Marlin Marynick

Il y a souvent une vérité dans la folie, et la maladie mentale est en grande partie un procédé par lequel les gens tentent de donner un sens à leurs relations et à leur environnement. Un grand nombre de patients luttent pour surmonter leur passé, mais plusieurs d’entre eux ont encore besoin d’aide pour composer avec le présent. Chaque semaine, au travail, je reçois des appels de personnes âgées qui croient être victimes d’empoisonnement. Leur corps se détériore, leur mémoire à court terme se dégrade, et lorsque cela devient trop difficile d’accepter que ces changements font partie du processus de vieillissement, beaucoup de gens créent des mythes dans leur esprit pour s’expliquer ce qui leur arrive.

Quand tu es élevé dans une prison fédérale, la prison devient ton esprit, parce que les gens vont et viennent. Les gens se trouvent des emplois, ils assurent une fonction et endurent certaines règles et certains règlements. Au bout d’un moment, le vent tourne, et il ne reste que toi ! Parce que tu es dans la place. Il y a dix personnes dans la place, une personne arrive et repart, une autre arrive et repart, et puis deux arrivent et repartent, trois partent, et une arrive.

À mesure que tu vieillis, tu deviens tout ce qu’ils ont été. Puis un nouveau groupe arrive, ce groupe ne t’aime pas, parce que tu ne le regardes plus comme si ce groupe était tes parents, tu le regardes comme s’il était tes enfants, parce que ce groupe est devenu tes enfants. Ils se sentent mal à l’aise. Quand toi tu deviens l’autorité, eh bien là, ils sont troublés, déroutés, ils ne savent pas, et ceux qui t’ont élevé sont déjà morts. Alors le gars dit : « Va travailler dans la cuisine. » Tu dis : « Va te faire foutre. » Il dit : « Alors, tu ne sortiras pas du trou. » Tu dis : « Parfait, j’aime le trou. » Il dit : « Alors, tu ne sortiras pas de prison. » Tu dis : « Quelle prison ? Vous êtes ceux qui sont venus ici, vous ne pouvez pas vivre sans ça. Je peux vivre sans ça, je peux vivre sans. »

De toute évidence, Charles Manson avait vécu dans ce genre d’établissements. Je l’imaginais à quatre pattes derrière les barreaux, comme un animal en cage, entouré par des gardiens qui lui donnaient des coups de l’extérieur avec des bâtons pointus, l’agaçant, le tourmentant uniquement pour s’amuser. Je pouvais le voir revêtu d’une camisole de force dans une cellule capitonnée, comme un insecte immobilisé dans la toile d’une araignée affamée.
Il était le parrain de la folie dans toute sa gloire. Quelque chose me disait qu’il était le seul être humain vivant ayant le pouvoir de donner un sens à la douleur et aux ténèbres de ma propre vie. D’une certaine façon, il possédait la clé. Je n’ai jamais imaginé qu’un jour il la partagerait avec moi.

J’aimais aller à l’école et j’avais beaucoup de bons amis. Cela m’a toujours été facile de créer des liens avec les gens, et j’ai eu de nombreuses amitiés proches et diversifiées avec toutes sortes d’enfants – rockeurs, tarés, sportifs et sales gosses. Plutôt du type rockeur moi-même, j’étais, et je suis encore passionné de musique. À huit ans, j’ai découvert Kiss et Alice Cooper. J’ai commencé à dévorer des magazines de rock, et, en peu de temps, je savais tout à propos de mes chanteurs favoris. Les murs de ma chambre étaient couverts de leurs posters. Ils étaient à mes yeux des héros vivants de bandes dessinées.

Je suis en général assez doué pour me mettre à la place des autres. Mais je n’arrive pas à m’imaginer passer soixante-trois ans en prison. Je me suis souvent demandé comment je supporterais la solitude, l’isolement. Je pense que je ne tournerais vraiment pas bien. Manson a passé la plus grande partie de son incarcération confiné, seul, forcé d’être avec lui-même, avec ses pensées, forcé d’affronter ses démons et de développer des idées d’une profondeur inconnue de la plupart des hommes (inconnue du commun des mortels). Charles Manson est, sans aucun doute, la personne la plus complexe que j’ai rencontrée.

J’aime les bonnes histoires d’opprimés, et j’ai commencé à raconter la mienne alors que je n’avais que trois ou quatre ans. Les femmes qui me gardaient à l’occasion raconteraient plus tard qu’elles avaient eu la trouille à cause de ces contes que j’imaginais lorsque j’étais tout petit. La plupart relevaient d’une construction épique que j’élaborais à partir de l’histoire de ma famille, un compte rendu détaillé de ses origines en tant qu’obscure tribu vivant sous la terre, détestée des tribus rivales et chassée si l’un des membres osait s’aventurer hors de la terre à la recherche de nourriture.

’aime attraper, étudier et passer du temps avec des êtres minuscules et complexes que je peux tenir dans la paume de mes mains, comme des vairons, des grenouilles et des escargots. Mais, tout compte fait, j’étais profondément fasciné par le gigantesque, le fantastique ou encore l’espèce en voie d’extinction – des choses terrifiantes qui ne sont pas censées exister. Je pouvais contempler des dinosaures et des monstres marins pendant des heures et des heures.