Je pensai qu’avant notre rencontre, je me trouvais dans une brume opaque et que j’avais vogué peu à peu vers le phare de lumière, accostant sur une terre de miel et de rubis. Elle était telle une couturière qui avec son aiguille, avait accroché mon âme à ce qui l’entourait. Voilà comment Charlotte était entrée dans ma vie.
— Si l’on veut te trouver, es-tu toujours dans le vallon dont tu m’avais parlé ? me demanda-t-elle.
— Non, dis-je. Ma hutte a brûlé.
— Comment cela ?
Je ne répondis rien.
— Je suis chez Jean. Enfin pour l’instant. Je vais construire un autre abri et nous allons faire un commerce.
— Grande nouvelle ! s’exclama-t-elle. Avez-vous déjà des clients ?
— Peut-être bien. Oui ! dis-je en mentant parfaitement.
— Tu vas gagner ton pain, faire des bénéfices.
— Rien ne va changer, un petit plus que d’habitude, répondis-je humblement.
— Tu as toujours su t’en sortir.
— Personne n’en a jamais douté, dis-je en riant.
— Oui, j’ai toujours cru que tu étais le plus grand dégourdi par ici.
J’aurais voulu lui dire que j’étais resté un enfant du pays, que j’étais de ceux qui avaient grossi dans des parcelles de boue et d’argile, et que de ce terreau n’était pas sorti la brutalité ou la niaiserie, la petitesse ou la bêtise, mais une humilité pure et modeste, une rusticité raisonnable et subtile ne brandissant pas l’instruction avec l’étendard du dédain, mais avec le pavillon de ceux qui ne souhaitent que s’embellir au lieu de s’engraisser.
— Je vais rentrer, dis-je. Pour du repos ou du travail, je ne sais pas encore !
— Oh ! La baronne doit m’attendre aussi !
Elle me croisa en cognant volontairement mon bras, se tourna, le toucha avec sa main et repartit pour rentrer dans le château. Elle sentait toujours l’oignon, mais aussi la vieille souillarde de cuisine.
Je pensai : « Comme elle s’est abîmée! ».