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Citation de hcdahlem


INCIPIT
Prologue
Ici ou là, les femmes commencèrent à révéler les agressions dont elles avaient été les victimes. C’était au début un bruissement, amplifié par la Toile, puis devenu raz de marée. Les mentalités étaient emportées par la vague, elles donnaient l’impression de changer – comme si une mentalité pouvait changer en un clic, les temps s’affolaient et se court-circuitaient, on pouvait se poser des questions légitimes sur la notion de changement et sur la croyance collective qu’un cri de colère se transformerait en progrès social –, des hommes étaient accusés publiquement, on facilitait les dépôts de plainte, et même les délations. Les journalistes étaient à l’affût de scoops, de cette façon, deux d’entre eux allèrent fouiller dans les commissariats. Il ne leur fallut sans doute pas longtemps pour exhumer de vieilles mains courantes frappées par la prescription, mais qui contenaient des trésors…
Tout commença par un flash d’information: un personnage haut placé était accusé d’agression sexuelle. Il n’était ni le premier ni le dernier, ce type de nouvelle devenait monnaie courante. Il suffisait ensuite de jouer aux devinettes et d’accoler des noms. Ça allait du plus vraisemblable au plus farfelu, la vraisemblance tenant à la notoriété et à la respectabilité de l’homme en question. Les bons pères de famille pouvaient trembler, plus ils affichaient de vertu, plus dure serait la chute. On traquait indifféremment les cavaleurs et les curés défroqués, nul n’échapperait à la chasse à l’homme, puisque l’homme, potentiellement, était une bête de proie. Des affiches dans le métro montraient des femmes apeurées, s’accrochant à la barre métallique de la rame, tandis qu’un requin, un ours ou un loup rôdait, s’approchant dangereusement. Ces espèces en voie de disparition étaient censées représenter la plus mauvaise part de l’homme, voire son être profond. Au-delà de leur caractère illisible, ces affiches avaient suscité l’indignation des défenseurs des animaux. Comment pouvait-on comparer un être humain à un animal dont la nature était de chasser ? Certes l’homme s’était « humanisé » précisément en dépassant et en niant sa nature, mais ces pauvres bêtes, exterminées par la seule espèce qui conservait le monopole de la violence légitime, étaient innocentes. Les antispécistes furent à deux doigts de manifester, mêlant leurs voix à celles des féministes, plus promptes à s’insulter entre elles qu’à élaborer un plan de lutte commun. Les hommes se terraient, leur parole n’était plus audible, à moins qu’ils se fassent les porte-parole d’un féminisme militant, et se montrent prêts à offrir en expiation leurs testicules sur un plateau d’argent. La guerre des sexes battait son plein, dévoilant un marché au développement exponentiel, dont la presse écrite entendait bien profiter, elle qui vivait aussi ses derniers moments. Le journalisme avait abandonné sur le champ de bataille sa déontologie, l’heure était à l’hallali, on cherchait les coupables avec des piques, sur lesquelles, à l’instar des sans-culottes, on aurait volontiers planté des parties génitales sanguinolentes afin de les exposer à la vindicte populaire.
En réalité, le problème était d’ordre politique, il s’agissait ni plus ni moins d’une question de domination, mais le temps médiatique n’avait pas le loisir de creuser, il lui fallait des coupables et des victimes, ce qui signifiait alors : des noms. Non pas des catégories, des entités conceptuelles, des classes, des caractères, des appartenances, mais bien des noms : il fallait que la victime ait un visage et un corps, une histoire singulière, pour qu’on l’imagine au moment où sa vie avait basculé. On voulait des récits, on voulait des voix, on voulait des visages, de préférence attrayants. Raison pour laquelle les actrices firent sensation. Elles étaient belles, toujours parfaitement vêtues, elles avaient nécessairement souffert du regard des hommes puisque le système les contraignait à se faire objet du désir pour devenir sujet économique. Elles avaient dû plaire, et d’abord à leur producteur. Il avait l’argent, elles la chair. La transaction était facile à imaginer. Leur indignation et l’avalanche de dénonciations qui s’ensuivit permirent que s’ouvre le dossier du harcèlement sexuel. Ces femmes inventèrent de nouveaux modes de résistance : le choix de la couleur de leurs robes, le port de broches identiques. Elles parlèrent à des magazines, coiffées et maquillées par de grandes marques pour l’occasion.
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