Certains ne virent que son allure gouailleuse et sa chétive silhouette de nain difforme, que, de main de maître ; il dessina lui-même sans fard ; ses réparties mordantes, sans aucune méchanceté, ses attitudes parfois hérissées, mais non provocantes, ne furent que des défenses d’homme faible vis-à-vis de la risée possible.
« Il faut savoir se supporter soi-même », disait Lautrec, en certains moments d’abandons, et cela en disait long.
Ayant pris contact avec Forain, avec M. Degas, la révélation est venue. Lautrec n’a plus qu’à suivre sa destinée. M. Degas, ce grand classique dont l’influence avec Manet domine notre époque, trait d’union entre le passé et l’avenir, sera le père spirituel de Lautrec.
Inutile de l’incorporer à une « école d’art », mot vide de sens, car il n’y a, en réalité, aucune, soit officielle, soit indépendante, soit impressionniste, symboliste ou autre. Il n’y eut et il n’existe que des personnalités qui se sont élevées ou sont en voie de s’élever au-dessus des autres : les mots et les classifications arbitraires n’ayant été créés que pour l’ignorance des foules.
Notre époque est assourdie du bruit des gens qui remuent les casseroles.
Le Moulin de la Galette est abandonné; il n'est plus fréquenté que par les petites Montmartroises, fillettes accompagnées de leurs "frangins", danseuses au-dessous de quinze ans et en quête de faire fortune. L'Elysée- Montmartre est en décadence. Le Casinode Paris n'est fréquenté que par des femmes à charmes trop mûrs. Seuls, le Moulin Rouge et le Jardin de Paris tiennent le haut du pavé.
Lautrec, naturellement, qui commençait à déjà moins s'intéresser à Montmartre, presque industrialisé, suivait avec attention cette évolution. Son inquiétude fut grande en se demandant ce qu'il adviendrait de ses deux grandes toiles que Zidler avait accrochées à l'entrée du Moulin Rouge, au-dessus du Bar derrière lequel trônait la prude et plantureuse Sarah, experte en cocktails et professeur d'Anglais.
La vie de Lautrec est des plus simples, sans circonstances ni épisodes bien sensationnels. Elle s'est déroulée de façon logique, douloureuse dès le début, douloureuse toujours jusqu'à la fin, avec des sursauts d'une foncière gaîté souvent pour oublier et masquer bien des amertumes.
Son crayon suit les actualités de son époque, non en illustrateur ou notateur humoriste quotidien, mais en observateur profond et indépendant.
Si les choses de la politique, ses heurts, ses luttes l'intéressent, il ne se mettra à dessiner, à noter, que lorsque des personnalités comme Arton, Ribot, Mlle Marsy, Soudais, seront les acteurs d'un drame bien vécu, comme seule la Cour d'Assises peut en offrir, mieux que n'importe quelle scène de théâtre.