, ni même s'il a été enterré. Il a pu mourir en marchant, il a pu être éliminé dans ces marches de la mort où les SS tuaient tout le monde. »
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Dans ce petit livre d'une grande force, les mots sont lâchés, simples, directs, sobres, le lecteur le sent, avec la plus grande honnêteté et sensibilité. J'admire sa force de vie, son courage et sa résilience pour survivre à l'horreur et la folie.
Son témoignage est émouvant, glaçant et bouleversant d'émotions. C'est un texte d'une grande profondeur, d'une extrême force et d'une grande sagesse qui prolonge, à mon sens, mes lectures précédentes.
Que dire de plus ? Lisez-le.
Je finis avec les derniers mots de
Marceline Loridan-Ivens :
« Un jour, je serai débarrassée de moi-même. Je ne serai plus là. Je serai une poussière d'étoile dans le ciel, une poussière de je ne sais quoi qui ne sera plus moi. »
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Je remercie Babelio et l'équipe Pocket en Masse Critique Non-fiction pour l'envoi de ce livre qui m'a permis de venir à la rencontre de
Marceline Loridan-Ivens.