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Citation de MartineSalucci


À force d’insistance, l’aversion m’a gagnée pour un lieu sans issue indigne d’exister, en marge de la vraie vie. Étais-je prédestinée à m’égarer au sein de rues maudites, incapable d’en échapper comme dans un songe ? Ma crainte était d’affronter la nuit sans fin, la dernière où je devais me dissoudre. Allais-je finir sur le trottoir, exposée aux pires infortunes ? Là, étendue, le regard fixe, les mains ouvertes sur le vide, adieu, pensée vagabonde ! Déjà, mon corps parcouru de frissons glacés, mué en glaçon me paraissait étranger. Qui sait si je n’allais pas finir en glacier ? Tremblante, en agonie, j’ai cru percevoir un murmure : « Poursuis ta voie ! » En dernier recours, j’ai résolu d’y souscrire.
Au moment d’atteindre un dédale de ruelles douteuses, j’en ai élu une au hasard. Triste initiative, liberté mal inspirée ! À peine ai-je mis le pied dans ce qui tenait du coupe-gorge que les signes visibles se sont effacés. Pas même une silhouette de chat errant. Une ombre calcinée aveuglait la réalité. Tout était noir, trop noir comme si j’avais les yeux bandés. Avais-je connu une nuit semblable ? Dans ma marche au jugé, les parois taciturnes, noyées d’obscurité, quelle terreur de les effleurer par mégarde ! Loin d’être complices, les ténèbres me traitaient en adversaire. Allaient-elles enfanter des monstres goyesques ? Rien donc à déchiffrer mais rien non plus à percevoir dans une voie aux codes inconnus. Le silence s’imposait, infiniment présent, un silence déferlant qui neutralisait ma raison. En butte à des peurs d’enfant, comment survivre au sein d’un univers sourd et aveugle ? Au demeurant, même une voie tragique a sa raison d’être. La certitude que la mienne aboutissait quelque part m’a insufflé la force de continuer.
Mais au bout de la ruelle, quel désarroi de ne plus sentir l’asphalte sous mes pieds ! J’ai eu alors la sensation de descendre, descendre au fond d’une zone morte. Mes pieds ont buté à la fin sur un chaos inerte. D’abord, ce monde inférieur m’est apparu indéchiffrable. Sans lumière, tout n’est-il pas amalgame, confusion inimaginable ? Comment saisir l’intérêt de cette brèche où j’avais abouti par erreur ? À moins de servir de dernière demeure. À cette idée, la panique s’est emparée de moi. Malheur ! je venais de franchir un cimetière funeste tapissé de silence. Mes pieds broyaient des ossements humains. Au-dessus, l’air ouateux étendait son drap mortuaire. Et si je croisais un fossoyeur de l’ombre, il me prendrait pour une dépouille dans le noir. Comment chasser de moi l’épouvante d’être enterrée vive dans un trou creusé pour me faire disparaître ? Ensevelie dans l’anonymat, on laisserait choir sur moi une pierre anonyme. Impossible de calmer mon effroi à l’idée d’y séjourner à jamais, dépossédée d’existence ! Châtiée pour mon inconscience, tout ce qui me touchait n’allait-il pas mourir avec moi ?
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