Maurice Lemire

C'est à Paris que je me suis aperçu de la non-existence de notre pays. Nous n'avions pas d'identité, car l'identité s'acquiert par l'affirmation de soi dans le discours et notre discours n'avait alors aucune reconnaissance.

La littérature. ainsi dominée par les conservateurs. ou du moins par des éléments de droite, servira l'ordre établi et, au lieu de signaler les problèmes. s'ingéniera à les camoufler. Les écrivains et les orateurs ne cesseront de clamer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ils s'appuieront en particulier sur la doctrine du messianisme compensateur formulée par Edme Rameau de Saint-Père, selon laquelle la race canadienne française constituait un peuple élu chargé d'assurer le règne de Dieu sur le continent nouveau.

Pour tous les peuples, le centre du monde a toujours été là où ils étaient. De façon assez anormale, par une sorte d'aliénation, les Québécois considéraient que le centre du monde était ailleurs.

AUX CANADIENS FRANÇAIS, poème d'Octave CRÉMAZIE.
AUX CANADIENS FRANÇAIS, d'Octave Crémazie, a été publié en janvier 1859. Ce poème est un vibrant plaidoyer en faveur de l'unité nationale. Crémazie rappelle d’abord la lutte qui a opposé les Canadiens français au conquérant anglais pendant un demi-siècle. Il évoque la victoire de Châteauguay. Sous l’Union, les Canadiens français ont acquis enfin des droits politiques réels et jouent un rôle dans le gouvernement : « On les voit s’avancer. sans redouter l'orage. Sous I'étendard anglais. libres et triomphants. » Mais des dissensions assombrissent l'horizon. Pour dissiper les malentendus. Crémazie entonne un hymne à la patrie : par l'expression et le rythme. ce chant est un écho de celui de Colonisation, écrit six ans plus tôt. quand le poète tentait de communiquer à ses concitoyens son attachement profond au sol des aïeux. La dernière partie du poème renferme un appel à l'unité et à la fidélité aux traditions. Aux Canadiens français s'inspire des événements de l'actualité. Au cours de l'année 1858. une dispute avait éclaté à Montréal. entre l’évêque, monseigneur Ignace Bourget. et plusieurs membres de l’Institut canadien. dont la bibliothèque contenait des volumes mis à l’index par l'Église. Ce différend mettait aux prises deux idéologies contraires : celle des traditionalistes ou ultramontains attachés à la foi. aux principes et aux moeurs des ancêtres, et celle d’un groupe d'intellectuels. libéraux dans leur philosophie et leurs vues politiques. Tout en évitant de prendre parti dans le conflit, Crémazie incite ses compatriotes à la concorde. Les sixains des première et troisième parties et les huitains
de la chanson sont les strophes qui reviennent
régulièrement dans les vers du jour de l'an de
Crémazie. Ce poème a paru en fascicule sous le
titre Hommage aux abonnés du « Journal de
Québec ». 1°* de l’an 1859. Aux Canadiens français.

Notre historien national n’a rien d’un leader : constitution délicate, santé fragile, timidité insurmontable qui lui rend pénibles les contacts sociaux. Issu d’un milieu modeste, il n’a pas l’avantage de faire des études classiques. Ce sera en somme le fonctionnaire effacé qui travaille dans l’ombre, image de la conscience nationale qui ronge son frein en attendant de s’exprimer au grand jour.

Incertitude nationale, malaise social, haine de la glèbe, ces circonstances prescrivent à la littérature la propagande des idées. Cette propagande, nos écrivains s’efforcent de la faire avec le plus d’élégance littéraire possible.

JULES FOURNIER, JOURNALISTE DE COMBAT, essai d’Adrien THÉRIO (pseudonyme d’Adrien THÉRIAULT).
ADRIEN THÉRIO publie en 1954, sous le titre de Jules Fournier, journaliste de combat, sa thèse de doctorat. Les neuf chapitres couvrent l’action journalistique de Fournier au début du XXe siècle, selon les différents combats où s’est engagé le compagnon d’Olivar Asselin : le nationalisme, la politique fédérale, provinciale et municipale, les polémiques avec d’autres journaux, les procès pour libelle diffamatoire sous les règnes de Wilfrid Laurier, de Lomer Gouin et du maire de Montréal, Médéric Martin, et, enfin, la dimension critique et proprement littéraire de l’oeuvre. Ni chronologique, ni proprement théorique, le plan de Thério se ressent des habitudes universitaires de l’époque où les recherches visent à faire connaître «l’homme et l’oeuvre ». Les deux éléments sont constamment confondus sous le dénominateur commun de «combat ».

DU FOND DE MON ARRIÈRE-CUISINE, essai de Jacques FERRON.
PUBLIÉ en 1973, Du fond de mon arrière-cuisine est composé de neuf chapitres, chacun étant divisé a son tour en sections numérotées, le plus long en comptant douze, le plus court, deux seulement, correspondant à des historiettes que Jacques Ferron avait préalablement publiées, soit dans l'Information médicale et paramédicale, soit dans Parti pris. Seuls les deux derniers chapitres sont inédits. Aucune unité ne relie l’ensemble de ces textes, qui peuvent être considérés comme des essais sur les sujets les plus divers et les plus disparates. Le titre qui les réunit a été donné par l’auteur à la suite d’une lettre au Devoir du 5 mai 1973, signée de Pierre Vallières et qui reprochait à Ferron d’écrire des ragots sortis du fond de son arrière-cuisine.

L’ART ET L’INTUITION INTELLECTUELLE, essai du père Henri-Paul BERGERON.
Divisé en trois parties, l’essai d’Henri-Paul Bergeron, l’Art et l’Intuition intellectuelle, a pour objet l’étude de l’élaboration de la pensée artistique. D’une part, il dénigre la pensée discursive qui, tributaire d’un rationalisme esthétique, ne produit que des oeuvres dont le rendu n’est que la copie servile de la nature, du modèle. D'autre part, l’auteur s’attaque à l’esthétique du sentiment dont les diverses manifestations, à travers plusieurs écoles, telles l’impressionnisme ou le surréalisme, ne traduisent que la « puissance du sujet dans l’objet », ce dernier étant complètement évidé de sa substance spirituelle ou métaphysique. Dans la section la plus longue, qui clôt le livre, Bergeron énonce que la seule véritable esthétique doit se fonder sur le « respect de l’intuition intellectuelle ». Ce concept fixe en quelque sorte les balises de toute création artistique : l’intelligence doit présider à l’unification des sens et de la formulation picturale d’où peuvent jaillir l’harmonie et, de là, le Beau. L'activité intuitive de l’intelligence se mesure par les qualités spirituelles d’une production artistique, mais aussi par le respect de la morale qui s’en dégage, soit l’abdication d’une formulation du monde contredisant celle du Créateur, Dieu.
Malgré sa forme élocutoire spécieuse, l'Ar! et l’Intuition intellectuelle ne soulève ni ne résout aucune problématique. Ces considérations philosophiques relèvent davantage de la casuistique, qui s’inscrit dans le débat toujours vivant de l’art moderne.

LES ABÎMES DE L’AUBE, roman de Jean-Paul PINSONNEAULT.
LE TROISIEME roman de Jean-Paul Pinsonneault, les Abimes de l’aube, raconte sous la forme d’un journal intime la crise que traverse un adolescent de dix-sept ans, renvoyé du collège, en plein cœur d'année, pour avoir entretenu une liaison particulière avec un camarade. Sujet scabreux, au début des années 1960, mais traité avec tact par «un écrivain extrêmement consciencieux qui se refuse aux facilités du sentiment comme à celles de l’écriture », note avec à-propos Gilles Marcotte, lors de la parution du roman.