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Citations de Martine Broda (39)


Martine Broda
perdue au fond de la forêt
périlleuse

j'ai rencontré un Chevalier
portant l'armure éblouissante

tard venu tant attendu
c'est l'amour aux yeux d'orage

(" Toute la poésie")
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Martine Broda
Cascades
en trilles de cristal

Elle rit à l'escarpolette
et chante
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Martine Broda
Lettre d’amour (Dédicace)
     
que ton nom soit un sceau sur mon cœur
dans la crypte du texte caché
ne l’ébruite la bouche balbutiée
le confie à la main plus sûre
tel l’écrit qui fut le vecteur
de cet amour surgi dans sa chute
né au fond d’un naufrage
qui se redresse vers le salut
comme le vert de l’espérance
aux jours les plus désespérés
     
perdue au fond de la forêt
périlleuse
j’ai rencontré un Chevalier
portant l’armure éblouissante
tard venu tant attendu
C’est l’amour aux yeux d’orage
     
l’attente est un château hanté
pour que brûle la chasteté
nous égrenons les litanies
de la patience
dans l’ascèse où nous devons mi-dire
le vertige où le cœur a bondi
les mots s’enlacent
     
pourquoi suis-je allée vers toi d’un pas sûr, même si les yeux bandés,
je crois que nous étions appelés, tu figurais mon manque, moi le tien
ce jour-là surgit
du hasard
un Prince que j’ai séduit comme par inadvertance
l’amour peut naître de part et d’autre au même moment
     
le visage reconnu
puis perdu
que je portais en moi comme un regret
avec le nom unique
voici qu’il s’exprime avec douleur
alors dans la seconde chance du temps
il flambe sur la nuit hallucinée
la nuit des signes égarés
où nos regards s’éprennent et fuient
     
je confie ma vie au destin
comme une offrande
avec un déluge de lettres
autour d’un mot long à venir
je te transforme en lieu d’adresse
parfois quand tu t’absentes des nuages voilent
la face du soleil
je ne peux rester en paix dans cet amour
je cherche mes pas sur la grève
     
d’étoile seule vers l’autre étoile seule
lequel
tendit la première main
écrivit la première lettre d’amour ?
séduire avec les mots
surgis de la nuit d’âme
l’absence est l’intervalle
la passion flambe haut dans le vide
l’amor e cosa mentale
une attente infinie, une chanson de toile
nos lettres d’amour étaient lettres ouvertes

au bout du chemin
l’amour improbable
irrigue le cœur à blanc
soleil pâle
en quête de métamorphose
pour aimer
pour être un jour
comme la flamme qui purifie l’aiguille
les êtres doivent passer
par le chas de la douleur
     
j’ai vécu la douleur et la maladie
affronté la haine
répétant une histoire sourde
fardeau d’avant ma naissance
mais j’avais gardé ma joie
je ne savais pas que tu viendrais
me rendre à la vie
avec les yeux du destin
voici que tu tends le miroir
     
il suffirait que tu me touches
pour que je reprenne les forces d’Antée
et pourtant tu ne me touches pas
je suis la naufragée
suspendue au fil de ta voix
mais si tu coupes le fil
je surmonte le naufrage
une fois de plus je surmonte
avec ma voix
je remonte le courage
     
dans la présence ou l’absence
depuis trois ans je vis habitée de toi
j’ai changé ma maison,
elle n’a qu’une seule porte,
pour un seul visiteur
être lumineux surgi de la vie sombre,
tu me tends le miroir où ta beauté me blesse
tes mots font un écho d’âme
je ne suis pas indemne
     
il fallut
désespérer le corps
(une nuit préméditée, opération
violente : des larmes, des mots
en trop)
déséblouir
sur la vitre séparation
dans l’intervalle des regards
     
contre l’image fixe
renaît l’amour évident
une tendresse déshabillée du corps
tu serais un lieu du langage et comme
le destinataire
je te retrouve dans le texte sensible
rayonnant comme la peau

précédé par le chat gris le soir me rend visite
l’amant de onze heures
il m’entraîne pour une magie
dans la lumière douce des cristaux de sel
côte à côte nous fourbissons nos âmes
nous devons réapprendre les gestes
de nos corps et de nos pensées
     
fébrile souvent je ne peux trouver le sommeil
par excès d’âme je n’habite plus ma pensée
alors je suis livrée aux cruautés du doute
je pense à l’être aimé si près si loin
livré probablement aux mêmes affres
qu’il est cruel de devoir dire l’amour
par énigmes dans un halo incertain
de ne jamais pouvoir étancher sa faim
lorsque le temps est toujours plus vorace
     
nuits blanches, semées d’étoiles, l’absence
comme un pont jeté, et ma nuit qui palpite,
pleine de toi, et je voudrais pouvoir le dire
avec mes lèvres mes doigts courant sur
ta peau traçant dessins de fièvre
je suis allée vers toi en somnambule
notre histoire est-elle une page blanche
ou plutôt une respiration du destin
puisque les plus beaux instants tremblent
nous hésitons avant l’accomplissement
au-delà de tes mains je n’ose même imaginer
     
prisonnière
d’un sentiment trop grand
dans une absence aride
mais je sais
chiffre éblouissant
que par-delà ta lenteur,
avec ton visage, avec tes mains,
tu viens
depuis ta première lettre
je n’ai cessé de t’écrire
     
tu vas passer cette porte
et rien ne sera comme avant
les bras cesseront d’étreindre le vide
le nom s’inscrira dans la chair
mot pour mot
nous échangerons nos visages
l’étoile que tu portes au front
jaillira
tu seras presque volubile
et moi presque silencieuse
     
élue
par le haut amour
transportée dans la flamme
pieds meurtris sur la roue
marche aveugle au destin
cherchant la nuit où retentit
sur le gong du cœur
un visage d’outre-temps
clair comme une hantise
tu es beau comme le jour vain
tu éblouis comme la faim
     
ton visage est une blessure
en plein cœur
de tes doigts
jaillit la foudre
puisque tu étais mon destin
lorsque à l’aveugle je t’ai trouvé
tu m’as immédiatement
reconnue
quand l’amour répond à l’amour
la nuit recoud la nuit
     
« je gagnai, je perdis, je jetai tout dans la main de Personne »
de ce jour, de ce jour même, où la missive étonnante atteignit
mon cœur, moi aussi j’ai tout jeté par dessus bord, d’abord les
colliers de perles fausses
mais avant toute chose, c’est ma confiance, mon secret que j’ai
jetés
dans ta main
maintenant que nous avons tout perdu, est-il possible de trouver
le lieu véridique, le véritable amour
     
Revue Po&sie 2010/3 (n° 133)
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C’est de la rencontre, « échue d’un loin ou d’un ailleurs », que la poésie, nous dit Celan, tient son obscurité. L’obscurité est revendiquée, parce que la poésie thématise le plus obscur. L’infigurable de la mort. Et l’inconnu du sujet, cela même qu’il ne peut se représenter, mais qui s’inscrit dans ce qu’il dédie à l’autre, son trajet. Par là on voit que l’hermétisme de Celan, en rapport avec le destinal, n’a rien d’un codage laborieux et volontaire, pour déjouer les chasseurs d’énigmes. Il ne contredit pas non plus le pari de l’adresse. Il y a de l’inconnu aussi, du côté du destinataire, c’est même la condition de la prophétie comme l’enseigna Mandelstam. Dans le Méridien, Celan ne parle pas de « personne », mais d’une rencontre avec le Tout autre, c’est à dire l’absolue altérité d’autrui, qui ouvre accès à l’inconnu.
     
C’est au moment de la rencontre que Celan introduit le concept de l’Atemwende » — titre d’un recueil à venir. Je ne traduirai ni détour, ni même tournant du souffle. Le mot allemand Wende indique un virage à cent quatre-vingts degrés. L’« Atemwende », on pourrait dire retour du souffle, inscrit la trope du méridien, avec retour à soi. Un poème de la rose développe le même motif :
     
Ein Wurfholz, auf Atemwegen
so wanderts, das Flügel-
mächtige, das
Wahre (…).
     
Un Boomerang, sur des chemins de souffle,
ainsi va, puissant
d’ailes, le
vrai (…).
     
Suggérons que le retour du boomerang se produit parce que la direction est déviée quand, contre toute attente, elle rencontre le destinataire improbable. Quand quelque chose est rédimé, cesse d’aller fatalement à la mort. Ce qui était projeté à l’horizon de l’avenir est bien du vrai, qui en revient. Dans le dehors radical, « hinaus in Unland un Unzeit » (« Dehors, dans du non-pays et non-temps »), comme dit un des derniers poèmes de La Rose, une appropriation aussi a lieu — « dans la lumière de l’utopie », dit Le Méridien, et je ne crois pas que ce mot d’utopie se réduise encore à désigner ce qui est fremd ou unheimlich. Le moi et l’autre sont libérés. Le sujet et le destinataire : peut-être deux faces du même. Mais leur alliance a permis le gain sur l’inconnu. Sur l’impossible chemin de l’impossible, on trouve un méridien, et le trajet tient lieu de lieu. Dans la lumière de l’utopie.
     
     
(Dialogisme et destination à propos du « Méridien », pp. 122-124).
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La musique …


La musique dissout la pesanteur de l’homme,
éclaire la maison des signes,
accélère les corrélations du cœur,
perfore les rêves et soude les morceaux détachés de l’éternité,
signalant à la fois que celle-ci n’est pas une seule.

Les mots sont une partie mystérieuse de cette musique,
à laquelle ils incorporent les subtiles métamorphoses musicales
 du sens jumelées au silence,
qui recueille les va-et-vient de l’occulte et allume les coïncidences
 du réel,
comme s’il rapprochait la flamme des cierges éteints
et toujours disponibles d’un candélabre aux bras infinis.

La poésie multiplie la musique et, en le faisant,
parfait d’une certaine manière le langage expectant de la réalité.
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Martine Broda
Tu me ressembles et je te reconnais…



tu me ressembles et je te reconnais
où tu rassembles et je reconnais
ce que j’aimais toujours
au nom de mon amour apparu si brillant
cité de mon amour dans le brouillard de larmes
mes doigts se nouent tendre hélice à la perte
à son cou mon toujours mon jamais
au nom rallumé de mon amour
cité de loin dans le brouillard de larmes
a-t-on jamais cru
avoir ce qui est perdu
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            CE QUI N’EN FINIT PAS / B
  
  
  
  
mourir c’est sans fin mourir
à petit feu

et quand on est assez mort
renaître
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TEMPS VERTICAL
extrait 3
  
  
  
  
cent fois tu as cru mourir
donc tu ne mourras


la solitude est peuplée
le temps sidéré vertical


au plus noir de l’hiver
l’amour est un feu différé
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Martine Broda
À la grande chaleur



lorsque ceux qui ont passé les douleurs
se retrouvent face à face en haillons
vite ils se mettent nus
leur peau éblouie par le sang
ils se réchauffent à la grande chaleur

et c’est l’amour incroyable
bleu comme ton regard oublié
il rejaillit plus beau qu’autrefois
nous le buvons comme la vie

il guérit
des squames tombent de la plaie
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L’appel de la musique …


L’appel de la musique assouplit quelque chose d’essentiel dans l’homme
sans raisons ni arguments.

Ce lien doit être en relation avec les rythmes épars dans l’univers.
Il n’y a pas de poésie sans musique,
mais l’essentiel, en elle, c’est la musique intérieure,
bien que demeure aussi une certaine musique extérieure.

Il s’agit d’une espèce de musique du sens,
en intime symbiose avec la musicalité propre des mots.
Comme dans toute musique, le silence habite ses interstices.
Ainsi que la transcendance et la consolation ?

Il est difficile de concevoir un homme, et moins encore un poète
qui n’aime pas la musique à l’intérieur et à l’extérieur du poème.

Le souci de l’être, qui est l’essence de la poésie, sait que l’être est musique.
Et devine même qu’il existe une musique du vide et du non-être.
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Martine Broda
dans le cerne
au bord de la noyade
ce qui tremble
de ne pas commencer
comme une phrase qui ne finit pas
des lèvres ne finissent pas de
ce qui commence
suffoque
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Ce n'est pas la question du moi, comme on l'a cru trop longtemps, que pose le lyrisme - mais celle plutôt du désir, par lequel le sujet accède à son manque à être fondamental. "Le désir de l'homme est le désir de l'Autre" (Lacan). Aussi, presque depuis l'origine, l'essentiel du corpus de la poésie lyrique est-il constitué par la poésie amoureuse - le reste par la poésie mystique, ce qui est fondamentalement la même chose. Son problème est le tutoiement, l'invocation tutoyante. Elle est une adresse à l'Autre, donné comme essentiellement manquant, mais cette adresse est la seule qui produise le sens. (p. 31)
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Chaque chose …


Chaque chose est une réponse au rien.
C’est pourquoi il faut peut-être appeler les choses
avec cette réponse
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Il y a des espaces faits de rien …


Il y a des espaces faits de rien,
d’indispensables lieux
pour se reposer un moment,
car de toutes choses
on doit se reposer un moment.

En outre il y a des villes faites de rien
des hommes, des chemins, des arbres,
des paroles faites de rien, des livres,
des morts, des amours,
des mondes faits de rien.
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            CE QUI N’EN FINIT PAS / A
  
  
  
  
au bord des larmes, au bord des larmes tremble
ce qui n’en finit pas d’attendre
le bonheur

**

en attendant c’est la joie qui vient
combler le gouffre où tu déglutis
tes larmes

**
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Martine Broda
Poèmes d’été


aux Sables-d’Olonne
dans la nuit phosphorescente
de juillet
exceptionnellement chaude
les piétons de la plage marchent graves et heureux
exceptionnellement beaux
*
toi tu es seule tu les regardes avec admiration
puis tu te jettes à l’eau
*
tu nages seule et plus loin plus
*
où tombe enfin la nuit
*
jusque
« une vague noire qui comble le cœur »
pure poésie
*
reflétant le ciel
aux rapports stellaires
secrètement filial
l’eau
forte comme le lien
*
elle te porte mystérieusement tiède
forte comme l’épaule
et le bras des morts
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Martine Broda
J’ai beau écrire mon nom il me fait toujours aussi mal
son chiffre est beau et douloureux, il brûle mais ne m’
éclaire pas
Faut-il trouver un autre nom dans la nuit ou dans la neige
Faut-il le rendre le plonger dans la mer
mon nom volé je l’écris sur la vitre d’un doigt froid et
humide je l’écris noir sur noir
Il fond sur la vitre où j’écrasais mon nez d’enfant
cherchant à voir je ne sais quoi ce noir toujours derrière
le reflet la forme des corps
Écrire son nom c’est jouer à la nuit et à la neige
derrière la vitre qu’ils n’allumeront plus
pour qu’un nom jamais la forme de son corps
s’écrire le jouer à la nuit à la neige
pour faire nie à la mort sa mort
sur ce noir je n’ai quoi derrière
le reflet la forme du corps
qui n’écrit n’allumeront pour naître
ce n’allumeront plus
pour qu’un nom sans place prenne forme-corps
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Martine Broda
Lettre d’amour (dédicace)
11

que ton nom soit un sceau sur mon cœur
dans la crypte du texte caché
ne l’ébruite la bouche balbutiée
le confie à la main plus sûre
tel l’écrit qui fut le vecteur
de cet amour surgi dans sa chute
né au fond d’un naufrage
qui se redresse vers le salut
comme le vert de l’espérance
aux jours les plus désespérés
12

perdue au fond de la forêt
périlleuse
j’ai rencontré un Chevalier
portant l’armure éblouissante
tard venu tant attendu
C’est l’amour aux yeux d’orage
13

l’attente est un château hanté
pour que brûle la chasteté
nous égrenons les litanies
de la patience
dans l’ascèse où nous devons mi-dire
le vertige où le cœur a bondi
les mots s’enlacent
14

pourquoi suis-je allée vers toi d’un pas sûr, même si les yeux bandés,
je crois que nous étions appelés, tu figurais mon manque, moi le tien
ce jour-là surgit
du hasard
un Prince que j’ai séduit comme par inadvertance
l’amour peut naître de part et d’autre au même moment
15

le visage reconnu
puis perdu
que je portais en moi comme un regret
avec le nom unique
voici qu’il s’exprime avec douleur
alors dans la seconde chance du temps
il flambe sur la nuit hallucinée
la nuit des signes égarés
où nos regards s’éprennent et fuient
16

je confie ma vie au destin
comme une offrande
avec un déluge de lettres
autour d’un mot long à venir
je te transforme en lieu d’adresse
parfois quand tu t’absentes des nuages voilent
la face du soleil
je ne peux rester en paix dans cet amour
je cherche mes pas sur la grève
17

d’étoile seule vers l’autre étoile seule
lequel
tendit la première main
écrivit la première lettre d’amour ?
séduire avec les mots
surgis de la nuit d’âme
l’absence est l’intervalle
la passion flambe haut dans le vide
l’amor e cosa mentale
une attente infinie, une chanson de toile
nos lettres d’amour étaient lettres ouvertes
18

au bout du chemin
l’amour improbable
irrigue le cœur à blanc
soleil pâle
en quête de métamorphose
pour aimer
pour être un jour
comme la flamme qui purifie l’aiguille
les êtres doivent passer
par le chas de la douleur
19

j’ai vécu la douleur et la maladie
affronté la haine
répétant une histoire sourde
fardeau d’avant ma naissance
mais j’avais gardé ma joie
je ne savais pas que tu viendrais
me rendre à la vie
avec les yeux du destin
voici que tu tends le miroir
20

il suffirait que tu me touches
pour que je reprenne les forces d’Antée
et pourtant tu ne me touches pas
je suis la naufragée
suspendue au fil de ta voix
mais si tu coupes le fil
je surmonte le naufrage
une fois de plus je surmonte
avec ma voix
je remonte le courage
21

dans la présence ou l’absence
depuis trois ans je vis habitée de toi
j’ai changé ma maison,
elle n’a qu’une seule porte,
pour un seul visiteur
être lumineux surgi de la vie sombre,
tu me tends le miroir où ta beauté me blesse
tes mots font un écho d’âme
je ne suis pas indemne
22

il fallut
désespérer le corps
(une nuit préméditée, opération
violente : des larmes, des mots
en trop)
déséblouir
sur la vitre séparation
dans l’intervalle des regards
23

contre l’image fixe
renaît l’amour évident
une tendresse déshabillée du corps
tu serais un lieu du langage et comme
le destinataire
je te retrouve dans le texte sensible
rayonnant comme la peau
24

précédé par le chat gris le soir me rend visite
l’amant de onze heures
il m’entraîne pour une magie
dans la lumière douce des cristaux de sel
côte à côte nous fourbissons nos âmes
nous devons réapprendre les gestes
de nos corps et de nos pensées
25

fébrile souvent je ne peux trouver le sommeil
par excès d’âme je n’habite plus ma pensée
alors je suis livrée aux cruautés du doute
je pense à l’être aimé si près si loin
livré probablement aux mêmes affres
qu’il est cruel de devoir dire l’amour
par énigmes dans un halo incertain
de ne jamais pouvoir étancher sa faim
lorsque le temps est toujours plus vorace
26

nuits blanches, semées d’étoiles, l’absence
comme un pont jeté, et ma nuit qui palpite,
pleine de toi, et je voudrais pouvoir le dire
avec mes lèvres mes doigts courant sur
ta peau traçant dessins de fièvre
je suis allée vers toi en somnambule
notre histoire est-elle une page blanche
ou plutôt une respiration du destin
puisque les plus beaux instants tremblent
nous hésitons avant l’accomplissement
au-delà de tes mains je n’ose même imaginer
27

prisonnière
d’un sentiment trop grand
dans une absence aride
mais je sais
chiffre éblouissant
que par-delà ta lenteur,
avec ton visage, avec tes mains,
tu viens
depuis ta première lettre
je n’ai cessé de t’écrire
28

tu vas passer cette porte
et rien ne sera comme avant
les bras cesseront d’étreindre le vide
le nom s’inscrira dans la chair
mot pour mot
nous échangerons nos visages
l’étoile que tu portes au front
jaillira
tu seras presque volubile
et moi presque silencieuse
29

élue
par le haut amour
transportée dans la flamme
pieds meurtris sur la roue
marche aveugle au destin
cherchant la nuit où retentit
sur le gong du cœur
un visage d’outre-temps
clair comme une hantise
tu es beau comme le jour vain
tu éblouis comme la faim
30

ton visage est une blessure
en plein cœur
de tes doigts
jaillit la foudre
puisque tu étais mon destin
lorsque à l’aveugle je t’ai trouvé
tu m’as immédiatement
reconnue
quand l’amour répond à l’amour
la nuit recoud la nuit
31

« je gagnai, je perdis, je jetai tout dans la main de Personne »
de ce jour, de ce jour même, où la missive étonnante atteignit
mon cœur, moi aussi j’ai tout jeté par dessus bord, d’abord les
colliers de perles fausses
mais avant toute chose, c’est ma confiance, mon secret que j’ai
jetés
dans ta main
maintenant que nous avons tout perdu, est-il possible de trouver
le lieu véridique, le véritable amour
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Martine Broda
APRES LA CHUTE




retour de ta voix



sur l'aile dans l'or



porte au-delà des corps`





*





je cherche sans fin le lieu



rayonnant



du bonheur qui nous reste à vivre





*



mais où



m'emportes-tu



dans le passé jamais vécu



l'or du temps textuel



ou la joie inimaginable



à venir





*



blondeur



(ta blondeur)



sa douleur est si douce
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I VERTICAL
"Aller vers le haut n'est qu'un peu plus court ou un peu plus long qu'aller vers le bas." De cette phrase, qui tremble au bord du non-sens comme saisie de vertige, on ne résoudra pas l'énigme. Mais il est significatif que Roberto Juarroz la mette justement en relief, choisissant de l'inscrire en exergue sur la première page de la première anthologie importante de son oeuvre dans notre langue, parue dès 1980 chez Fayard, dans les belles traductions de Roger Munier, et rééditée en 1989 dans une version augmentée. Tous ses recueils, seulement numérotés de un à quatorze, sont intitulés "poésie verticale". Ce titre déconcertant, qui fait de l'oeuvre entière un unique poème ininterrompu, met l'accent sur la cohérence d'une entreprise obstinément singulière, qui confère à cette oeuvre dont chaque poème relance un coup de dés son envoûtante monotonie. Et quand Juarroz écrit des aphorismes, ceux-ci sont encore nommés Fragments verticaux: "La loi de la pesanteur qui agit sur la poésie engage non seulement une force vers le bas, mais aussi une attraction vers le haut (...) Le terme vertical s'y réfère, appliqué à ces fragments et à la poésie qui l'inclut dans sa désignation." Sans être jamais beaucoup plus clair sur ce qu'il entend par là, Juarroz inscrit donc la totalité de son oeuvre sous le signe du "vertical": "une vérité, comme une tour qui pousserait de sa propre substance ". ou encore: "la dernière tâche: entre les mains vides, élever une tour de rien au bord de l'abîme ", "ce métier désolé d'ériger des tours sans échafaudage ". Telle une subversion de l'horizon, qui peut apparaître dans un poème:



Commencer alors sa conversion

jusqu'à le mettre fermement debout

comme un arbre ou un amour en éveil

et changer l'horizon en verticale

en une fine tour

qui nous sauve au moins le regard,

vers le haut, ou vers le bas .


Il peut être intéressant de relever les occurrences dans l'oeuvre du mot "vertical", ou même les contextes qui inscrivent la verticalité sans la dire. Un poème du début de l'oeuvre parle d'"habits verticaux", que "la chute de l'homme" "met debout", un autre d'une "porte terriblement verticale", un autre encore, plus banalement, de "l'histoire verticale de l'arbre". Un texte plus tardif est entièrement construit autour des "verticales de la pluie". Je citerai plus longuement un très beau passage, où l'on retrouve, avec le motif du dépassement de soi, un mouvement vers le haut, et vers le bas:


La hauteur de la rose n'est pas la hauteur de la pierre,

mais parfois la rose la surpasse en son extase.

La hauteur de l'homme n'est pas la hauteur de la pluie,

mais son regard va plus loin que les nuages.

Et parfois la lumière l'emporte sur l'ombre,

bien que l'ombre ait toujours le dernier mot.



Les hiérarchies sont une distraction de l'infini

ou peut-être un accident.

Les hauteurs se supplantent comme tours qui dansent

mais tout tombe de la même hauteur .



C'est encore autour d'un axe vertical que se structure un bref poème au sujet de l'existence, d'un équilibre miraculeux dans son extrême économie de moyens:



Etre.



Et rien de plus.

Jusqu'à ce que se forme un puits au-dessous.



Ne pas être.

Et rien de plus.

Jusqu'à ce que se forme un puits au-dessus.



Ensuite,

entre ces deux puits,

le vent s'arrêtera un instant .



Ou encore dans un autre poème, encore plus enrobé de mystère, que je tiens à citer, car il est un des derniers textes de son auteur: il s'agit du premier poème, magnifique, de Tryptique vertical, qui clôt le quatorzième recueil. La fusion du haut et du bas dans le point de rencontre qui annule jusqu'à l'axe qui les oppose, dans la concentration immobile de ce qui n'est plus qu'un point, et ensuite un geste, se concentre ou se résout en épiphanie, que Juarroz dit ailleurs "explosive". Geste de l'épiphanie: sans doute le geste lyrique par excellence .



Un geste vers le bas

ne trouve pas toujours

un geste vers le haut.

Mais lorsqu'il le trouve

ils vont tous deux vers le haut

ou tous deux vers le bas.



Ou peut-être les directions disparaissent

et inaugurent dans le point de rencontre

la transfiguration qui les dispense

d'un mouvement quelconque.



Tout geste est une épiphanie

lorsqu'il n'y a plus de différences

entre le haut et le bas .



Dans la plupart des occurrences que j'ai citées, on doit en premier lieu constater que la verticalité n'est jamais, comme on pourrait le croire, le seul mouvement ascensionnel, mais qu'elle est plutôt un axe, puisque le haut, dans la logique de l'ambivalence si caractéristique de Juarroz, est sans cesse corrélé à son contraire, le bas, comme à la chute l'essor, ou à la tour l'abîme . Ces occurences, il fallait bien les relever, mais on doit se résigner à ce que leurs contextes n'éclairent pas totalement la verticalité chez Juarroz, qui reste énigmatique, et excède le plus souvent le sens spatial. Il faut dès lors se référer à l'ensemble de sa pensée. "Vertical" dit en premier lieu la transcendance, qui est une dimension essentielle de la poésie selon Juarroz, étant bien entendu, comme il le dit souvent avec insistance, qu'il cherche à fonder un sacré en dehors de tout dogme, un sacré qui échappe à la théologie, sinon, toutefois, à la théologie négative, par la célébration du rien, du vide, et la prise en compte d'une inquiétude, qui persiste, du côté d'un dieu qui a "perdu son nom ". La "transcendance", dit-il, est à entendre comme "mystique insertion dans l'énigme qui nous entoure", ou encore sens de l'infini. "Vertical" évoque le creusement vertigineux de la "profondeur", cette troisième dimension dont Juarroz élabore le concept à propos de l'oeuvre de son ami et maître Porchia, mais qui est le terme le plus approprié pour qualifier sa vision du monde et son travail poétique. "Vertical" peut aussi suggérer la sidération du temps linéaire, horizontal, par la brève illumination poétique, ces "bouffées soudaines d'anti-temps ", ou encore "ces ilôts de présent qui retombent comme une lucide plombée au centre de l'être ". Un passage d'Octavio Paz, que Juarroz cite et commente dans Poésie et création , est à comprendre dans ce sens: "L'opération poétique consiste en une inversion et une conversion du flux temporel; le poème n'arrête pas le temps: il le contredit et le transfigure".

C'est encore dans sa postface aux aphorismes de Porchia que Juarroz écrit ceci: "approfondir est la forme la plus radicale et généreuse de l'héroïsme. C'est être aussi sans références. L'échelle de relation est désormais l'infini, et la rencontre avec la mort comme expérience anticipée et paramètre constant du possible". Je vois aussi, et peut-être même en premier lieu, dans la verticalité une injonction éthique, un appel à l'insurrection du sujet. Qui peut évoquer le mot d'ordre que s'était donné, tout au long de son oeuvre, un autre poète, Paul Celan: stehen, se tenir debout, se tenir. Ce rapprochement n'est pas artificiel, car comme Celan, dont il était d'ailleurs un lecteur attentif, Juarroz fait de la poésie, qui n'appartient dès lors plus tout à fait à la littérature, une affaire d'expérience et de destin, le plus exigeant des exercices spirituels, lui donnant sa suprême valeur à partir d'une définition existentielle et éthique. "Contrairement à ce qui est généralement admis, la poésie, la véritable poésie, est une manière éminente du dépassement de soi. Avec la poésie naît une dimension nouvelle, plus haute, un au-delà du soi", écrit-il dans un des Fragments verticaux .




II IL PLEUT SUR LA PENSÉE




Il pleut sur la pensée.



Et la pensée pleut sur le monde

comme les restes d'un filet décimé

dont les mailles ne parviennent pas à s'assembler.



Il pleut dans la pensée.



Et la pensée déborde et pleut dans le monde,

comblant depuis le centre tous les récipients,

même les mieux gardés et scellés.



Il pleut sous la pensée.



Et la pensée pleut sous le monde,

diluant le soubassement des choses

pour fonder à nouveau l'habitation de l'homme et de la vie.



Il pleut sans la pensée.



Et la pensée

continue de pleuvoir sans le monde,

continue de pleuvoir sans la pluie,

continue de pleuvoir.



(IV,20, traduction personnelle)



Pour introduire à la manière de Juarroz, je vais tenter de donner une lecture d'un poème difficile de Poésie verticale IV, 20, dont il existe deux traductions françaises, celle de Roger Munier et celle de Fernand Verhesen . Poème qui déconcerte toute logique, alors même qu'il existe, à l'opposé, beaucoup de poèmes de Juarroz parfaitement limpides, il me semble caractéristique de la manière de son auteur par le rôle des anaphores, des antithèses, des paradoxes. Succession de variations sur un même motif contradictoire, il introduit un rapport entre pluie et pensée, rapport que souligne, dans les versions françaises, une allitération initiale qui fait paronomase, mais n'existe pas en espagnol - la traduction gagnant, comme c'est parfois le cas, sur l'original. Ces deux mots sont pris ensemble dans un rapport à un troisième terme qui est "le monde". Ceci est un effet massif de la structure du poème, Juarroz utilisant, comme il ne le fait pas toujours, car d'autres textes sont moins sophistiqués, toutes les ressources de ce que Jakobson aurait appelé la poésie de la grammaire. En effet, le poème est construit sur l'alternance de strophes d'un seul vers, et de strophes plus longues. Le schéma de la strophe d'un seul vers est purement répétitif, seule une préposition variant, de la première à la dernière occurence, préposition qui dit le rapport entre pluie et pensée: on a "il pleut sur la pensée", puis "il pleut dans la pensée", "il pleut sous la pensée", enfin "il pleut sans la pensée".
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