Citations de Marie-Louise Assada (77)
A l'amour qu'ils refusent de s'avouer se mêle une haine atavique. Et la surexcitation des esprits ajoute sa fièvre à celle des cœurs. Maxime... Delphine... Passionné, passionnant, le drame intime de ces deux êtres exceptionnels ne cessera d'engendrer les situations les plus pathétiques jusqu'à l'heure de l'ultime conflit.
Il a un long nez
aristocratique et des traits réguliers. Néanmoins, il ne correspond pas tout à
fait à mon type d’homme. C’est plutôt de le savoir malheureux qui m’attire vers
lui. Aujourd’hui, l’expression amère, désabusée, qui lui est habituelle, était
encore accentuée. Il n’avait certainement pas envie de me voir. Pourtant, je
sais qu’il a pour moi toute l’amitié dont il est capable mais ça ne va
vraisemblablement pas au-delà.
A certains jours, quand j’arrive à m’évader de ma torturante
idée fixe, je m’accable de reproches, je me promets de changer d’attitude.
Puis, de nouveau, je pense à maman, à cet accident dont il a été en partie
cause et mon ressentiment renaît plus fort que jamais. Loin d’être touchée de
sa faiblesse, je lui en veux.
On n’est pas maître de ses sentiments.
Les copains, c’est bien pour s’amuser, mais il ne faut pas trop compter sur eux.
On sait bien ce que sont les amoureux !
Leur vue me donne le cafard. Non
que je sois jalouse. Je suis heureuse, au contraire, du bonheur de Kikou, mais cette entente, cet amour, évident quoiqu’il se
dissimule pudiquement à la japonaise, me vaut de mélancoliques retours en
arrière. Certes, je n’ai pas connu ce qu’ils sont en train de vivre, mais
n’ai-je pas éprouvé la joie que peut dispenser une présence quand elle est
celle d’un être vers lequel on se sent invinciblement attirée ?
Si les hommes portent tous le veston européen qui leur va d’ailleurs fort mal, les femmes sont nombreuses à avoir repris le costume national un peu abandonné pendant l’occupation américaine. Mais, ensuite, il a fait un retour en force, en même temps que son prix augmentait considérablement. C’est devenu un snobisme et une preuve d’élégance de le porter car il coûte souvent autant qu’une robe de nos grands couturiers. L ’obi qu’il exige le renchérit encore. On ne s’imagine pas les sacrifices que peuvent s’imposer les Japonaises pour s’offrir ces somptueuses ceintures, tissées d’or et d’argent, brodées de magnifiques motifs floraux ou de papillons.
C’est vertigineux, mais si
beau qu’on n’a pas l’idée d’avoir peur, bien que l’ensemble donne une telle
impression de légèreté qu’il paraît devoir s’écrouler ou plutôt s’envoler au
moindre souffle de vent. J’étais littéralement en extase et il a fallu que mon
enthousiasme déborde.
Pour le moment, je ne crois pas l’aimer. Encore n’en
suis-je pas tout à fait sûre… Je le suis moins encore de ne pas finir par
l’aimer pour de bon s’il se met à m’aimer vraiment : « L’amour
appelle l’amour », dit-on. Mais est-ce toujours vrai et quelle atroce
incertitude quand celui qui aime est un malade qu’une déception risque de
précipiter dans une rechute et qu’on navigue soi-même dans les ténèbres ?
— Le monde entier me
dégoûte. Alors je m’évade le plus que je peux.
— Comment ?
— En rêve. En attendant que
ce soit pour de bon.
La tentation de commettre les
pires folies, uniquement pour faire du mal à ceux qui osent prétendre m’aimer
alors qu’ils semblent avoir pris à tâche d’augmenter ma peine, ne cesse de
grandir depuis que voilà Suzy intronisée maîtresse de maison. Chaque jour qui
passe, loin de m’habituer à sa présence, me distille sa goutte d’amertume.
Pourtant, elle y met toute la discrétion, toute la
délicatesse possibles. Loin de lui en savoir gré, je le lui reproche, y
voyant une preuve d’hypocrisie. La vraie vertu n’aurait-elle pas consisté à
refuser d’épouser papa ? Et tout son tact ne peut empêcher qu’inexorable
batte en moi le pouls du souvenir.
Peut-être ! » Un
mot trompeur qui éveille une espérance destinée le plus souvent à être
déçue ! J’ai émietté le canapé de saumon sur mon assiette sans pouvoir
l’achever, car ma gorge s’est serrée.
Mon décolleté était provocant. La
tête me tournait un peu. Je ne me suis pas dérobée. Pourquoi l’aurais-je fait
d’ailleurs ? Mon père et Suzy se souciaient-ils de moi à
Fontainebleau ? Les appliques s’étaient rallumées. Par-dessus l’épaule de
Jean-Marc, j’ai dévisagé hardiment ma soi-disant conquête. Ses yeux étaient fixés
sur moi et nos regards se sont croisés. J’ai cru voir dans les siens, l’espace
d’une seconde, une réprobation mêlée d’une étrange tristesse. Instinctivement,
j’ai secoué l’épaule pour me dégager de l’étreinte de Jean-Marc.
Je sens que je suis sur une mauvaise pente mais il m’est impossible de réagir.
Même le souvenir de maman que je supplie pourtant de venir à mon secours, est
impuissant à me retenir. Je fuis davantage, si c’est possible, les occasions de
tête-à-tête avec papa et rejoins de plus en plus souvent mes camarades qui ne
demandent pas mieux.
Pas de doute, elle est éperdument amoureuse de papa alors qu’elle pourrait être sa fille, et ce doit être réciproque. Je sais bien que papa porte ses quarante-sept ans avec plus de véritable jeunesse que la plupart de mes camarades qui affectent des airs blasés et arborent à l’appui leur débraillé et leurs buissons de barbe. N’empêche qu’il est d’une autre génération alors que Suzy est, à peu de chose près, de la mienne… Je me rappelle avec quelle adoration il contemplait maman. « Ta mère est inégalable », me répétait-il souvent. Trois ans auront suffi pour qu’il porte à une autre la même admiration. Est-ce donc cela, l’amour… ? Tellement éphémère… ? Le cœur qu’on croyait brisé bat de nouveau. Si c’est vraiment cela, plutôt ne jamais aimer. L’amour, je ne le conçois que défiant le temps, la mort. Je le veux tissé d’éternité. Aime-t-on donc moins sa femme qu’une fille n’aime sa mère ? Moi, je sais bien que je ne me consolerai jamais de la mort de maman. Ma colère s’était éteinte. Il n’en restait que des cendres qui me brûlaient l’âme. Suzy s’était mise à pleurer silencieusement, la tête dans ses mains. Je voyais les larmes couler entre ses longs doigts minces. Je n’avais plus qu’à m’en aller. — Adieu ! ai-je dit. — Gégé, ne nous quittons pas ainsi, comme deux ennemies… Embrassons-nous. Je t’en prie, Gégé. J’ai fait non de la tête. Il y avait eu un moment où j’aurais voulu la gifler. Maintenant, je n’en avais même plus envie. Mais un baiser, ç’eût été au-dessus de mes forces. J’ai saisi ma sacoche et je suis partie. Ayant enfilé machinalement une rue, puis une autre, je me suis retrouvée tout à coup devant l’immeuble où habite Guerrand . Plutôt affronter son incompréhension un peu cynique que de rentrer à la maison tout de suite.
Je revis sans cesse cet
entretien avec papa où il m’a fait part de ses intentions. Il était pâle, ému,
il cherchait ses mots. Je l’ai écouté, muette, assommée par ce qu’il
m’annonçait et à quoi j’étais si loin de m’attendre. Que son chagrin
s’atténuât, oui, je le sentais, bien que j’eusse voulu parfois me persuader du
contraire, mais de là à penser qu’il songeait à se remarier…
"Chère petite rêveuse ! "
me disait maman. Mais rêver n’apporte pas de réconfort à un cœur submergé de
tristesse ! On bêtifie, on boit, on fume, on se désarticule en mesure sur
des rythmes pop’. Je rentre à la maison à une heure absurde, courbatue, la tête
vide, l’estomac barbouillé et l’âme lourde. Mais j’ai gagné quelques heures
d’oubli
Elle se mit à courir, comme pour le fuir. Il la suivit à distance, bouleversé comme il ne l’avait jamais été durant toute sa vie d’homme, ses larges épaules courbées sous le bonheur si intense qui l’écrasait, tout en l’épouvantant à la fois. L’archéologie, sa raison de vivre ? C’avait été vrai. Ce ne l’était plus !
— Admirer ? C’est vite dit. C’est étrange plutôt. Impressionnant de penser que ces murs ont résisté aux siècles, aux déchaînements des passions religieuses…
— … et aux cataclysmes, ajouta Lucio. N’oubliez pas la fréquence des tremblements de terre dans ce pays. Mais, plus qu’en la solidité de leurs murs, les Incas se fiaient à la protection des dieux. Les chrétiens aussi, du reste. Lundi, le Seigneur des tremblements de terre sera une des attractions des processions.
L’empire inca n’a guère duré qu’une centaine d’années. Il a succédé à d’autres civilisations non moins brillantes qui s’étendaient plus au nord, et c’est de là que provenait l’or en majeure partie. On en trouvait d’énormes pépites dans le lit des rivières de ce qui est actuellement la Colombie – Le fabuleux El Dorado, « le Doré » – des conquistadores espagnols ne se situait pas au Pérou, mais, plus exactement, en Colombie.