Le bébé repoussa [l'eau] avec une moue dégoûtée. Un grand éclat de rire partit de la foule amusée de la mine déconfite de la femme. Un homme s'avança et lui dit :
— Tu vois ! Tu ne veux jamais me croire quand je te dis que l'eau ne vaut rien ! C'est une boisson bonne pour les plantes et les bêtes, mais pour les hommes, ça n'a jamais rien valu. Ça donne du sang de poisson ! Ce gamin-là promet d'être un fameux homme. Je vais lui chercher, moi, une boisson qui lui convient !
Il revint et tendit un biscuit trempé dans du péquet au bébé qui l'avala goulûment. Alors il lui servit une grande rasade de genièvre que l'enfant engloutit comme si c'eût été du lait.
Songez, archevêque Turpin, que priver un Liégeois d'user de sa liberté, c'est risquer de le faire mourir de langueur.
[Les fils Aymon] ont la complicité sourde et muette de tous les Ardennais, celle qu'ils accordent aux proscrits, aux hommes traqués, à tous ceux qui sont réduits à rôder sur leur terre et dans leurs bois. Pourquoi ? Ils ne savent pas toujours. Parce qu'on est Ardennais, sans plus ! Parce qu'on est d'un pays rude, inhumain, où la solidarité est une loi qui s'est imposée aux premiers hommes qui s'y sont fixés et qui, depuis, régit les cœurs de ceux qui y vivent comme un obscur instinct de conservation.