Litt-errance : Marie Célie Agnant - Fokal.
Marie Célie Agnant est une écrivaine polyvalente dans la mesure où elle a publié des poésies, des nouvelles, des romans et des contes pour les jeunes. Dans cette capsule, Agnant nous fait part de son parcours, des auteurs qui lont influencés mais aussi des conseils quelle donnerait à ceux qui voudraient découvrir la littérature africaine et caribéenne.
ceux qui font preuve de ce talent-là
demeurer vivants
ce talent-là
se tenir debout
sans aucun espace où s'imposer
sans aucun répit depuis la première nuit
sans aucune brèche
depuis l'enfance du monde
On dit qu'il faut apprendre à guérir de la douleur. Antoine n'y croit pas. Il est des maux dont on ne guérit pas.
On la prétend belle, intelligente, mais à la veille de ses vingt cinq ans, elle ne comprend pas pourquoi sa vie ne se résumerait qu'à une longue attente. Tout autour d'elle s'agitent des pantins, et des poupées qui, pour survivre, couchent avec des bêtes qui portent des bottes. [...] Rosa refuse d'être un pantin [...].
nul frémissement
Nulle voix
Nulle main
Seulement la certitude profonde de la colère
Et l’angoisse
Ce froid dans la poitrine
Et puis parfois
Quelquefois
Ce regard infiniment triste
D’où émerge la nostalgie
Brutale
Ce cri
Que jamais ne s’endort
Il passe en revue les animaux les plus terrifiants; aucun d'entre eux n'arrive à la cheville de son adversaire. On dit des alligators qu'ils sont sans pitié, elle doit être de la même race qu'eux : un reptile féroce, venimeux et cruel comme seuls peuvent l'être ces animaux.
- Que regrettes-tu, grand-maman ?
- Je ne sais pas, je ne sais plus. Il est difficile de soupirer après ce que l'on n'a pas connu; mais les vies de femmes, je crois, ont toujours un arrière-gout de nostalgie car la plénitude nous fuit, passe souvent si loin de nous. Nous la poursuivons alors, jusqu'à l'épuisement. Je me sens usée jusqu'à l'âme Sara. Pourtant je ne regrette rien, mais ...j'ai l'impression parfois que mon existence toute entière n'a été qu'une grande quête dont je ne verrai jamais la fin. Toi seule aura été réelle....
"Priez les enfants, priez encore et encore." On leur apprenait à réciter par cœur ces longues oraisons auxquelles elles ne comprenaient rien. "Notre Père qui êtes aux cieux, pardonnez nos offenses." Mais son père à elle n'était nulle part, et de quelle offenses était-elle coupable ? Telle une eau glaciale qui tomberait goutte à goutte en son cœur, lui reviennent les listes de saints dont il fallait implorer la clémence.
Le visage en extase, transfigurée dans une jouissance muette, Rosa s'empare de l'objet, elle le caresse, fait mine de prendre pour cible ceux qu'elle appelle ses petits soldats [...]. Elle promène l'arme sur ses joues, sur ses lèvres, sur son sexe, et tout son corps se trouve agité de soubresauts convulsifs. Et c'est alors, alors seulement, qu'elle les reçoit en elle, dans une étreinte âpre, rapide et sauvage, où elle semble les engloutir, les avaler, pour combler quelque gouffre obscur. Mais, lorsqu'ils partent, ils la laissent plus que jamais vide, tenaillée par une faim beaucoup plus tenace et inassouvissable, qui en elle mord, car elle sait que, dans les coulisses, ces jeunes bâtards se moquent d'elle, la méprisent, comparent en ricanant leurs prouesses auprès d'elle.
Il faut quand même les comprendre, les pauvres colons, ils ont bossé comme des dingues dans les colonies. Y avait les moustiques, les diables, les sorciers, les mambas verts, la maladie du sommeil, la fièvre jaune, bleue, orange, arc-en-ciel... Y avait tous ces maux sur nos terres maudites, là-bas, dans les ténèbres. Et le colon a dit: "Je vais quand même aller délivrer ces barbares de leur condition inhumaine!"
Les civilisés sont donc allés au secours des sauvages qui vivaient dans les arbres et se grattaient avec les orteils. Les autochtones se mangeaient entre eux, sans même saler leur viande humaine!
Y avait que du positif!
« N’ouvre pas tant la bouche, c’est très vilain et tu m’effraies. Je n’aime pas voir cet affreux dentier. Cela me fait penser à un crocodile, non, à un alligator ! On le prétend plus cruel. »