Martin Serbire

L'Affaire Seznec.


[...] ... C'est alors que Pierre Quémeneur aurait proposé une mirifique affaire à Seznec. Mais, à ce sujet, on ne possède évidemment que le témoignage de ce dernier : voici comment, selon lui, se sont déroulées les tractations - dont plus tard l'accusation devait nier jusqu'à l'existence même.

- "Il y a quelques jours" - dit l'honorable conseiller général à son douteux ami - "à Paris, dans le quartier de la Madeleine, j'ai rencontré un homme d'affaires américain. Il s'appelle Sherdly et il cherche à acheter des voitures américaines d'occasion pour les revendre aux Russes. Il offre 30 000 francs pour chaque voiture et prend 2 000 francs pour sa commission personnelle. Tu te rends compte des bénéfices qu'on peut faire ? A supposer qu'on achète des voitures à 10 000 ou 12 000 francs chacune, ça nous laisse un sacré paquet.

- Mais une telle affaire," rétorque Seznec, "exige une mise de fonds importante ...

- J'apporte cent mille francs," dit le conseiller. "Toi, tu donnes ce que tu peux".

Si les choses se sont bien passées ainsi, cela voudrait dire que Quémeneur n'est absolument pas au courant des graves déboires actuels de son malchanceux ami. Ce qui semble quand même difficile à croire.

- "Quel sera mon rôle exact dans l'affaire ?" demande alors Seznec (toujours selon son témoignage ultérieur.)

- "Je n'ai pas le temps de prospecter moi-même les garages de la région. Ce sera donc à toi de me dire où l'on peut acheter des voitures américaines d'occasion, et surtout des Cadillac. D'autre part, ce sera toi qui recevras le courrier de Sherdly.

- Et pourquoi moi ?" s'exclame Seznec.

- "Parce que je ne peux pas le faire moi-même. Je suis conseiller sous une étiquette libérale. Si on apprend que je travaille pour les Rouges, tu imagines le tollé général. D'ailleurs, je n'ai même pas parlé de cette affaire à mon frère.

- En quelque sorte," dit Seznec, "je te sers de couverture." ... [...]

L'Affaire du Pont-d'Andert.

[...] ... "Ma pauvre femme est morte ! Et mon enfant ! Je suis trop malheureux ! Il ne me reste qu'à mourir aussi, à me brûler la cervelle !" Maître Peytel, le jeune notaire de Belley, ancienne capitale du Bugey et sous-préfecture du département de l'Ain, sanglote sur le corps sans vie de sa jeune femme enceinte, Félicie : le visage de cette dernière est maculée de sang noirâtres, ses vêtements sont humides et boueux. Nous sommes dans la nuit du 1er au 2 novembre 1838. La tempête fait rage.

Il y a là le docteur Martel, médecin bien connu de la ville ; M. Jordan, président du Tribunal civil ; M. Guyonnet, substitut du procureur ; et le lieutenant de gendarmerie Wolf. Au deuxième étage de l'immeuble de Maître Peytel, on a déposé le corps de la malheureuse Félicie dans sa chambre personnelle.

Le jeune notaire continue à délirer : "Je ne puis croire que ma femme soit morte ... Elle vit encore, j'ai senti de la chaleur ... Il y en a ... mais plus de vie."

En face, de l'autre côté du couloir, la porte qui mène à la petite alcôve qui sert ou plutôt qui servait de chambre à leur domestique, Louis Rey. Lui aussi est mort. Mais son corps à lui a été laissé à quelques kilomètres de là, dans la campagne battue par le vent et la pluie ...

Du drame affreux qui vient ainsi de faire deux victimes - deux jeunes victimes, à peine âgées de vingt ans, et même trois en comptant le futur bébé - Maître Peytel va faire le récit suivant, le lendemain matin, au substitut Guyonnet :

- "Je rentrais de Mâcon, d'où j'étais parti le 31 octobre, vers 11 heures du matin, pour retourner à Belley, avec ma femme et mon domestique, qui conduisait un chariot découvert. Ma femme et moi, nous le suivions dans le phaéton.

"Je rapportais 7 500 francs que j'avais reçus à Lyon. ..." ... [...]