L'ancien bibliothécaire du prince Gottfried avait lu tous les livres entassés à Hartburg et il avait tout retenu. Il y avait beaucoup d'ouvrages français dans le château des princes. Aussi, à Paris, où la victoire allait bientôt s'enterrer, Josef Frantisek, secrétaire de Benès, allait pouvoir flatter autant que nécessaire l'amour-propre des Français.
Déjà des hommes, des femmes, des enfants se dirigeaient en pleine nuit vers les Champs-Elysées, portant sous le bras des périscopes et des pliants. Beaucoup de Parisiens passeraient la nuit sur la place, pour être certains d'apercevoir les vainqueurs dans la lumière éclatante du plus beau des 14 juillet.
Au château de Hartburg, la nuit finissante était aussi noire que paisible. Les mondes qui se créaient et se défaisaient dans l'esprit de Dorothée gisaient immobiles, au fond de sa conscience, comme des navires coulés.
Quelques jours plus tôt, le détachement de spahis marocains qui cantonnait près de la forteresse de Bude avait été rappelé. Il n'y avait plus un seul soldat pour barrer à Bela Kun la route du pouvoir.
Mais ce qui était tragédie à Budapest devenait comédie à Venise. Sur l'Adriatique ce n'était pas le sang qu'il était important de faire couler, mais l'encre.