La mort à la guerre est misérable. Le soldat est tué au coin d'un fumier, dans un éboulis de terre grasse.
La guerre n'est qu'un suicide misérable d'une foule en folie.
L'héroïsme! c'est si vite fini. Une minute et il conduit à la mort.
Qui s'en souvient ? Qu'en reste-il ?
Avoir souffert si longtemps pour finir tout de même par mourir !
"Mort au champ d'honneur".
Au communiqué, demain, les gens de l'arrière liront avec agacement : "Nuit Calme".
La guerre n’est que le suicide misérable d’une foule en folie. Ses remous sanglants ne servent que les intérêts de ceux qui la dirigent. Et même s’il faut qu’un jour pour sauver un pays ou l’honneur, de nouveaux soldats prennent les armes, pourquoi leur mentir, pourquoi faire miroiter devant leurs yeux le mirage de la gloire et de l’héroïsme ? S’ils savent à quel point la guerre est basse et laide, s’ils savent qu’ils n’en retireront que la mort ou la déchéance de leur âme, s’ils se résignent quand même, s’ils marchent au danger sans illusions et sans espoirs, leur sacrifice en sera-t-il moins grand et moins méritoire ? Hélas ! Nous ne sommes rien.
Mais demain viendront des gens qui parleront de courage, de héros, de gloire. C’est dans la suite naturelle des choses. Quand un misérable soldat abruti par la peur, ou luttant de toute son énergie pour y résister aura été déchiré par un brusque éclatement, qu’en restera-t-il ? Un tas de chairs, d’entrailles et de loques souillées de sang, auxquels les injures de la poudre auront donné l’aspect des détritus que déversent les poubelles. La grimace du mort sera presque toujours grotesque dans son horreur, et il en sera de même des gestes déjetés de ses membres brisés. Pourtant lorsqu’il aura été couché sur un brancard et que sous sa couverture étendue, la forme allongée de son corps se reconnaîtra, il commencera à reprendre une existence nouvelle. Il n’était plus rien. Voici que de nouveau il est quelque chose. Il s’en va au pas cadencé des porteurs. Ceux-ci en titubant dans le dédale de terre remuée, l’emportent vers une réincarnation. Corps morcelé il sera déposé dans une caisse en bois blanc. Et lorsque les couleurs du drapeau, en larges touches rouges, jaunes, noires l’auront recouvert de leurs teintes violentes que le soleil exalte, alors il deviendra un brave, un vaillant, que les vivants salueront de leurs gestes et de leurs sonneries, un héros qui entrera de plein pied dans le mensonge de l’histoire.
La mort crie, elle glapit, elle approche. Ce n’est plus la mort de jadis, solennelle, qui se penchait sur un lit, ni celle qui fauchait au grand soleil ceux qui marchaient le front levé vers la lumière. C’est la mort lâche qui assassine dans un trou, dans la terre, dans la boue, dans la tombe ouverte déjà. Nous sommes aux confins du monde, au bord de l’abîme. Nos mains n’ont plus une herbe, un rameau pour se raccrocher. Nous sommes des morts que l’on tue au cimetière.