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Citation de inaji


Vous êtes déjà allée en forêt la nuit ? D’abord, on tend l’oreille parce qu’on n’est pas sûr, c’est vague, irréel, un tour joué par nos sens. Puis le bruit recommence, il s’installe et le rythme est carré, il se décompose et alors on sait : ce n’est pas un merle ou une grive qui fouille la terre, c’est un pas. Un mammifère marche, non loin, un être de la forêt qui rôde en son royaume, qui hume, broute, sent, traque, déchire, dissimule, un être de sang chaud qui connaît chaque souche, chaque buisson de ronces et dont les yeux distinguent le moindre brin de mousse au cœur de l’ombre. Savoir que cet être est tout proche, que l’on frôle le vivant libre et sauvage sur son territoire est un des sentiments les plus grisants que je connaisse.
Le corps de Rita s’est tendu à côté de moi et sa respiration s’est accélérée. Les pas se sont rapprochés, d’autres s’y sont joints. Ce n’était pas des sangliers, aucun groin-groin ou grognement ; les pas étaient lents, l’œuvre de grandes pattes au mouvement ample et gracieux. Rita l’a tout de suite compris. Elle a serré ma main très fort.
On est restés longtemps, l’un contre l’autre, dans la nuit, yeux écarquillés et oreilles en alerte, au centre du monde. On ne savait pas quels animaux nous effleuraient. Ils disparaissaient, d’autres arrivaient, plus près ou plus lointains. On ne cherchait pas à les démasquer, à les voir. On avait l’immense chance d’être acceptés, on était des invités respectueux, conscients du privilège, du moment de grâce. Dans la nuit, chaque frottement, chaque feuille foulée explose, prend une dimension intense, on a l’imagination en ébullition, on écoute pour de vrai, on est absorbé par l’instant présent, rare, précieux. Parfois, la lune se débarrassait des nuages qui l’assaillaient et sa lumière argentée inondait brusquement nos rétines. Alors, on apercevait une croupe, un museau, des oreilles, une silhouette fine, ramassée, une fourrure dense de renard qui trottine, puis les nuages l’avalaient à nouveau et la nuit nous avalait avec elle. On traversait un poème, on le vivait et j’étais heureux de partager cette magie avec Rita, comme si on avait été autorisés à entrer dans un cercle secret où peu d’humains ont posé le pied.
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