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Critiques de Max Nordau (1)
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Dégénérescence

Max Nordau part d’un postulat : la société européenne connait à la fin du dix-neuvième siècle une dégénérescence dont les causes se trouvent aussi bien dans les transformations impliquées par la révolution industrielle que dans un affaiblissement organique héréditaire. Les caractéristiques en sont un développement de la folie et de l’hystérie en particulier ; et les écrivains en sont non seulement l’expression mais aussi les propagateurs. L’auteur ne fait à aucun moment une critique esthétique ou artistique sur ces écrivains mais se pose en « physio-psychologue » et son jugement n’est que moral.

Ce que Nordau appelle les « dégénérés », dans son langage subtil et plein d’indulgence, n’est, en fait, rien d’autre que les névrosés. Freud ne deviendra célèbre que quelques années après la publication de ce livre, mais un énorme fossé sépare ses découvertes des idées de Max Nordau. Ce fossé c’est la manière dont chacun aborde l’inconscient. Autant les psychanalystes ont porté toute leur attention sur cette partie obscure et essentielle de l’être que nous nommons aujourd’hui l’inconscient, autant Max Nordau la refuse, il a une véritable horreur de tout ce qui n’est pas clair, conscient, raisonné et par conséquent des limites de la raison humaine. Il se voit non seulement comme un psychologue mais surtout comme un scientifique et il introduit dans ses analyses un grand nombre de propos neurologiques et physiologiques. Son souci est de faire correspondre des problèmes physiologiques avec des maladies mentales. La fameuse relation du corps et de l’esprit. S’il évoque parfois l’inconscient ce n’est pas du tout au sens où on l’entend aujourd’hui. C’est assez drôle d’ailleurs : l’inconscient pour lui réside dans l’organe, dans les nerfs. Il parle de volonté des cellules, de désir, de sentiment de plaisir des centres nerveux. Ce ne sont que des mots, bien sûr, mal choisis, mais cet anthropomorphisme organique est tout de même surprenant de la part d’un homme qui se prenait pour un scientifique, tout ce qu’il y a de plus sérieux.

Pour en revenir à son horreur de l’obscur, elle est aussi en grande partie la cause de sa haine envers les artistes de son temps. Il se consacre pendant la première moitié du livre à ridiculiser le courant mystique de la littérature à la fin du dix-neuvième siècle (mais c’est aussi l’ensemble de la métaphysique et de la théologie qu’il dénigre et s’il n’y inclut pas vraiment la religion et la philosophie entière, on sent bien que ça le démange). Il mélange dans ce courant mystique un peu tout, aussi bien les préraphaélites que les symbolistes, l’humanisme douloureux de Tolstoï que les divagations de Péladan. Mais dans ce fourre-tout, où des écrivains de simple talent côtoient de vrais esprits créateurs, on peut surtout se rendre compte du total manque de goût de l’auteur et d’un parti-pris foncièrement réactionnaire vis-à-vis de l’art. Quand il parle de la poésie française, il fait preuve d’une mauvaise foi et d’une méconnaissance totale. C’est consternant de voir qu’il réduit toute l’écriture poétique contemporaine à des symptômes pathologiques. Il est ignorant de toute métaphore, de toute analogie, de tout oxymore. Il n’y voit que de l’hystérie, des associations d’idées, de l’obscurantisme, comme si les poètes n’avaient aucune conscience de leurs procédés. Rien sur les théories, sur la pensée, sur le travail de la langue, aucune volonté de compréhension, uniquement un jugement moral. Et même ce jugement moral est superficiel. De là même manière qu’il refuse d’aller se frotter aux limites de la raison humaine, il a horreur des remises en question morales.

Car, outre la prétentieuse conviction, qu’il partage avec certains psychologues, d’être un scientifique, il cède en plus au penchant maladif, que bon nombre de ses collègues ont également, de vouloir être les nouveaux curés moralisateurs de la société. Borné dans un pseudo-positivisme empirique, ce grossier réactionnaire pousse encore plus loin la délicatesse en se permettant d’insulter les artistes les plus inventifs de sa génération (pour être honnête, il m’a quand même fait rire quand il accuse Zola d’être atteint du syndrome de Gilles de la Tourette et d’être un « psychopathe sexuel » : ce sont ses propres mots). Et pour quelle unique raison ces insultes ? Celle de leurs moralités déviantes. D’ailleurs on se demande à quelle morale il se réfère (d’où lui sort-elle ?) puisqu’il fustige aussi bien Nietzsche que Tolstoï, Barres que Zola. Ce mélange étrange, encore, de morale et de psychologie aboutit à assimiler les voleurs, les criminels avec les malades mentaux et mêmes les simples pessimistes ou misanthropes. C’est dire s’il est aussi piètre psychologue que scientifique. Mais au fond, une critique morale n’est pas dérangeante, car tout jugement n’est que l’expression d’une morale, quoi qu’on en dise ; et puis, il faut bien avouer que Max Nordau fait un certain nombre de constatations assez justes. Seulement, cette haine de l’art et de tout ce qui est au-delà du scientifique - ajoutée à un trop grand nombre d’incohérences et de contradictions pour être retranscrites - est simplement idiote.

Ceci dit, si le lecteur sait faire preuve de discernement et prendre à rebours les pauvres jugements de Nordau, ce livre devient passionnant puisqu’il évoque tout ce que la littérature à la fin du dix-neuvième siècle a produit de titillant et d’original ; avec un nombre important d’extraits d’œuvres et de citations qui sont, au final, les parties les plus intéressantes de ce gros livre verbeux. Aussi, faut-il mieux considérer « Dégénérescence » comme une sorte de recueil d’œuvres typiquement fin-de-siècle, une collection idéale, entrecoupé des plus parfaits exemples de commentaires apparemment savants mais véritablement indigents.
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